Institut recherche jacquaire (IRJ)

Le label « Communes Haltes-Chemins de Compostelle en France » (2), lettre 138


Rédigé par le 24 Juin 2022 modifié le 13 Juillet 2022
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Une information récente relative à la première promotion de huit Communes Haltes-Chemins de Compostelle en France nous a permis de constater la fragilité de la mémoire collective, même relativement très récente puisqu’il s’agissait des réalisations ayant suivi immédiatement la Déclaration de Compostelle « Premier itinéraire culturel européen » en octobre 1987.
Remontant aux sources de cette décision afin de mieux la comprendre, nous lui avons consacré la lettre 137.

Cette lettre 138 traite de l’implication de la France dans l’application de la Déclaration d’octobre 1987 pendant les années 1987-1989. Outre les initiatives individuelles, elle présente trois initiatives prises ou soutenues par le gouvernement de la France, dont une conjointe avec le gouvernement espagnol. Elle constate que les trois sont aujourd’hui oubliées et s’interroge sur les raisons de leur échec.



L’implication de la France pour concrétiser le premier Itinéraire Culturel européen

Dès avant la proclamation faite à Compostelle par le Conseil de l’Europe, le gouvernement français s’est engagé volontiers dans l’aventure, tant elle s’annonçait prometteuse en matière d’essor du tourisme. Le 7 octobre 1987 le Ministre de la Culture et le Secrétaire d’Etat au Tourisme passaient une Convention relative à la mise en valeur des chemins de Saint-Jacques. La seule trace qui en subsiste est une réponse du Ministère de la Culture à une question posée par un sénateur*.
Il était prévu de créer un :

« axe prioritaire de la voie dite ‘de Tours’ qui part de Valenciennes et passe par Amiens, Paris, Chartres, Tours, Poitiers, Aulnay, Saintes, Pons, Blaye, Dax et Saint-Jean-Pied-de-Port ».

Sans doute sous l’influence de René de La Coste-Messelière, lui-même poitevin d’origine, la région Poitou-Charentes devait être retenue comme « région pilote » dans laquelle étaient prévues des manifestations et des restaurations de monuments. Il était même question d’une convention à passer avec le Centre d’Etudes Compostellanes de René de La Coste. 
 
Entre cette fin 1987 et 1989, trois autres projets, indépendants les uns des autres, ont répondu à l’appel de Compostelle, à Blaye, à Paris, et à Saint-Jean-d’Angély. Cette indépendance était contraire à toute idée de coordination. Il y avait là un second germe de désillusions, le premier, l’oubli de la création d’un centre de recherche structuré, a été souligné dans la lettre 137.
 
* - Journal Officiel du Sénat du 11 février 1988, p.199.
 

7 novembre 1987 à Blaye, au cœur de la Citadelle, un Centre culturel européen

Nous l’avons dit, le ban fut ouvert le samedi 7 novembre 1987, préparé lui aussi depuis plusieurs mois : sous la houlette du Conseil de l’Europe et sous la présidence d’Edgar Faure* fut créé le « Centre de la Communauté Européenne Intercommunale des Haltes de Saint-Jacques-de-Compostelle ». L’initiateur de ce Centre Culturel Européen était Gérard Baloup, jeune retraité qui avait occupé un poste important au Conseil de l’Europe. 
Tout ce qui suit provient des archives conservées à la mairie de Blaye, lesquelles sont peu ou mal datées.
Ce Centre avait pour objet :

 « d'entreprendre toute action dans les domaines culturels visant à promouvoir l'esprit européen et à aider à la construction de l'Europe [] l’un de ses buts était de favoriser et promouvoir toutes initiatives individuelles et collectives participant au développement culturel, touristique et socio-économique des collectivités locales concernées par les chemins de Saint-Jacques ».

Ses principaux partenaires étaient la Communauté européenne, le Conseil de l'Europe, les communes européennes ayant adhéré à la Communauté européenne des haltes de Saint-Jacques, les régions et communautés françaises et espagnoles de la Communauté de travail des Pyrénées, l'Assemblée des régions d'Europe.
Pour lancer et faire vivre cet énorme projet, il fut construit une machine impressionnante avec comité d’honneur, comité de présidence, conseil de direction internationale, conseil de direction générale, six délégués adjoints et neuf chargés de missions tous azimuts… sauf un azimut, la recherche historique (On parle de « restaurer » ce qui n’était pas encore connu …)
 
* -  Décédé, le 30 mars 1988. Présidence honorifique due, entre autres, à sa présence au Parlement européen entre 1978 et 1984.

La Charte de Blaye

Dans ces mêmes journées des 7-8 novembre 1987 fut ratifiée une « Charte de la Communauté européenne des Haltes de Saint-Jacques » rédigée en 6 articles détaillés. 
1 Objet
2 Constitution.
3 Membres.
4 Section administrative.
5 Organisation.
6 Financement.
Les buts étaient multiples :

 « Accueil des pèlerins et des touristes. Liaisons entre haltes et étapes. Actions de restauration et d'animation du patrimoine. Réhabilitation du patrimoine architectural et d'une façon générale, historique, littéraire, musical, artistique, et éventuellement naturel, à proximité des chemins créés par le pèlerinage. Organisation d'échanges. Participation de la jeunesse. Formation et emploi. Concertation avec les institutions européennes, la Communauté européenne et le Conseil de l'Europe ».

Un à un ils présentent la Charte, énumèrent les « Critères d’adhésion à la Communauté » ou définissent les « panneaux européens » de signalisation des communes Haltes de Saint-Jacques.
L’article 6 de la Charte, « Financement » évoque des ressources provenant de tous les organismes fondateurs, mais aucun chiffre n’est avancé. Il prévoit un budget mais tout aussi vague et parle d’un « capital permanent ». Rien sur les salaires, comme si tout le monde était bénévole. Rien sur les bureaux. On sait seulement que des travaux ont eu lieu dans l’église du couvent des Minimes en 1988 et, rappelons-le, la « Halte » pour les pèlerins a été ouverte dans un ancien casernement.
Le plus long de ces documents élabore un projet destiné à être une fonction essentielle de Blaye, devenir un « Centre européen de rencontre et de formation de la jeunesse des chemins de Compostelle » prévoyant accueil et hébergement des jeunes pèlerins, animations, cours de langue, stages internationaux. Bref, Blaye serait le centre névralgique d’un « Tour d’Europe des jeunes sur le chemin de Saint-Jacques ». A lui d’assurer la coordination dans l’Europe entière.

Premières initiatives

Il s’ensuivit plusieurs créations locales, une Fédération d’Aquitaine des Haltes de Saint-Jacques et deux Fédérations départementales, Gironde et Pyrénées-Atlantiques.
Rappelons que, dans l’année qui a suivi, ont adhéré « plus d'une centaine de communes de France, Belgique, Italie, Espagne et d'associations européennes pour l'animation des chemins de Saint-Jacques ». 

Rien dans les archives ne laisse deviner les noms de ces communes. Il n’aurait pas été étonnant qu’y ait figuré Le Bouscat, dont le maire, Jean Valleix, européen convaincu, transforma, le 20 octobre 1988 son Ermitage en « Ermitage Compostelle » et dota sa ville de deux ronds-points ornés de pèlerins. Aucune archive de la mairie du Bouscat ne parle de cette éventuelle adhésion. La recherche reste ouverte…

Paris-Compostelle « Fondation européenne du chemin de Saint-Jacques »

Le 30 mars 1989,  à l’initiative des ministères de la Culture français et espagnol, Jack Lang et Jorge Semprun Maura signèrent un

 « accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume d'Espagne portant création de la Fondation européenne du chemin de Saint-Jacques ». 

Cette création fut ratifiée par la publication d’un décret au Journal officiel de la République française (n°113 du 16 mai 1990). Les deux Etats, 

« désireux de promouvoir la rénovation du patrimoine et l'animation culturelle le long des chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle [ils] constituent une institution dénommée Fundacion europea del Camino de Santiago/Fondation européenne du chemin de Saint-Jacques ou la dénomination correspondante dans la langue officielle des Etats européens qui adhéreront au présent accord ».

Le siège fut établi à Compostelle, dans un immeuble mis à disposition par le Royaume d’Espagne ».
Et l’on retrouve les mêmes objectifs :

la promotion des itinéraires de Saint-Jacques grâce à la coopération entre les administrations des Parties et d'autres institutions publiques ou privées intéressées, la promotion d'actions destinées à la restauration du patrimoine ainsi qu'à la revitalisation culturelle des chemins de Saint-Jacques, la promotion dans les Etats européens d'initiatives qui favorisent les échanges culturels entre les peuples et l'Europe. 

A Paris, furent nommés un directeur général, Frédéric Duval et un chargé de mission Jean Passini, chargé des itinéraires géohistoriques ; ils étaient présents à Viterbe lors du colloque des 28 sept-1er octobre 1989. Ils ont été salués par le président qui annonça cette

« création par les gouvernements français et espagnol, d'une fondation à vocation européenne, bien dotée sur le plan financier, qui vient s'intégrer aux travaux de revitalisation des chemins de Saint-Jacques, avec des perspectives scientifiques ».
Les bureaux de Paris étaient situés 22 rue Tourlaque 75018 Paris. Tout s’annonçait donc fort bien, mais le silence postérieur est total sur le devenir de cette Fondation prometteuse.
Tout ce qu’on sait, c’est que seule l’Espagne a vu, en 1993, le Camino francés inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco, laissant la France au bord du chemin.      


Rentrée scolaire 1989 Saint-Jean-d’Angély. Centre de culture européenne

Sans aucune concertation avec Blaye, sans la présence du Conseil de l’Europe mais sous la quadruple action du Ministère français de la Culture (dont ce fut la 3e intervention), de la municipalité de Saint-Jean-d'Angély, du Conseil régional de Poitou-Charentes et du Conseil général de la Charente-Maritime fut ouvert un nouveau « Centre de culture européenne ».

Très étonnamment, il reprenait l’une des idées de Blaye, former la jeunesse. Il tenait des sessions pluridisciplinaires de culture et de citoyenneté européenne proposées aux jeunes de 16-19 ans venus de tous les pays d’Europe. 
Des difficultés financières l'ont contraint à la fermeture en 2015, mais il a tenu vingt-cinq ans, avec un bilan qui est loin d’être négatif. Son site Internet fait état récemment de 80 sessions de 100 jeunes venus de 18 pays pour deux semaines, auxquelles s’ajoutent 25 rencontres dans divers pays (Allemagne, Espagne, Italie, Hongrie, Maroc, Tunisie et Roumanie). Sont intervenus près de 600 artistes, artisans, universitaires, acteurs de la société européenne.
 
Compostelle n’a certes pas été le cœur des formations données ! Une exception fut, dans le cadre du patrimoine roman cher à la région Poitou-Charentes, l’organisation d’une Université d’automne à l’intention des médiateurs du Patrimoine sur le thème du pèlerinage, du 18 au 20 octobre 2010. Un vrai colloque, avec différents intervenants professionnels du tourisme et du patrimoine, des universitaires, et une vraie volonté de remettre en cause des vérités établies. Bref, un échantillon de tout ce qui aurait dû se pratiquer dès le départ, une collaboration entre médiateurs du patrimoine et les experts, pour aboutir à une mise à disposition du grand public de connaissances nouvelles. En 2017, la revue Le Picton s'est fait l'écho de travaux présentés lors de cette rencontre.

Que conclure ?

Beaucoup d'acteurs, beaucoup de discours pour un bilan très éloigné des ambitions initiales. Pourquoi ces feux d’artifice ont-ils été des pétards mouillés ? Les rêves ont cédé la place à des désillusions, chacun attendant peut-être de l’autre qu’il finance la majeure partie des projets. D’une part l’Europe apparaissait comme un pourvoyeur de fonds providentiel et d’autre part l’Europe attendait peut-être une implication des institutions nationales. Toutes les belles déclarations, non accompagnées de mesures économiques nécessaires, sont mortes dans l’œuf ou dans la prime jeunesse.
Les initiatives prises révèlent des tensions entre villes et régions voisines, jalousies, oppositions politiques, ambitions personnelles. René de La Coste a tenté à chaque fois d’obtenir une vraie reconnaissance de son Centre d’Etudes Compostellanes, mais il n’a jamais été suffisamment écouté.
 

Le Picton, n°243, mai-juin 2017
Le Picton, n°243, mai-juin 2017



Les textes fondateurs de l'Itinéraire culturel avaient été rédigés par des personnes pour lesquelles, comme l’a même dit un éminent professeur parisien, « tout avait été dit sur Compostelle ».
Cette absence de curiosité intellectuelle pour un phénomène supposé connu est sans doute aussi une des causes de l'échec d'initiatives qui se copiaient mutuellement.

La réussite de Saint Jean d'Angely qui a su innover en utilisant l'image de Compostelle pour promouvoir une culture européenne, n'en serait-elle pas une preuve ?