Institut recherche jacquaire (IRJ)

Lettre 182, Les « usages mondains » du costume de pèlerin


Rédigé par le 13 Octobre 2024 modifié le 15 Octobre 2024
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En août 2024, lors de l’Assemblée générale des pèlerins de Vendée, une pèlerine, Hélène D. nous a confié deux gravures de la fin du XIXe siècle qui, disait-elle, « montrent le regard de l'époque sur le pèlerin et le randonneur ». Toutes les deux étaient détachées du Journal des Demoiselles, destiné aux filles de 14 à 18 ans des milieux aisés (un âge qui se situait entre le couvent et l’entrée dans le monde).



Se costumer en pèlerine en 1882


L'une d'elles s’intitule « Gravure de travestissement ». Elle est présentée dans les Annexes du numéro de janvier 1882. Nous sommes après les fêtes, il s’agit de penser aux fêtes et aux bals de Carnaval. Sous le n° 4345 bis, elle propose quatre tenues, pour trois jeunes filles et un jeune garçon. Parmi elles, l’une est intitulée PÈLERIN.
Dans les pages suivantes, figurent toutes les indications à donner à la couturière pour réaliser cette tenue très soignée :
 
« Pantalon bouffant en flanelle ; chemise montante et à longues manches. Manteau de pèlerin en cachemire, drap sergé ou flanelle rouge, orné d'une bande gris feutre semée de coquilles ; pèlerine garnie d'une bande semblable ; long capuchon pointu avec doublure grise ; manche à parement-gantelet sur lequel est posé un petit biais rouge tendu. Ceinture de cuir jaune supportant une gourde. Chapeau minotier en feutre gris orné de coquilles 
Il n’est pas besoin d’explication pour le bourdon, le dessin suffit.
 
S’il vous prend envie de réaliser ce modèle, voici quelques précisions techniques :
  • Un « parement-gantelet » est une bande de tissu appliquée à l'extrémité de la manche ; sa forme s'inspire de la forme d'un gantelet, partie d'armure médiévale protégeant la main et le poignet. 
  • Le chapeau « minotier » est celui des meuniers. C’était aussi le chapeau des pèlerins. C’est un chapeau à large bords pour protéger de la poussière de farine (ou de la pluie). Celui-ci est relevé sur l’avant.
  • L’aigrette est un type de héron, ainsi nommée parce qu’elle porte un bouquet de plumes (dit « aigrette ») dressé sur sa tête. Ici c’est un ornement fait de plumes de perroquet (ara) « couchées », placées horizontalement sur le chapeau.
  • Le capuchon doit remplacer le chapeau en temps de pluie. Il est là pour rappeler la réalité : à l’origine, c’était un vêtement pour la route.
 
Ce costume semble un peu décalé par rapport à son époque où les pèlerins se faisaient rares et étaient plutôt considérés comme des semi-vagabonds vivant de la charité chrétienne. 
Mais certaines de ces demoiselles avaient sans doute dans leur salon un portrait d’une belle et jeune ancêtre elle-même costumée en pèlerine.

Au XVIIIe siècle, pèlerins et pèlerines figuraient dans les bals de la bonne société

Au XVIIIe siècle, la noblesse allait souvent, sous un costume garantissant l’anonymat, danser dans les cabarets populaires. Le costume du pèlerin de Saint-Jacques s’y prêtait particulièrement. Il était utilisé également dans les bals masqués, tant celui de certaines confréries Saint-Jacques était devenu luxueux et suscitait admiration et envie. 
A la veille de la Révolution, le 19 juin 1783 à Versailles, les confrères de Paris furent ainsi invités à se produire « sous les yeux de la famille royale » et n’en furent pas peu fiers, car le fait fut consigné par un notaire : trois bourgeois de Paris « ont eu aujourd'hui l'honneur d'assister en habits de pèlerins sous les yeux du roi et de la famille royale à la procession du Saint-Sacrement en l’église Royale avec les confrères Pèlerins de la confrérie de Saint-Jacques » de la ville1.
 
Pour pérenniser les somptueux costumes, nombreux sont ceux qui ont fait appel à un peintre en renom, qui ajoutent bourdons enrubannés, gourdes et coquilles Saint-Jacques.
A cette belle marquise angevine ne manque que le bourdon (col. part.). 
Lettre 182, Les « usages mondains » du costume de pèlerin

Cette mode née en France fit également fureur au-delà du Rhin. 
Le musée national de Varsovie conserve le portrait de la sœur de Frédéric de Prusse, Sophie Wilhelmine margravina de Bayeuth, dû au peintre parisien Antoine Pesne (1683-1757). 
Dans son palais de l’Ermitage, à 2 km de Bayreuth, elle avait aménagé douze cellules dans lesquelles ses invités trouvaient, pour se costumer en pèlerins, des robes de bure, des chapeaux et de longs bâtons de pèlerins, des gourdes de bois ou d’argent. 
 
La lettre 32 « Quand la route de Compostelle devient celle de Cythère » a raconté comment, dès avant la mort de Louis XIV (1715), en opposition à l’austérité de la cour de Versailles toute une noblesse parisienne se pressait au théâtre pour voir des pièces légères. 
C’est ainsi que, le 7 octobre 1700 fut donnée à la Comédie Française à Paris une comédie musicale de DancourtLes trois cousines, mettant en scène trois pèlerines qui chantent
« venez dans l'île de Cythère en pèlerinage avec nous. Jeune fille n'en revient guère ou sans amant ou sans époux ». 
Ce fut un succès. La pièce est reprise en 1709 puis en 1724. 

Watteau lance la mode avec ses costumes de pèlerines

Watteau. Les 3 pèlerins
Watteau. Les 3 pèlerins
En 1702, le peintre Watteau quitte Valenciennes pour Paris. Très vite, il est séduit par le milieu théâtral qu’il fréquente assidûment. Il a donc assisté à la reprise des Trois cousines en 1709. Il est vraisemblable que, séduit par la pièce, dès ce moment il a commencé à concevoir son fameux « Embarquement pour Cythère » qui lui ouvrit les portes de l’Académie Royale en 1717. La preuve en est que l’on conserve de lui, daté de 1709, un dessin intitulé « Trois pèlerins » qui illustre ainsi son engagement dans le monde du théâtre et de l'opéra.

Personnage des Trois cousines ( https://gallica.bnf.fr)
Personnage des Trois cousines ( https://gallica.bnf.fr)



En 1716, il compose encore trois dessins de costumes pour les personnages de la pièce des Trois cousines , dont l’un, destiné à l’artiste vedette est intitulé « Mle. Desmares jouant le rôle de Pèlerine ». (estampe ci-contre)
Ce dessin est ensuite multiplié en estampes gravées par Deplace
La signature de Watteau y figure « Watteau del » du latin delineavit qui signifie « a dessiné » ou « a conçu ».

A cette date de 1716, Watteau travaille déjà depuis plusieurs années à son « Embarquement pour Cythère ». Ses dessins de pèlerins ne seraient-ils pas des études pour cette toile ?

L'embarquement pour Cythère (détail)
L'embarquement pour Cythère (détail)



La pèlerine de l'encadré, un peu en retrait sur la gauche du tableau, copié ci-dessous, ne présente-t-elle pas des similitudes avec la pèlerine des Trois cousines ?

Peut-on dire qu'elles sont à l’origine de l’une des œuvres de Watteau les plus célèbres, couronnée en 1717 ?

Le tableau est en tout cas l'aboutissement de ses recherches sur le sujet. Il est bien le point de départ de la mode des fêtes galantes qui a amusé la noblesse pendant le règne de Louis XV.

L'embarquement pour Cythère
L'embarquement pour Cythère
Il faut dire que, depuis le XVIIe siècle, la splendeur des costumes des pèlerins de la confrérie Saint-Jacques parisienne atteignait des sommets. ​Le chroniqueur Jean Loret, un « journaliste » qui publie chaque semaine des nouvelles de la société parisienne, rapporte à la date du 6 août 16602l a procession des confrères de Saint-Jacques-de-l’Hôpital

« Quelques-uns portaient des gourdes à garder vin, d'argent massif et du plus fin. Certains avaient des aubes blanches et de beaux rubans dans leurs manches. Ils étaient couronnés de fleurs et leurs bourdons étaient ornés de tant d'émail et de dorures et de diverses enrichissures que, ma foi, le sceptre des rois parfois moins d'ornements ».

La joie est grande car France et Espagne viennent de signer la Paix

« Ils marchaient en belle ordonnance, montrant plus de réjouissance qu'ils n'en avaient montré jamais.  On m'a dit que ce jour-là que, quelquefois à cause de leur amour de la Paix, ils exaltèrent la grâce de Dieu mieux que jamais. Ils banquetèrent, et burent bien des fois, vidant des tasses pleines, non seulement à la santé des deux rois, mais à celles, mêmement, des reines, et de leurs ministres aussi ».
 

Au XVe siècle, et sans doute auparavant, les confrères participaient à des fêtes carnavalesques, ou même, comme à Toulouse, portaient leurs chapeaux « en usages mondains », ce qui coûtait une amende d’un quart de cire3. Les chapeaux ont une importance toute particulière car, également à Béthune en 1439, il est interdit à un nouveau confrère, pendant la 1e année, de « donner, vendre, engager ou faire porter à autres » le chapeau qu’il vient d’acheter, sous peine de 3 sols d’amende. Pour la suite, il n’est rien spécifié4.
 
Merci à Hélène qui, à partir d’une gravure de mode du XIXe siècle, a permis cette promenade en remontant le temps. Elle nous a fait toucher au monde, frivole et sérieux en même temps, du théâtre, de la fête, des confréries et de la noblesse des siècles précédents.
Mais elle a aussi permis de lever un coin du voile sur l'histoire de cette oeuvre de Watteau.
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Notes

1 - Arch. dép. Yvelines, Acte passé devant les notaires du bailliage royal de Versailles, minutier étude Savouré
2 - Loret, Jean, Muze historique, t.III, p. 237-238 (https://gallica.bnf.fr)
3 - Arch. Hte-Garonne, E 1604.
4 - Arch. mun. Bétune HH7, fol. 23 (copie du XVIe siècle). Transcription G. Lespinas, Les origines du droit d’association, Lille, 1941, t.II, p. 194-196.