Institut recherche jacquaire (IRJ)

Le Livre de saint Jacques et le Codex Calixtinus

Après 7 siècles de sommeil une reconnaissance mondiale


Rédigé par Bernard Gicquel le 17 Décembre 2009 modifié le 4 Février 2024
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Spécialiste incontesté du Codex Calixtinus dont il a assuré la traduction intégrale en français, assortie d'une présentation très fouillée de sa genèse, Bernard Gicquel le fait découvrir de façon résumée.
Il explique ainsi le titre : Le Livre de saint Jacques désigne le contenu, tel qu'un ou plusieurs auteurs le confient à un éditeur, le manuscrit dit Codex Calixtinus, conservé à Compostelle, est une édition de ce contenu.



Un seul manuscrit rassemblant des textes divers

Bernard Gicquel est l'auteur de la seule traduction intégrale en français du Codex Calixtinus
Bernard Gicquel est l'auteur de la seule traduction intégrale en français du Codex Calixtinus


 
Le grand recueil de textes relatifs à saint Jacques qui figure tantôt sous la première tantôt sous la seconde de ces désignations est un dossier arrêté en cours de constitution qui rassemble, en quatre livres portant chacun son numéro d'ordre, des textes relatifs au culte (Livre I), aux miracles (Livre II), à la translation (Livre III) et au pèlerinage (Livre IV) de saint Jacques. Il forme ainsi une somme. Entre le Livre III et le Livre IV, le manuscrit du Codex Calixtinus comporte l'Histoire de Charlemagne et de Roland attribuée à Turpin, archevêque de Reims (communément appelée le Pseudo-Turpin). Au delà du quatrième livre, un Appendice contient encore des poèmes de caractère liturgique ou hagiographique et des pièces musicales. L'attribution des quatre livres au pape Calixte II, censé avoir compilé ces textes et leur avoir adjoint une préface, lui a valu d'être désigné comme Codex Calixtinus. Pas plus toutefois qu'on ne confond pour des textes modernes les œuvres et leurs éditions, on ne peut employer indifféremment les termes de Livre de saint Jacques et de Codex Calixtinus. Le premier désigne les textes, qui ont chacun leur histoire propre, et le second un manuscrit qui les contient, dont la genèse est un tout autre problème.

Plus de la moitié consacrée à des oeuvres liturgiques

Le premier Livre du Livre de saint Jacques, consacré essentiellement aux homélies, aux messes et aux offices occupe à lui seul plus de la moitié du Codex Calixtinus, ce qui marque une disproportion considérable en faveur de l'orientation liturgique et pastorale, deux dimensions de la pratique religieuse qui définissent les chanoines réguliers de saint Augustin. L'importance accordée dans ces textes à l'imitation de la vita apostolica par le clergé et la fidélité au rite romain vont dans le même sens.
 
L'essentiel de ces sermons est l'exposé de la doctrine chrétienne, développé parfois au point de perdre tout rapport concret avec saint Jacques, qui n'en est que le prétexte. Aussi bien celui-ci n'est-il intéressant que par sa transparence au profit du message évangélique, et ces discours n'ont pas pour vocation première de transmettre des informations à son sujet, mais de conforter dans la bonne voie leurs auditeurs putatifs, sans doute plus des prêtres et des moines que des laïcs,  en leur rappelant les saints préceptes et en stigmatisant les abus généralisés.
Le sermon 17, Veneranda dies, dont on a pu dire qu'il était un véritable traité du pèlerinage, fait ici quelque peu figure d'exception car il reprend les thèmes de la translation de saint Jacques qui en est le fondement, rejette les légendes apocryphes qui s'y rattachent, condamne les pratiques frauduleuses des aubergistes sur le chemin de Saint-Jacques, met en garde contre les faux prêtres et propose une interprétation symbolique très poussée des attributs traditionnels du pèlerin.

La publicité par les récits de miracles

Le deuxième Livre du Livre de saint Jacques est consacré aux Miracles . L'hymne Ad honorem Regis summi conservée dans la version préalable du Livre de saint Jacques qu'est le Livre des Miracles de saint Jacques du pape Calixte fournit un sommaire de vingt-deux miracles qui sont à la base de cette compilation en même temps que l'attribution de ceux-ci à Aimeric Picaud, prêtre de Parthenay , où existait un hôtel-Dieu Sainte-Madeleine, qui était un prieuré de chanoines de saint -Augustin.
Selon toute probabilité, ce personnage déterminant pour l'avenir des textes légendaires relatifs à saint Jacques, est celui même qui a été envoyé à Compostelle en 1131 par le Patriarche de Jérusalem, Guillaume de Messines, lui-même chanoine de saint Augustin . Faisant un détour par Cluny, pour présenter au pape Innocent II, lui aussi chanoine de saint Augustin, les lettres d'obédience du Patriarche, il est porteur de quelques miracles que celui-ci aura rédigés et recueille en cours de route des miracles portés au compte d'autres saints et qui lui semblent bons à être transférés à saint Jacques. Son procédé est donc identique à celui par lequel des sermons prononcés originairement à propos d'autres saints sont rattachés ici à saint Jacques. Parmi les fournisseurs de ces miracles, l'un est particulièrement distingué, un certain Hubert, chanoine de Sainte-Marie-Madeleine de Besançon, donc engagé dans le même cadre de dévotion qu'Aimeric Picaud lui-même.

L'objectif qu'il faut bien dire publicitaire de ces miracles est très net. Tous survenus au profit de pèlerins de saint Jacques, ils visent manifestement à chasser la crainte dissuasive que pouvait ressentir naturellement tout candidat au pèlerinage, en montrant saint Jacques à l'affût de toutes les difficultés que pouvaient rencontrer ses pèlerins et n'attendant pour solliciter une intervention divine qu'une prière instante émanant d'un cœur pur. Bonne occasion au passage de rappeler les préceptes qui assurent la validité d'un tel pèlerinage : la confession, la chasteté, la charité, etc.

La légende de saint Jacques et l'invention de son tombeau

Le troisième Livre du Livre de saint Jacques développe les informations légendaires sur la translation merveilleuse de saint Jacques, qui racontent son transfert, de Jérusalem, le lieu de son supplice, à Compostelle, où il trouve sa dernière demeure. Elles figurent déjà dans l'hymne Ad honorem Regis summi rapportée sous le nom d'Aimeric Picaud.
Contrastant avec les textes qui renvoient au passé lointain de la translation de saint Jacques, d'autres développements en montrent le prolongement à l'époque contemporaine sous la forme de trois célébrations , celle de l'élection et de la translation, qui est l'ancienne fête compostellane du 30 décembre, celle de la Passion, qui est la fête romaine du 25 juillet, enfin celle des miracles, le 3 octobre, attribuée à saint Anselme, donc d'invention postérieure à la rédaction des Miracles, mais qui ne paraît pas s'être imposée dans la pratique.


 

Un Livre souvent confondu avec le tout

Enfin le quatrième Livre du Livre de saint Jacques, n'a pas de titre mais concerne à l'évidence le pèlerinage à Saint-Jacques. C'est celui qui a suscité le plus de fantasmagories. La première et la plus fréquente a été de l'attribuer lui aussi sans aucune preuve à Aimeric Picaud. Presque aussi fréquent, et développé à loisir, est l'anachronisme qui consiste à faire croire que ce Guide du Pèlerinage, connu seulement depuis 1884 et répandu par sa traduction française parue pour la première fois en 1938, a été largement diffusé au moyen âge, alors qu'il n'en est rien.

L'ignorance généralisée de ce texte est établie par deux ordres de faits concordants : le premier est qu'il existe seulement sous la forme que nous lui connaissons aujourd'hui dans le Codex Calixtinus, qui jusqu'à la fin du dix-neuvième siècle n'est pratiquement pas sorti des Archives de la cathédrale de Compostelle, le second est qu'aucun récit ni itinéraire de pèlerin des siècles ultérieurs ne le mentionne ni même ne se conforme à l'itinéraire qu'il propose. La troisième erreur commise à son propos et induite par le titre qui lui a été accolé de Guide du pèlerin, consiste à croire qu'il indique des chemins de Saint-Jacques sur un mode prescriptif, alors qu'il ouvre seulement des possibilités.

Cette présentation des chemins de Saint-Jacques émane des chanoines réguliers de saint Augustin à qui a été confiée en 1132 la direction de l'hôpital de Roncevaux. C'est là le fait déterminant d'où découle entre autres la mention de la sépulture de Roland à Blaye, dans la collégiale Saint-Romain ainsi que le dépôt de son cor à Saint-Seurin, tous établissements gérés eux aussi par des chanoines de saint Augustin. Toutefois la présentation des divers sanctuaires de la route ne passe pas sous silence ceux qui sont des abbayes clunisiennes, en particulier Vézelay et Saint-Gilles, elle manifeste donc un équilibre sensible entre les deux ordres religieux, qui témoigne de leur collaboration au service du pèlerinage.


 

Charlemagne invoqué au secours de Compostelle

Intercalée entre le troisième et le quatrième Livre du Livre de saint Jacques l'Histoire de Charlemagne et de Roland attribuée à l'archevêque Turpin est le résultat final d'une évolution relativement complexe dont le moteur est la rédaction successive de trois récits différents traitant de la calamiteuse sortie d'Espagne de Charlemagne par Roncevaux.
Le premier, rédigé vers 1110 en relation avec l'archevêché de Pampelune et le pape Pascal II, fait de Roland non seulement un héros sans peur et sans reproche mais un saint laïque qui défend la chrétienté contre l'Islam et meurt tout comme Turpin, archevêque de Reims.
Le second récit, de caractère autobiographique et attribué à Turpin lui-même, date vraisemblablement des années 1123-1125 et doit être vu en relation avec l'application que fait Compostelle des décisions du concile du Latran et des intentions du pape Calixte II. Turpin y participe au combat mais y est seulement blessé et survit assez longtemps pour raconter ses souvenirs, soignant ses blessures à Vienne, ce qui suggère son identification avec le pape Calixte II, archevêque de cette ville.
Enfin un troisième récit, voit le jour après l'implantation des chanoines réguliers à Roncevaux. Plus rigoureux sur le plan du droit canon, il éloigne l'archevêque des combats, mais, pour conserver la qualité autobiographique du récit, lui attribue une vision céleste qui l'informe de leur déroulement.
Le dernier de ces trois récits de la bataille de Roncevaux, imputables successivement aux chanoines réguliers de Pampelune, Compostelle et Roncevaux, appellera en compensation le récit d'une glorieuse entrée d'Espagne. Celui-ci sera fourni par Saint-Denis, qui rappellera, en la mettant sous le nom de Tylpin, forme exacte du patronyme de l'archevêque de Reims, que celui-ci fut initialement moine sous ce nom à Saint-Denis. Le plus important dans ce texte est l'apparition de saint Jacques à Charlemagne pour lui demander d'aller délivrer la Galice et son tombeau du joug des Infidèles.


 

Un cadeau inutile et un manuscrit oublié

En dépit de la diversité de leurs contenus et de leurs rédacteurs de nombreux textes du Livre de saint Jacques ont aussi cette particularité commune d'être connus à l'état isolé par des manuscrits originaires de la très brillante abbaye de chanoines réguliers que fut Saint-Martial de Limoges. Dans les années antérieures à 1160, son abbé n'était autre que Pierre de Poitiers, ancien bibliothécaire de Cluny, ami de Pierre le Vénérable et envoyé par lui à Tolède en 1151 pour contribuer à une traduction latine du Coran.

Il y a quelques raisons de soupçonner Pierre de Poitiers d'être l'auteur de la mise en scène décrite dans la lettre-préface du Livre de saint Jacques attribuée au pape Calixte, car il a été lui-même témoin de la rencontre du chanoine Aimeric Picaud avec le pape Innocent II à Cluny, et d'avoir stylisé celle-ci en la rehaussant d'un cran pour en faire une sorte de vision quasi divine impartie au pape Calixte. Le personnage christique censé apparaître à ce dernier pour approuver sa collection de miracles l'invite en outre à achever le sermon Veneranda dies qui figure dans le Livre de saint Jacques. Comme bien d'autres passages de la compilation ce sermon comporte des vers empruntés au poète Venance Fortunat, évêque de Poitiers, que l'on peut considérer comme une sorte de signature de Pierre de Poitiers. Ainsi, l'auteur du Livre de saint Jacques, qui est représenté sous le masque du pape Calixte II serait-il non seulement fictif mais composite, à la fois Aimeric Picaud de Parthenay et Pierre de Poitiers, le premier en tant que rédacteur des miracles et le second en tant que rédacteur du sermon Veneranda dies.

L'intervention de ce dernier ne se limite pas à cela. Selon toute vraisemblance il a été aussi le remanieur des récits de miracles du Livre II, le compilateur des récits de translation du Livre III et le dernier rédacteur de l'Histoire de Charlemagne et de Roland, celui qui a opéré la fusion non seulement des deux dernières versions du récit de Roncevaux, mais encore de celui-ci et de l'Entrée d'Espagne dionysienne, non sans pourvoir l'une et l'autre partie de commentaires édifiants et parénétiques (ndlr : de parénèse = discours moral, exhortation - terme peu usité selon Littré) propres à en dégager tout le sens moral.

Une intervention postérieure, due vraisemblablement à Hugues le Poitevin, chroniqueur de Vézelay, viendra étoffer le Guide du Pèlerinage et rassembler les parties musicales des messes du Livre I. Ainsi mis au point, le texte aura été transmis à Cluny pour y être copié pendant le bref abbatiat de Hugues de Frazans, qui, destitué en 1161, se réfugie d'abord auprès de Frédéric Barberousse, emportant sans doute les quatre Livres du Livre de saint Jacques. C'est sans doute à la cour impériale, où l'on s'intéressait naturellement à une version germanique de l'Histoire de Charlemagne et de Roland, qu'aura eu lieu l'interpolation entre le Livre III et le Livre IV.

En envoyant à Compostelle le cardinal de Wittelsbach faire hommage de ce précieux manuscrit à l'occasion de la consécration solennelle de la nouvelle cathédrale, en construction depuis près d'un siècle, Frédéric Barberousse pouvait espérer y trouver un appui pour la canonisation de Charlemagne par l'antipape qu'il avait instauré. Son espoir fut déçu, Compostelle ne le suivit point et le cardinal de Wittelsbach abandonna son parti pour se ranger aux côtés du pape légitime Alexandre III. L'ouvrage fut déposé dans le trésor de la cathédrale, où quelques exemplaires de prestige furent copiés au XIVe siècle, au profit du pape et de quelques souverains qui s'empressèrent de les archiver. Il ne fut connu qu'à la fin du XIXe siècle, tandis que le contenu des Livres II et III, ainsi que l'Histoire de Charlemagne et Roland - cette dernière surtout - bénéficiaient d'une plus large diffusion par le biais du Livre des Miracles de saint Jacques du pape Calixte, sous les diverses formes qui sont autant de versions préalables du Livre de saint Jacques.

Bernard Gicquel
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Cet article rédigé pour le site www.saint-jacques.info a été repris est mis en page pour ce nouveau site de l'IRJ.