Institut recherche jacquaire (IRJ)

Une histoire de relique rocambolesque ! lettre 148


Rédigé par le 9 Novembre 2022 modifié le 5 Décembre 2022
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La défénition d’une « invention de relique » de Wikipedia est « découverte », du latin " inventio ". La relique de saint André que possède une église d’Estella prouve que parfois invention peut être compris avec son sens contemporain.

Dans le cloître magnifique de San Pedro de la Rua (Estella), un unique tombeau interroge le visiteur. Un cloître n’ayant jamais été un cimetière, pourquoi cette présence ? Le mystère s’épaissit quand on apprend qu’il s’agit du tombeau d’un évêque de Patras … L'explication par l'existence exceptionnelle d'un cimetière pour pèlerins, souvent avancée, ne tient pas. Un cimetière avec une seule tombe ?



L'arrivée d'une relique de saint André à Estella.

Estella, le cloître de San Pedro
Estella, le cloître de San Pedro
1270. À Estella, en Navarre, arrive un jour un pèlerin misérable, épuisé. Admis à l'hôpital Saint-Nicolas, proche de l'église San Pedro de la Rua, il y meurt très vite, sans décliner son identité. Comme les autres pèlerins, il est enterré dans ses haillons, dans le cimetière de l’hôpital.
La nuit suivante, un gardien fut alerté par une grande clarté au-dessus de cette tombe toute neuve. Il a cru à une hallucination, il n'a rien dit. Et la nuit suivante, lorsque la même lumière réapparut, il alerta la communauté qui décida d’exhumer le pauvre pèlerin.

Les objets de la tombe de  Diaro de Navarro 10 mai 1979
Les objets de la tombe de Diaro de Navarro 10 mai 1979
Et là, on découvrit, sous les habits misérables, une boîte en bois attachée au cou du pèlerin. Ouverte, elle révéla que le pèlerin anonyme était en réalité l’évêque de Patras, en Grèce (la ville où saint André a été martyrisé) et qu’il transportait à Compostelle une relique de saint André afin de la présenter en offrande à l’apôtre saint Jacques. Cette relique était accompagnée d’un texte qui l’authentifiait officiellement. Dans la boîte, une crosse pastorale en bronze doré, deux burettes de même fabrication et deux gants de soie.

Tombeau de l'évêque
Tombeau de l'évêque
L’évêque fut inhumé à nouveau, mais dans le cloître de San Pedro, dans la tombe que l’on peut voir encore aujourd’hui. Quant à la relique, une omoplate ou un humérus selon les textes, elle fut offerte à la vénération des fidèles dans l’église San Pedro. 
C’est ainsi que Ambrosio Morales (1513-1591), historien officiel du roi d’Espagne Philippe II raconte ce qu’il a lu dans les archives d’Estella, aux alentours de 1570, « par la mémoire et la tradition de certains » et qu’il date de « environ trois cents ans ».

Au fil des siècles, la relique a gagné en renommée par les miracles qu'elle opérait. En 1373, le roi Charles II a commandé un somptueux reliquaire, ordonné une procession annuelle et financé des aumônes aux pauvres

CHARLES, PAR LA GRÂCE DE DIEU, ROI DE NAVARRE, COMTE D'ESTELLA, EN L'ANNÉE DU SEIGNEUR MILLE TROIS CENT SOIXANTE-QUATRIÈME, A DONNÉ CE RELIQUAIRE, DANS LEQUEL IL A REPLACE L'ÉPAULE DU BIENHEUREUX ANDRE : PRIEZ POUR LUI

Tous les rois de Navarre et d’Espagne ont suivi et la tradition fut reprise par l’empereur Charles Quint. La relique était fréquemment sollicitée lors des menaces de crues des rivières, de tempêtes, mais aussi face aux incendies ou aux sécheresses et même, au 19e siècle, contre les épidémies de choléra.
Au XVIIe siècle, la ville entière se plaça sous la protection de l’apôtre André. En l'an 1625, le conseil municipal décida de déplacer la célébration de la fête au premier dimanche d'août ; en fait il y eut deux fêtes, celle du 30 novembre ayant été maintenue.

Le vol de la relique de saint André.

Au matin du 4 octobre 1979, le curé de l'église San Pedro constata la disparition de la précieuse relique, de son reliquaire (daté du XVIIe siècle), de la crosse de l'évêque et des burettes.
Le 23 novembre 1983, une des burettes d'argent fut retrouvée à Paris par Interpol. L'ancien curé de San Pedro de la Rua, Nicandro Santestebán Martinez de Marantin a reconnu cette burette volée grâce à une photo envoyée par la police à l'ambassade d'Espagne à Paris. Mais cette burette datée de la fin du XVIIIe siècle ou du début du XIXe n’était pas celle de l’évêque, mais un des autres objets du Trésor disparu.

En mai 1992, une seconde burette fut retrouvée, vendue à un banquier italien lors de la Biennale des Antiquaires à Madrid. Celle-là datait bien du XIIIe siècle.

Alors surgit un historien casseur de rêve …

En 1994, parut le tome I d’une Histoire ecclésiastique d’Estella, consacré aux paroisses, églises et chapelles royales. Un chapitre fut consacré à l’histoire de saint André. L’auteur est le professeur docteur José Goñi Gaztambide (1914-2002), professeur d'histoire de l'Église à l'université de Navarre. Chanoine, archiviste de la cathédrale de Pampelune, il s’est interrogé sur la réalité historique de l’arrivée de la relique à Estella.
Il s’étonne tout d’abord de la mention du titre « évêque de Patras » alors que Patras est un archevêché depuis très longtemps. Et il constate que le siège a été vacant de 1267 à 1273… On peut ajouter que, dans la Légende Dorée publiée en ce même XIIIe siècle, Jacques de Voragine écrit que, à son époque, le corps de saint André n’est plus à Patras :

« aujourd’hui on admet généralement que le corps du saint n’est plus à Patras, ayant été transporté à Constantinople ».
 

Que reste-t-il d’historique dans l’histoire ?
Un évêque inexistant apporte de Patras
une relique déposée à Constantinople !

L'hypothèse du professeur Goñi

Le Pr. José Goñi propose un autre scénario, vraisemblable celui-là mais qui reste une pure hypothèse.
Un habitant d’Estella aurait rapporté la relique au retour d’une croisade. Le Pr. Goñi ajoute qu’il n’aurait eu aucun problème pour se procurer une relique, « Les orientaux avaient toujours à disposition toutes les reliques que voulaient les Occidentaux, avec les authentiques correspondantes » écrit-il.
Pourquoi avoir choisi saint André alors qu’aucune église d’Estella n’était sous son patronage ? Saint André, frère de saint Pierre, était connu à San Pedro de la Rua dès le XIIe siècle puisque des scènes de sa vie et de son martyre sont sculptées sur deux chapiteaux du cloître, à côté de ceux consacrés à saint Pierre (devant le consul Égée, condamnation à mort, crucifixion, prédication depuis la croix et mort du consul aux mains des démons). L’iconographie de la crucifixion est très rare, saint André apparaît attaché à une croix latine, clouée au sol par le bras court.
Estella cloître San Pedro chapiteau martyre St André sur croix latine fichée en terre par petit côté
Estella cloître San Pedro chapiteau martyre St André sur croix latine fichée en terre par petit côté

Prudemment, le professeur Goñi ne cherche pas à commenter la rédaction du texte de la légende. Il note seulement que la datation de l’arrivée, le XIIIe siècle, ne pouvait pas être antérieure car, avant 1205, l’archevêché de Patras était orthodoxe, donc schismatique et, de ce fait, il était inimaginable qu’un orthodoxe « vienne en pèlerinage sur la tombe de l’apôtre Jacques ». Il s’abstient également de noter que ni Ambrosio Morales ni Dom Francisco de Eguía y Beaumont en 1644 dans Estrella Cautiva o Historia de la Ciudad de Estella ne parlent de la crosse, des burettes et des gants de l’évêque. Faut-il en déduire que ces objets n’ont intégré le Trésor qu’après ces dates ? En imaginant le volume représenté par ces objets, ils auraient forcément déformé la silhouette du pèlerin. Comment penser qu’ils soient passés inaperçus des personnes qui l’ont accueilli, soigné et enterré ?
L’introduction de Compostelle dans le récit témoigne du désir d’associer le grand sanctuaire à la renommée d’Estella. Elle se fait en rapprochant saint Jacques et saint André : c’est saint André qui présenta à Jésus ses amis Jacques et Jean. Si la composition de la légende date bien du XIIIe siècle, il n’est pas certain que le ou les auteurs aient connu la Légende Dorée. Mais n’est-ce pas dans Grégoire de Tours (« de l’apôtre André ») qu’ils ont trouvé les idées de Patras (« Merveilles de son tombeau à Patras en Achaïe ») et de la boîte attachée autour du porteur, une personne irréprochable ?

« une toute jeune fille sans tache par laquelle il les fit porter, attachées à son cou dans une boîte, jusqu’à l’église de Neuvi (-le-roi, près Tours) […] Du temps du roi Théodebert, Mummolus, se rendant par mer à Constantinople vers l’empereur Justinien, aborda à Patras, et saisi des douleurs de la gravelle, en fut délivré par sa dévotion à saint André ».
Il ne restait qu’à stopper le pèlerin à Estella et à introduire le miracle classique des lumières annonciatrices de la découverte.


Le retour de saint André

Estella église San Pedro de la Rua retable de la chapelle du reliquaire Saint-André
Estella église San Pedro de la Rua retable de la chapelle du reliquaire Saint-André
Le vol de la relique a été subi à Estella comme un véritable cataclysme. Pour y remédier, saint André a procédé à un nouveau miracle, en la personne du Père Lizarraga, sollicité par un de ses amis d’Estella. Originaire de Navarre, il exerçait un ministère au Vatican à un très haut niveau de responsabilité. À sa demande, le Pape Jean-Paul II obtint du patriarche de Constantinople la permission de prélever une relique sur la tête de saint André, conservée à Patras. Ce qui fut accordé.
Le 25 juillet 1993 (un remerciement à saint Jacques ?), une nouvelle relique de l'apôtre saint André fit son entrée dans la ville d’Estella. Dans les années suivantes, un nouveau reliquaire fut réalisé à l'identique du reliquaire volé. Dix ans plus tard, le dimanche 3 août 2003, pour la première fois, elle fut portée en procession lors des Fiestas d’Estella, à la grande joie de toute la communauté.
 
 
 
 

Procession Estella, le dimanche 3 août 2003 (Cl Javier Beruete)
Procession Estella, le dimanche 3 août 2003 (Cl Javier Beruete)
La qualité d’une légende se mesure à sa pérennité. Celle-ci a même survécu au vol de la relique… La ville continue d’honorer et de fêter saint André deux fois dans l’année, le premier dimanche d’août et le 30 novembre. C’est une manière aussi de marquer sa place sur le Camino francés. Elle qui, depuis 1963, est le siège d’une association de pèlerins-chercheurs, n’a pas besoin d’une justification historique pour garder bien vivante une légende qui compte parmi les plus originales et les plus élaborées du chemin de Compostelle. 
Merci à Javier Beruete, fils du fondateur de cette association,
d’avoir réuni tous les documents
qui ont permis la composition de cette lettre.