Institut recherche jacquaire (IRJ)

Saint-Marcel en Savoie et le culte de saint Jacques

La renaissance de la chapelle Saint-Jacques de Pupim


Rédigé par Eric Deschamps le 17 Février 2024 modifié le 18 Février 2024
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Sur le roc Pupim, qui domine le petit village de Saint-Marcel en Tarentaise se dresse une chapelle dédiée à saint Jacques. Elle était à l'abandon après avoir été vandalisée dans les années 1970. En 2000, la municipalité a réussi à racheter le terrain sur lequel elle était située et a fait réaliser des travaux de restauration. Depuis quand y a-t-il sur ce rocher une présence chrétienne ? A quel culte antérieur a-t-elle fait suite ? Les documents sont muets. Mais des vestiges subsistent d'un château et d'une chapelle dont l'origine remonterait aux premiers siècles de la christianisation. Il est en tout cas certain que le château existait au XIIIe siècle. De 1600 à 1900, pendant trois siècles, le roc Pupim fut abandonné, vidé de tous les éléments architecturaux qui avaient résisté à la guerre. Aujourd'hui il commence à revivre.



Aux origines du village de Saint-Marcel

La première mention du vocable Saint-Marcel date de 1270 : le testament de Rodolphe I, archevêque de Tarentaise, cite la Parrochia de Sancto Marcello et l’Ecclesia Sancti Marcelli. Mais le village ne portait pas encore le nom de son saint patron. Il s’appelait Les Granges, un nom bien significatif qui désignait une grosse exploitation agricole, dépendant sans doute de l’archevêché. A-t-il été construit, comme le veut la tradition, par saint Marcel, évêque du Ve siècle ? On ne sait. Ce qui est certain, c’est que les premières mentions du village sous le nom Saint-Marcel sont très récentes puisqu’elles ne datent que du XIXe siècle.
En 1537, un testament donne une précision importante : « la paroisse de Saint-Marcel » fait partie du « mandement de Saint-Jacquemoz », tout comme les paroisses de Montgirod et Notre-Dame-du-Pré. 
Un mandement est un lieu de gouvernement : on ne peut exprimer plus clairement le rôle de paroisse-chef de l’église du Château Saint-Jacques appartenant aux évêques. Ce rôle est certainement très ancien : lorsque Pierre Ier, archevêque de Tarentaise de 1123 à 1143 fait référence au « prieuré de Saint-Jaqueme » , il semble clair qu’il parle du Château (et non pas du simple village des Granges qui, à l’époque, n’était sans doute pas encore paroisse). Or un prieuré possède une église et non une chapelle, et a souvent vocation à être paroisse. Un peu plus tard, lorsque Pierre II archevêque de Tarentaise de 1144 à 1174 mentionne le castrum sancti jacobi et l’Eccclesia de Sancto Jacobo, il semble bien qu’il désigne encore l’église du Château. Et, en 1232, lorsqu’un texte mentionne le curé de Saint-Jacques , c’est bien du curé de cette église qu’il s’agit. En 1270, la création de la chapellenie n’y a rien changé, car le chapelain reste curé, c’est-à-dire chargé du soin des âmes de sa circonscription et non pas attaché seulement au château. C’est peut-être à cette époque que sa circonscription a été subdivisée en trois paroisses, celles mentionnées ci-dessus. Si l’on en croit le texte de 1537, cet état de fait a duré jusqu’à la destruction du château Saint-Jacques en 1600 par le Protestant Lesdiguières en lutte contre le duc de Savoie. 
A partir de 1615 les ruines du château et de la chapelle ont servi de carrière à ciel ouvert aux habitants de Saint-Marcel qui ont récupéré les pierres pour construire leurs maisons et une nouvelle église. Le nom du mandement fut néanmoins conservé pendant tout le XVIIe siècle sur les cartes et dans les documents ou apparaît Iaqueme en 1622, S.Iaqueme en 1630, S.Iaquesme en 1648, St.Iacquesme en 1650, S.Iacquemont en 1663, S.Iacquemoz en 1674, S.Iquemot en 1677, S.Iacuemoz en 1688.

Le devenir du village des Granges, paroisse Saint-Marcel

Entre 1655 et 1658, l’église paroissiale Saint-Marcel du village fut entièrement reconstruite dans le style baroque caractéristique de cette époque où la Contre-Réforme marque le retour triomphant du catholicisme. C’est à ce moment que saint Jacques descend dans la vallée. On pense que certains éléments de l’église du Château, ayant subsisté, ont alors été transférés, tel le bénitier roman. La nouvelle église prend le double vocable Saint-Jacques et Saint-Marcel, marqué par la consécration du nouvel autel en 1662. Les deux saints ont chacun une statue sur le retable (les statues actuelles datent de 1885) et figurent ensemble sur le tableau central réalisé par un peintre du Val Saisia, Jacques Gniffetta. Il semble aussi que des reliques de saint Jacques soient entrées à cette époque dans le Trésor de l’église, car on en trouve mention dans les visites pastorales seulement à partir de 1667 (elles ne figurent ni dans un inventaire de 1556 ni dans les visites de 1634 et 1642). Elles étaient encore présentes en 1922, mais ne sont plus mentionnées dans la visite de 1935. En 1860, une bannière fut achetée, sans doute en remplacement d’une plus ancienne. Elle est toujours présente dans l’église de Saint-Marcel. D’un côté y est représenté saint Marcel de l’autre saint Jacques.

Saint Jacques de Tarentaise, étant donné son passé prestigieux sur le roc Pupim aurait pu remplacer progressivement saint Marcel, mais cela ne s’est pas produit. Ainsi dans une transaction de 1769 passée entre l’archevêque de Tarentaise et Charles-Emmanuel III, il est fait état du « mandement de Saint-Marcel » regroupant les mêmes paroisses que l’ancien mandement Saint-Jacquemoz auquel s’ajoute la paroisse de Hauteville. Au contraire, le village a adopté définitivement saint Marcel en prenant son nom, mais après s’être assuré que saint Jacques retrouverait sa place sur le roc Pupim.

Une chapelle pour saint Jacques de Tarentaise à l'époque de la reconnaissance des reliques de Compostelle

A partir de 1880 s’amorce la renaissance. A cette époque commence une nouvelle histoire, celle des luttes entre Royalistes et Républicains, catholiques et anticléricaux. On parle déjà de séparation de l’Eglise et de l’Etat et, dans de nombreux diocèses, on se soucie de ramener le peuple à la piété en ressuscitant d’anciennes pratiques pèlerines.
En 1880, des fouilles menées par l’architecte Borel et le curé de Saint-Marcel mettent à jour les fondations du donjon et de son église attenante. Ces fouilles sont le point de départ du projet de la nouvelle chapelle. En 1884, le pape Léon XIII reconnaît authentiques les reliques de saint Jacques à Compostelle et recommande d’aller le visiter ou, à défaut, d’aller en pèlerinage dans des églises vouées à saint Jacques où les fidèles bénéficieront des mêmes indulgences.
Le 4 janvier 1895, le curé Pierre-Marie Chêne, desservant de la paroisse de Saint-Marcel écrit une longue lettre à l’évêque de Tarentaise, Mgr. Pierre-Emmanuel Bouvier, dans laquelle il fait l’éloge de saint Jacques et explique le projet de construction d’une chapelle dédiée au premier évêque de Tarentaise. Il propose d’utiliser un plan provisoire celui de la chapelle de Notre-Dame-des-Neiges à Montagny (construite en 1891) « que M. le curé a bien voulu lui communiquer ». Cette lettre semble l’élément déclencheur ou tout au moins le catalyseur, elle est suivie six mois plus tard de l’achat des terrains sur lesquels sera assise la chapelle.
Le 9 mars 1896, la fête de saint Jacques est élevée au « rite double de seconde classe » par un indult (privilège accordé par le pape). A l’automne, un Comité était officiellement chargé par l’évêque de Tarentaise de promouvoir l’érection d’un sanctuaire en l’honneur du premier évêque de la contrée. L’une des premières actions du Comité fut l’édition d’une brochure sur la vie de saint Jacques d’Assyrie, premier évêque de Tarentaise, rédigée par l’abbé Chêne. Cette brochure tirée alors à 5000 exemplaires fut suivie en 1930 d’une nouvelle édition avec ajout du récit de la bénédiction de la chapelle et de ses premiers pèlerinages. La réalisation des plans fut confiée à l’architecte chambérien Victor Denarié (1858-1919), très coté dans la région. La construction se réalise de 1899 à 1903, sur l’emplacement exact de sa devancière.

La construction et les vitraux

Le gros oeuvre fut exécuté par l’entrepreneur Pierre Benedetto, originaire de Biella (Piémont) et fixé à Moûtiers. Quelques années plus tôt il s’était fait connaître par la réalisation de l’église Saint-Clair de Champagny-le-Haut inaugurée en 1889. En 1901, les vitraux de la chapelle furent réalisé par le maître-verrier grenoblois Louis Balmet (1876-1957) dont la réputation dépassait la région. De 1895 à 1911 il collectionna les prix et les médailles aux expositions de Paris, Londres, Copenhague et Turin qui l’ont fait connaître et travailler dans le monde entier. Les vitraux de la chapelle posés en septembre 1901 sont décrits comme exceptionnels et le prix versé en atteste : 2068 F, soit le 1/10 du prix total de l’édifice. Ils étaient dédiés à : la sainte Famille et aux saints Jacques, Pierre, Maxime, Augustin et mères chrétiennes, Bernard, François de Sales et Michel. La souscription lancée uniquement pour ces vitraux a été un franc succès et a rapporté 3095 F, soit le tiers de plus que ce qu’ils ont réellement coûté. Elle n’était pas globale, mais faite vitrail par vitrail et, curieusement, ce n’est pas le vitrail de saint Jacques qui rapporta le plus avec seulement 275 F contre 500 F pour chacun des vitraux de saint Pierre de Tarentaise, saint François de Sales et saint Michel.
En souvenir de ce magnifique travail, la chapelle du grand Séminaire de Moûtiers, lors de sa rénovation en 1934 fut également ornée de vitraux Balmet, (seules traces visibles de leurs devanciers de la chapelle du roc Pupim). En effet, il ne reste malheureusement plus trace de ces joyaux saccagés quelques années plus tard, excepté une description du vitrail de saint Jacques :

« Ils ne laissent point d’être intéressants, ces vitraux, bien qu’ils soient d’un dessin un peu naïf et de couleurs un peu violentes. Naturellement, les scènes qu’ils représentent sont consacrés à la gloire des saints de la Tarentaise, et surtout de saint Jacques à qui la chapelle est spécialement dédiée. Sur l’un de ces vitraux vous verrez, si ma mémoire est bonne, un gros ours brun et un gros boeuf roux, accouplés en bons camarades au timon. L’ours, rempli de contrition, baisse l’oreille –tout ce qu’il possède d’oreille- et saint Jacques, de sa baguette, conduit avec une visible satisfaction ce peu banal attelage ».


Le financement de la chapelle fut entièrement couvert par des fonds privés, de nombreux appels exhortant les fidèes à souscrire ayant été lancés dans les journaux locaux bien-pensants. Les fonds rassemblés entre 1896 et 1902 furent convertis en titres autrichiens et russes servant à payer les intervenants successifs. Mais en 1903, les comptes du Comité étaient débiteurs et devant ce déficit de 3200 F les 1er septembre et 1er octobre 1904, le bulletin du diocèse lança une nouvelle souscription en faveur de l’achèvement de la chapelle.
Les dépenses totales se sont élevées à 21 255 F : Entreprise Benedetto 17 666 F, Vitraux Balmet 2 068 F, Architecte Denarié 883 F, Achat de terrains 362 F, Dépenses diverses 276 F 
Les dépenses diverses incluent les exemplaires de La vie de saint Jacques, les frais de port et de correspondance et la location de voitures pour des visites .
La chapelle ne fut inaugurée que le 9 octobre 1909, bien qu’elle ait été déclarée prête à être livrée au culte en octobre 1901, les problèmes financiers et la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat ayant retardé l’événement. La bénédiction de la chapelle fut annoncée dans le journal La Tarentaise. La cérémonie fut relatée dans La Quinzaine Religieuse du 1er novembre, et reprise dans la réédition de 1930 de La Vie de saint Jacques : 
  « La chapelle construite sur le plateau qui couronne le roc Pupim, à Saint-Marcel, a été bénite solennellement par Mgr. Biolley, évêque du diocèse, le mardi 12 octobre. Le temps était exceptionnellement beau ; le soleit, qui depuis fort longtemps se cachait derrière les nuages chargés de pluie, dardait ce jour-là des rayons dorés sur la petite place située devant la chapelle. Cette place elle-même avait revêtu ses habits de fête ; sa forme semi-circulaire était dessinée par de nombreux drapeaux plantés dans le sol. Il est 9h1/4. Pendant que l’écho de la vallée se renvoie le fracas des détonations des boîtes, Monseigneur, revêtu de la chape, portant la mitre et tenant la crosse, assisté de 34 prêtres au nombre desquels 8 chanoines en habit de chœur, entouré de 200 personnes environ accourues de différentes paroisses du diocèse procède à la bénédiction solennelle de la chapelle, suivant les prescriptions du rituel. La bénédiction est suivie de la Sainte Messe célébrée par Sa Grandeur… A l’issue de la messe, M. l’abbé Richermoz, directeur des missions diocésaines monta en chaire et prononça le sermon attendu dans la circonstance (éloge de saint Jacques et du Comité nommé par Mgr. Bouvier)… La cérémonie terminée, chacun constate à loisir la beauté de l’édifice dont les vitraux surtout excitent l’admiration »  

Un nouveau sanctuaire à saint Jacques

Lors de sa lettre d’introduction rédigée en 1895, le curé Chêne présageait que le futur sanctuaire du roc Pupim deviendrait un lieu de pèlerinage ayant vocation à réanimer la foi. Sa prière fut en partie exaucée dans les premières années de la toute nouvelle chapelle mais les pèlerinages n’ont pas survécu à la Seconde Guerre Mondiale. En 1912 un premier pèlerinage est organisé, mais très restreint car réservé aux hommes. En 1920, par une lettre en date du 12 juin, Mgr. Ternier, évêque de Tarentaise, convoquait tous ses diocésains à un pèlerinage au sanctuaire Saint-Jacques qui aurait lieu le 11 juillet. Pour ce second pèlerinage, les fidèles affluent de Moûtiers, Hautecour, Montgirod, Notre-Dame-du-Pré, Tignes, Peisey, Les Chapelles, Valezan. La Quinzaine Religieuse qui relate l’événement arrête son énumération car, dit-elle, « ce sont les noms de toutes les paroisses qu’il faudrait citer ». Elle poursuit en expliquant qu’on 
 

« avait cru pouvoir célébrer la sainte Messe dans la chapelle même de saint Jacques mais, bien vite, il apparut que l’immense majorité des pèlerins ne pourrait la suivre, et l’on dressa, en plein air, un autel improvisé dans le petit vallon qui est au pied du roc, vallon riant et spacieux, si harmonieusement disposé qu’on pourrait le croire préparé par la prévoyante Providence pour de semblables assemblées ».

Durant cette période, la chapelle Saint-Jacques fut le monument le plus photographié de la commune de Saint-Marcel. Plusieurs cartes postales ont été exécutées et le point de vue choisi fut repris en 1931 par le célèbre photographe hongrois Kertèsz qui l’a couché sur papier argentique. 
Le 20 août 1939, un nouveau pèlerinage fort bien préparé par la paroisse ne connut pas le même succès car il ne fut annoncé ni par La Quinzaine Religieuse ni par la presse locale. La date avait pourtant été fixée dès le courant du mois de mars et confirmée le 17 juillet au Vicaire Général. Finalement, on nota uniquement la présence de pèlerins des paroisses voisines de Notre-Dame-du-Pré, Montgirod, Montfort et Moûtiers, mais surtout l’absence remarquée des séminaristes. Malgré tout, la statue de saint Jacques hissée sur le roc Pupim a produit « le plus bel effet » et le haut-parleur a été installé dans le vallon. Le curé de Saint-Marcel, Blanc Calixte, visiblement dépité par l’explication fournie par la Chancellerie « qu’ils n’avaient pas eu le temps de s’occuper de cela ( à savoir la publicité du pèlerinage) termine par cette note laconique : « Fin… Après on est en guerre ». La chapelle fut délaissée. 
En 1959, le curé de Saint-Marcel parle de réparations à terminer qui ne le furent jamais. Dès lors, la chapelle est abandonnée à elle-même, entièrement saccagée et régulièrement taguée. Le chœur, l’autel et les vitraux ont été irrémédiablement détruits. Imitant sa sœur de Nantieux, elle a même servi un temps de bergerie. Un site Internet déplorait même son état. Mais finalement, après plus de soixante ans d’oubli, la commune a racheté l’édifice en ruine pour un franc symbolique en 2000. En 2003 ont commencé les lourds travaux de rénovation. La chapelle est aujourd’hui dotée d’une toiture neuve, de vitraux blancs et d’un enduit extérieur. Il ne reste plus qu’à rénover l’intérieur !