Institut recherche jacquaire (IRJ)

Une image venue de Compostelle ?


Rédigé par le 28 Février 2023 modifié le 2 Mai 2023
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Premier document historique proposé par Denise Péricard-Méa, co-présidente de l'IRJ, dans le cadre de l'espace culturel souhaité par le président Jorge Martinez Cava, pour présenter des " sources historiques ".



Cette image a été retrouvée dans les archives du château de Brousse-le-Château, en Aveyron. Elle est conservée dans les archives du diocèse de Rodez à qui nous devons cette reproduction.
Elle ne comporte aucune mention de lieu. Michel Pastoureau, l’historien d’art bien connu, la date de la fin du XVIe siècle, ce qui est vraisemblable. 
La première hypothèse qui vient à l’esprit est qu’elle a pu être rapportée de Compostelle par le seigneur du château : au XVe siècle l’un des membres de sa famille avait fait construire l’église Saint-Jacques en contrebas du château, mais attenante. 
L’absence de nom de lieu pourrait évoquer la Confrérie Internationale de l'apôtre saint Jacques1 créée par les rois Ferdinand et Isabelle pour financer la construction de l’hôpital des Rois Catholiques (voir ci-dessous).
L’image de saint Jacques évoque la statue du maître-autel de la cathédrale de Compostelle ; l’apôtre tend sa main gauche vers  deux nobles agenouillés. A sa droite, un groupe de clercs en prière et, à ses pieds deux groupe de pèlerins « ordinaires » séparés par une image du pendu-dépendu. Derrière lui sont suspendus des ex votos, jambes, mains, bras, cœurs.
 

1- Lucas Alvarez M., El hospital Real de Santiago (1490-1521), Santiago, 1964, p. 59-70.
Santiago, Arch. Hosp. Real Comp., Docs. reales s.XVI, “ compulsa de bulas ”, fol.12-18 …
Caton Fernandez J. M., El Archivo del Hospital de los Reyes Catolicos de Santiago de Compostela, Inventario de fandos, Santiago, Universidad, 1972


Partie des pardons et indulgences que gagnent les Confrères et Confreresses de la tres Saincte Confrairie du Bienheureux apostre sainct Iacques


Premierement sont participant de toutes les messes qui se celebrent en l'esglise de l'hospital et à toutes les prieres & Oraisons qui se disent nuict et iour en icelle toutes les Messes et prieres qui se font iournellement en toutes les Confreries de la chretiente Item à l’entrée de la Confrairie, Confez & Communiez un iour de l’annee de leur réception tel qu'ils voudront gagneront indulgence Pleniere & rémission de tous leurs pechez. Et le iour de sainct Iacques il y aura la meime indulgence depuis les premieres Vespres iusques au soleil couchant de ladite Feste. Et aux quatre festes de nostre Dame : Annonciation. Conception. Assomption et Nativité d’icelle, gagneront en visitant leur Eglise Paroissielle sept quarantaines d’Indulgences Plenieres, et rémission de pénitence a eux enjointe. Il est permis ausdits Confreres d’eslire un Confesseur approuvé de l’Ordinaire, qui les pourra absoudre de tous leurs péchez quels qu’ils soient en forme de Iubilé, aussi à l’article de la mort, invoquant le Nom de Jesus de coeur [si] ne pouvant de bouche, gagneront Indulgence Pleniere et remission de tous leurs péchez, ou disant cinq fois le pater noster et ave Maria. Tous ceult et celles qui donneront pour faire dire des Messes audit Autel S. Iacques delivreront un âme de Purgatoire de leurs Peres et Meres, parens et amis ou autres trespassez par maniere de suffrage.
 

La première phrase de la prière mentionne une « église et hôpital » dans laquelle sont dites « nuit et jour » des oraisons en faveur de « « toutes les confréries de la chrétienté ».

Est-ce un écho de cette « confrérie internationale de l’apôtre Jacques » ? Car cette confrérie eut un but bien réel, celui de faire financer par tous les pèlerins de la chrétienté le nouvel hôpital qui les accueillerait lors de leur pèlerinage à Compostelle.

Confrérie internationale de l’apôtre Jacques

Compostelle instaure dès avant la fin du XVe siècle une confrérie européenne des Rois catholiques qui fut certainement un puissant moyen promotionnel. En 1486, soit dix ans après le début de leur double règne, les Rois Catholiques Ferdinand et Isabelle accomplissent le pèlerinage en Galice et décident d'entreprendre, à la porte de la cathédrale de Compostelle, la reconstruction du vieil hôpital des pèlerins. Cette reconstruction fut assortie de la création d’une confrérie internationale afin de recueillir des fonds pour assurer le financement de ce vaste projet. Les rois ne faisaient que reprendre en les amalgamant deux très anciens systèmes, les quêtes et les associations de prières. On retrouve une trace des premières à Troyes2 au XIVe siècle : parmi les 39 quêteurs passés dans l’année 1320 à la collégiale de Troyes et ayant reversé un droit au chapitre figure à la dernière ligne le revenu, 7 livres, « de la queste S. Jacques en Gallice », somme relativement faible au regard de plusieurs autres.
Les Rois Catholiques ne pouvant plus se satisfaire de revenus aléatoires ont alors fait appel au pape Innocent VIII (1484-1492). Ils pouvaient se le permettre étant donné qu’ils lui avaient prêté assistance lors de ses démêlés avec Naples3 au début de 1486 et qu’ils s’étaient portés garants du traité de paix. Innocent VIII accorda donc aux souverains espagnols, à une date qui n’est pas précisément connue, une grande campagne d'indulgences en faveur d’une confraternitas, « Confrérie Internationale de l'apôtre saint Jacques4».Si le texte de fondation a disparu on en connaît la teneur par la bulle d'Alexandre VI de 1497 confirmant celle de son prédécesseur ; après la prise de Grenade, plus rien ne pouvait être refusé aux rois espagnols.
Ces bulles promettent des indulgences pour soi ou pour les âmes du Purgatoire en participant à une Œuvre qui consiste à aider l'hôpital de Compostelle qui reçoit « les pauvres pèlerins de diverses parties du monde, aussi bien sains que malades ». Sont admis dans cette confrérie européenne « tous ceux qui veulent y entrer, quelle que soit leur Nation ou Province d'origine », à condition qu’ils paient la somme minimale d'un vingtième de ducat qui constitue une garantie de ressources.
La perception du droit d'entrée dans la confrérie est remarquablement organisée. On la connaît bien à Compostelle à partir du début du XVIe siècle, au moment où l’hôpital neuf fut ouvert : le Conseil de l'hôpital, présidé par l'administrateur5 a met à ferme par zones géographiques. Elle n’est confiée qu’à des receveurs présentant de solides garanties, munis d’une licence royale confirmée par l'évêque, d’un ordre de mission et d’une traduction de la Bulle, laquelle est apposée partout en guise d'affiche de propagande, accompagnée de « petits troncs ». On se méfie des faux-quêteurs qui hantent les routes et les receveurs de Compostelle doivent être immédiatement reconnus. Ils délivrent à chaque nouvel inscrit un texte de la Bulle et rendent des comptes à l'issue de chaque mission. La création de confréries-satellites ne pouvait que simplifier le système de recouvrement de l'argent versé.
 
 

2- Arch. dép. Aube, reg. G. 345, compte de l’église de Troyes, 1320
Assier A.,Comptes de l’Œuvre de l’Eglise de Troyes, Troyes, 1855,  p.16-18
Jacomet H., Pèlerinage et culte de saint Jacques en France : bilan et perspectives, Pèlerinages et croisades, Actes du 118e colloque de Pau, 1993, Paris, C.T.H.S., 1995, p.170, n.332
3 - Pastor L., Histoire des papes depuis la fin du Moyen Age, trad. de l’allemand par F. Raynaud, Paris, 1898, Innocent VIII, t.V, p.254-255, 
4 - Lucas Alvarez M., El hospital Real de Santiago (1490-1521), Santiago, 1964, p. 59-70.
Santiago, Arch. Hosp. Real Comp., Docs. reales s.XVI, “ compulsa de bulas ”, fol.12-18 …
Caton Fernandez J. M., El Archivo del Hospital de los Reyes Catolicos de Santiago de Compostela, Inventario de fandos, Santiago, Universidad, 1972
5 - Lucas Alvarez M., El hospital Real de Santiago (1490-1521 )…op. cit.,  p.64.


La Confrérie en Europe

Quel fut l’impact européen de cette vaste entreprise ? Jean Herwaarden signale dès 1497 une vente aux Pays-Bas et en Angleterre, coordonnée par l'espagnol Alfonso de Losa6. Le Scottish Record Office d’Edimbourg conserve un reçu imprimé pour la donation de l’un de ces vingtième de ducat… Le reçu porte le sceau de Saint-Jacques et le cachet d'Alfonso de Losa, notaire, par délégation du siège épiscopal7 Le 15 octobre 1508 l'empereur Maximilien et l'archiduc Charles publaient une ordonnance autorisant l'extension en Allemagne de la confrérie galicienne de l'apôtre saint Jacques8.

Quelques indices permettent de penser qu’elle fut également efficace en France dès avant cette date, si tant est qu’on puisse généraliser l’exemple du Mans. En 1490 fut fondée -ou refondée- une confrérie Saint-Jacques au Mans9 au retour d’un pèlerinage à « la demeure du très saint apôtre Jacques Zébédée de Compostelle en Galice », voyage qui avait regroupé des fidèles venus de tout le diocèse, dirigés par le chapelain de l’évêque.
Les statuts10 font d’emblée de l’accomplissement du pèlerinage en Galice la condition d’entrée dans la confrérie :

« la confrarie de mon dit seigneur sainct Jacques en Compostelle érigée et fondée … par les frères et seurs qui firent le dict sainct voaige … Nul ne sera receu en la dicte confrarie s'il n'a fait et accompli le dit sainct voaige eou promis ou fait veu d'y aller ou envoyer de ses biens pour la réparacion de l'église … Et y seront receues les femmes de ceulz qui auront accompli le dit sainct voaige ».


Il n’y a rien là que de relativement banal mais ce qui l’est beaucoup moins est le fait que, par deux fois les statuts notent que sont admis dans la communauté tous ceux qui « envoyront de leurs biens selon leur volonté à Monsieur Sainct Jacques pour la réparacion de l'église » et soulignent dans le prologue que les confrères manceaux seront nommés par le « très glorieux apôtre lui-même dans ses saintes prières ».
Un document un peu postérieur vient confirmer ces observations, et les transformer en certitude, « une pancarte en parchemin, destinée à être affichée dans une église » sur laquelle étaient transcrites « des lettres d'indulgences données par le cardinal Philippe de Luxembourg en faveur de la confrérie de Compostelle11 ». Elle était ornée des armes des trois cautions officielles, à savoir celle du cardinal, de la Ville du Mans et du Roi. Elle est malheureusement disparue, mais a été décrite en 1894.

Notre image de Brousse est moins explicite, mais plus tardive… En 1609 encore, le procureur général en France de la confrérie européenne de Santiago lançait encore une nouvelle quête « en faveur de l’hôpital du dit Saint-Jacques12 » ce qui prouve la vitalité de cette confrérie et l’écho qu’elle trouva en France au temps de la Ligue.

La confrérie européenne des Rois Catholiques, par son dynamisme a contribué fortement à étendre la renommée de Compostelle. Parallèlement à ce type d’action, on constate une large diffusion des textes résultant des nombreux travaux de recherche effectués au XVIe siècle par Compostelle, en réponse aux critiques de Rome. L’imprimerie a permis de répandre à profusion des images pieuses présentant saint Jacques comme Patron de l’Espagne que l’on retrouve un peu partout en France dans les fonds d’archives. Des Vies de saint Jacques ont également été multipliées ainsi que des Chansons de pèlerins de Compostelle éditées en particulier dans les livrets de Troyes.

L'importance et le succès de cette grande entreprise peuvent aussi se mesurer à l'ampleur des réactions hostiles qu'elle a suscitées, également en Allemagne où, dès 1517 des tracts contre les pèlerinages inondent le pays. A cette époque, Luther13se fait l'interprète de critiques générales à l'encontre de ceux qu'on regroupe sous l'appellation de « frères de Santiago » : le 25 juillet 1522, il prononce un vigoureux réquisitoire contre le pèlerinage à Santiago où il n'est pas prouvé historiquement, dit-il, que soit le tombeau de l'apôtre. Il s'inscrit en même temps contre le principe de ce lointain voyage, qu'il assimile à un acte d'idolâtrie et tout en prononçant un panégyrique du saint, il condamne vigoureusement cette forme de culte.

 


6 - Herwaarden J., Le pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle (XII° - XVIII°), Santiago de Compostela, 1000 ans de pèlerinage européen, Catalogue de l’exposition Europalia 85 España, Gand, 1985, p.71-83
7 - Edimbourg, Scottish Record Office : GD 103, Records of the Society of Antiquaries, 2/1/2.
8 - Arch. Universidad de Santiago de Compostela. Archivo del Hospital de los Reyes catolicos
Copie collationnée sur l'original par Dessaudripont, texte en français, présentée sous le n°108 à l’exposition de Cadillac, 1967
9 - Il est en effet impossible à la lumière de ce seul texte de percevoir une fondation antérieure
10 - Arch. dép. Sarthe, arch. comm. Le Mans 900
11- Ledru A., Les armoiries de la ville du Mans, Union historique et littéraire du Maine, tome II, 1894, p. 16-17
12 - Arch. dép. Haute-Garonne, 3 E 28026, fol. 111-112
13 - Almazan V., Lutero y Santiago de Compostela, Compostellanum, 1987, n° 32, p.533-559