Institut recherche jacquaire (IRJ)

Saint Jacques Matamore de Notre-Dame-en-Vaux


Rédigé par Janine Michel le 29 Mars 2011 modifié le 31 Janvier 2022
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Un vitrail de l’église Notre-Dame-en-Vaux de Châlons-en-Champagne montre un magnifique saint Jacques Matamore. Jusqu'à présent tous les observateurs y ont vu une représentation de la bataille de Clavijo. Janine Michel, docteur en histoire de l'art, membre de la Fondation, présente ici une nouvelle lecture indiscutable de ce vitrail.



Présentation du vitrail

Vitrail du Matamore, vue d'ensemble
Vitrail du Matamore, vue d'ensemble
La figure de saint Jacques Matamore, tueur de Maures, guerrier plus que pèlerin, apparaissant l’épée au clair, sur son cheval blanc, à la tête des armées chrétiennes est plus répandue en Espagne qu’en France. Nous pouvons cependant l’admirer dans un vitrail du XVIe siècle de l’église Notre Dame en Vaux, à Châlons-en-Champagne. (Baie 27, 4,50 x 2,20 m, vitrail de saint Jacques, vers 1525. La date de 1525 a été ajoutée lors de la restauration de 1901, la date ancienne ayant disparu).

Ce vitrail est situé dans le bas côté Nord, le dernier à l’Ouest. Il est signé par Mathieu Bléville, maitre verrier picard. Le haut du vitrail  représente la Transfiguration, à laquelle saint Jacques assiste. Le registre inférieur représente les commanditaires, encadrant saint Jacques en Majesté : Jehan Lalemant, maitre drapier chalonnais et sa femme, Anne Chenu, accompagnés de leurs saints patrons ; au dessous, une ligne d’écriture indique :
« Jeh(an) Lalemant bourgeois de chaalons et Anne Chenu sa femme ont donné ceste verrière l'an MilVCXXV ».

Une bataille, mais laquelle ?

Les 12 panneaux de la partie centrale
Les 12 panneaux de la partie centrale
La partie centrale, divisée en douze panneaux est réservée à la bataille. On y reconnaît très bien saint Jacques au centre. Qui sont les autres combattants ? Jusqu'à présent il était admis qu'il s'agissait de la bataille de Clavijo (Corpus vitrearum, Champagne-Ardennes, 1992, p. 349).


Le chanoine Hubert, dans Notre Dame en Vaux de Chalons sur Marne, étude historique et archéologique, (Epernay, 1941), écrivait p. 81 : « Bataille contre les Maures à Las Nava de Tolosa » : complétait,, en note, : « Melle Germaine Maillet affirme que ce vitrail est la copie d’une gravure de Martin Schongauer (Les vitraux de Chalons, p.41) ».


Mais, à Claviro, saint Jacques était aux côtés du roi Ramiro, roi des Asturies et à Las Nava de Tolosa, en 1212, ce sont le roi de Castille et l’archevêque de Tolède qui dirigaient l’armée chrétienne.


La lecture du vitrail ne montre aucun indice permettant de reconnaître l'un ou l'autre de ces personnages. Une autre lecture apparaît donc nécessaire. Un examen plus attentif des personnages entourant saint Jacques et le rapprochement avec un texte tiré de la Chronique de Turpin l'ont permise.

Saint Jacques au centre du combat

Saint Jacques Matamore
Saint Jacques Matamore
Saint Jacques est au centre de la bataille, en Matamore avec sa bannière rouge à croix d'argent et son chapeau de pèlerin sur lequel sont attachées trois enseignes : deux coquilles, et deux bourdons croisés.

Le roi ennemi terrassé d'un coup de lance

Saint Jacques Matamore de Notre-Dame-en-Vaux
Qui est ce personnage tombant à terre, le cou percé par une lance et qui serre encore sa main sur la hampe de son étendard violet avec dragon noir ? Il ne peut s'agir que d'un roi sarrasin. Or aucune chronique ne rapporte la mort d'un roi sarrasin à Clavijo ou Las Navas.

Charlemagne présent derrière saint Jacques

Un examen attentif permet de reconnaître Charlemagne
Un examen attentif permet de reconnaître Charlemagne
Derrière saint Jacques et à sa gauche se trouve un personnage qui n'avait pas été correctement analysé jusqu'à présent. Il porte une triple couronne d’or à fleurs de lys et un étendard à l'aigle bicéphale noir sur fond d'or ; sur sa cuirasse sont visibles une fleur de lis sur fond bleu, et  un aigle sur fond d'or. La triple couronne est une couronne d'empereur, il s'agit donc de "l'emprereur Charlemagne".
Fleur de lis et aigle, symboles de l'empire franco germanique, confirment la présence de Charlemagne à cette bataille.
Cette bataille n’est donc pas celle de Clavijo ni celle de Las Nava de Tolosa, comme il était admis jusque là. Quelle est-elle ?

La Chronique de Turpin éclaire l'image

Un texte peut venir au secours de l'historien d'art  :

« …Quand ils virent leurs pertes, les Sarrasins se regroupèrent avec Aigoland au milieu d’eux. Mais voyant cela, les chrétiens les entourèrent de toutes parts. Arnaud de Beaulande se jeta le premier sur eux avec ses troupes, les décima et les rejeta à droite et à gauche, jusqu’à ce qu’il parvint à Aigoland qui était au milieu des siens et le tua puissamment de son propre glaive. Une clameur immense s’éleva aussitôt et, de tous côtés, les chrétiens se jetèrent sur les Sarrasins et les exterminèrent ».

Ce récit de bataille se trouve  dans le Pseudo-Turpin, au chapitre XIV. (La légende de Compostelle, Bernard Gicquel, Taillandier, Paris, 2003, p. 549).
 Il s'agit de la deuxième bataille de Pampelune. Le roi s'effondrant aux pieds de saint Jacques est Aigoland. Le vitrail montre également la lance d'Arnaud de Beaulande l'atteignant au cou.

Saint Jacques Matamore de Notre-Dame-en-Vaux
En effet, devant Charlemagne, Arnaud de Beaulande, à l’armure d’acier, enfonce sa lance dans la gorge du roi sarrasin Aigoland qui tombe de cheval, aux pieds de saint Jacques, son étendard  de roi sarrasin le confirme. De nombreux autres morts, des têtes et des membres sont dispersés sous les pieds des chevaux.
Saint Jacques concrétise ici la promesse qu’il avait faite à Charlemagne lorsqu’il lui avait demandé d’aller délivrer son tombeau : « Je serai à ton secours en toutes choses ».

La bataille de Clavijo de Martin Schongauer

Il est évident que l’auteur, Mathieu Bléville, s’est inspiré de la gravure de Schöngauer représentant la bataille de Clavijo, mais il ne l’a pas « copiée », comme le pensait Germaine Maillet. Dans cette autre bataille légendaire de l’an 844, saint Jacques est apparu également en Matamore : il est, comme dans le vitrail, au centre, en matamore, coiffé du chapeau de pèlerin, et va permettre au roi Ramiro de remporter la victoire ; cependant ce n’est pas cette bataille que Mathieu Bléville a représentée à Notre-Dame-en-Vaux, mais bien celle de Pampelune.

Il resterait à découvrir quelle version de la Chronique de Turpin a connue Matthieu Bléville.
La gravure dont s'est inspiré le maître verrier (musée Unterlinden, Colmar, vers 1470-80).
La gravure dont s'est inspiré le maître verrier (musée Unterlinden, Colmar, vers 1470-80).