Institut recherche jacquaire (IRJ)

Regards de pèlerins sur l'hospitalité


Rédigé par le 4 Février 2016 modifié le 1 Février 2024
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Comment mieux parler de l'hospitalité médiévale qu'en laissant la parole à ceux qui l'ont vécue ? Ayant publié plus d'une douzaine de récits de pèlerins, Denise Péricard-Méa, est assurément la mieux placée pour les faire parler. C'est ce dont ont bénéficié les membres de l'association des Amis des Chemins de Saint-Jacques dans le Nord à l'issue de leur AG de l'année 2016. Cet article fait écho à la conférence qu'elle a donnée à Lille le 28 janvier 2016.



L’hospitalité médiévale

La pratique de l’hospitalité au Moyen Age est inspirée par les paroles de Jésus rapportées par l’Evangile de Matthieu (chap. 25, v.34-36) ayant donné naissance aux Œuvres de Miséricorde. Des pèlerins des XVe et XVIe siècles, ont laissé des témoignages sur l’hospitalité telle qu’ils l’ont vécue.  Elle est  souvent éloignée de l'hospitalité, idéalisée au XIXe siècle, qui alimente les rêves de beaucoup de pèlerins contemporains.

Une assez riche iconographie illustre l’hospitalité proposée à tous les voyageurs dans les auberges et hôtelleries. Elle est trompeuse car l’hôte qui est accueilli est très souvent représenté par des pèlerins, symboles de l’étranger. Elle peut laisser penser que des lieux d’accueil leur étaient réservés. Mais non, ils étaient ouverts à tous les voyageurs. Les hôtels-Dieu et hospices l’étaient aussi, même ceux qui étaient sous le vocable Saint-Jacques.

Pourquoi des hôpitaux Saint-Jacques ?

Ils témoignaient de l’origine de la dévotion particulière à l’apôtre Jacques le Majeur, considéré comme rédacteur de l’Epître de Jacques. Ce verset :
« L'un de vous est-il malade ? Qu'il appelle les anciens de l'Église, et qu'ils prient sur lui en l'oignant d'huile au nom du Seigneur »
avait fait de lui un guérisseur et le passeur des âmes au moment de la mort. C’est à ce titre qu’il était le patron de nombreux hôpitaux, sans rapport avec sa vénération à Compostelle.

Jean de Tournai

Bourgeois aisé de Valenciennes, il cherche les bonnes auberges et donne des conseils pour les trouver :
En ce pays (après Béziers), quand vous partez des logis, demandez toujours là où vous irez loger dans la ville où vous voulez aller. Demandez à nouveau, quand vous êtes à deux lieues près de la ville, où est la meilleure hostellerie. Demandez-le encore quand vous arrivez près des portes et qu’ils vous appelleront en leurs maisons. Mais vous direz que vous voulez aller loger dans la ville. Ils vous le diront. Si vous trouvez que par deux fois on vous indique un logis allez-y hardiment car vous y serez bien logé
Mais en Espagne, il a souvent été obligé de se conter d'un confort sommaire et sa vision du pays n'est guère encourageante :
En ce royaume et par tout le pays d'Espagne il n'y a pas de bois, ce qui fait que le pain et toutes les viandes y sont mal cuites. Depuis Saint-Jean-Pied-de-Port jusqu’à Saint-Jacques et depuis Saint-Jacques jusqu’à Bayonne il n'y a pas mille hostelleries, et pas de lieux d’aisance car en ce pays ils font leurs nécessités partout, cela est fort infâme.
Et même dans les hostelleries on est logés comme on le serait dans les bordels outre Pyrénées.
Dans le pays, quand vous êtes arrivé au logis et que vous voulez avoir du pain, du vin, de la viande ou autre chose, il vous faut l’aller chercher vous même, car vous n’aurez rien au logis qu’un lit pour vous coucher ; encore bien heureux si vous avez un lit, car la plupart n’en ont pas. Et aussi, en ce pays, vous devez préparer votre viande mais, contre deux ou trois deniers, on vous le fera.
Sur le chemin du retour, il arrive à Pontferrada trempé après une journée d'hiver terrible.
L’hôte nous fit un bon feu car nous étions tout mouillés mais je n’ai pas pu m’en approcher car des Espagnols étaient devant. Néanmoins j’ai payé le bois.

Hermann Künig 1495

Il est moine servite au monastère de Vacha  (Thuringe). Il fournit des informations pratiques sur les aspects géographiques et topographiques du chemin, comme des descriptions précises de carrefours importants. Il indique comment économiser de l'argent et ne pas se faire escroquer, les douanes à acquitter, bureaux de change.  Il retient les noms d'aubergistes et signale les hôpitaux où le pèlerin peut recevoir une aumône. Il remarque les lieux d’hospitalité qui portent le vocable de saint Jacques, mais ne les retient que s’ils offrent les mêmes avantages que les autres :
    à Genève « près de là se trouve la chapelle de saint Jacques. A gauche sur sa maison, de ce saint tu verras l'image » ;
    à l’hôpital Saint-Jacques de Montpellier, « l'hôte n'aime pas les Teutons »
    à Leon « de saint Jacques maintes enseignes tu verras ».
    à Burgos la colonne où fut exécuté le maître de l'hôpital des Chevaliers … après qu’il eût empoisonné quatre cent cinquante pèlerins qu’il était chargé d’accueillir.
    À Najera l’hôpital Saint-Jacques est tenu par une « maîtresse de bien mauvais renom. Bien que bonnes y soient les rations, elle reçoit très mal les confrères qui y vont »

 

L’hôpital des Rois Catholiques vu par Jehan de Zeilbecke (1512)

L’hôpital des Rois Catholiques est une merveilleuse chose car je crois qu’il n’y en a point de pareil de beauté, de grandeur et de richesse. Chacun est logé selon son état. Et chaque nation a son quartier, hommes et femmes séparés. On prépare chaque jour des lits pour 700 personnes. Je vis les hommes et femmes qui visitaient les malades, et les servaient dans de la vaisselle d’argent et étaient habillés comme gens de bien. Les malades étaient couchés en diverses chambres en haut et bas, tellement que chacun peut de son lit chaque jour entendre la messe. Ledit hôpital est fait tout neuf dehors et dedans, tout de grise pierre, deux étages de haut, couvert de tuiles, et tous les grands escaliers de pierre grise. Et comme je entrai, il y avait une belle grande chapelle tendue de tapisserie. Sur l’autel beaucoup de belles reliques et riches. Ailleurs, il y avait une place ou était une belle fontaine distribuant l’eau en 8 ou 10 endroits. De là je fus en une belle grande chambre, au bout, pleine de pots bouteilles, herbes et autres médecines pour les malades. Et là sont les médecins chirurgiens et leurs confesseurs ; et alentour belles chambres et beaux lits richement couverts d’étoffes. De là je montai et vis une grande salle belle comme une salle du Trésor, entièrement peinte bien richement. [...] Il y avait une autre cour où il y avait une autre fontaine qui n’estait point encore terminée. Je passai dans une chambre ou on y couchait que les femmes. Tout était bien net ; et de belles femmes servaient les malades dans de belles vaisselles. Je visitai en bas en un autre quartier : il y avait une petite chapelle richement ornée de saints, et par dessus une voûte tout dorée. Et a milieu y a un bel autel ou on dit chaque jour la messe que les malades et pauvres peuvent entendre, ceux qui couchent là autour en carré dans de belles chambres. Et dessus ledit autel de tous piliers y a un riche tabernacle tout sculpté de saints. Et la dessus est un bel autel ou on dit aussi la messe chaque jour pour que les femmes malades puisse entendre et voir la messe depuis le haut.

Bartolomeo Fontana

Le 25 novembre 1539, se dirigeant vers l'Italie en rentrant de Compostelle, Bartolomeo Fontana entreprend la traversée de l'Aubrac. Il raconte :
A trois lieues d'Espalion il y a Aubrac . Nous partîmes de là accompagnés d'un vent cruel, habituel en hiver sur ces terres ; ce vent, appelé Bise, est si terrible que, quand il souffle, personne n'ose passer ces grandes montagnes. Nous ne fîmes guère attention à cela et en compagnie de deux pèlerins savoyards et d'un napolitain, lui aussi pèlerin, nous grimpâmes sur la montagne d'Aubrac, mais ce vent nous gênait tellement que nous sommes devenus noirs comme des charbons éteints, et j'ai failli mourir. Au sommet de la montagne, il y a une hôtellerie qui donne gîte et nourriture aux pèlerins qui y font halte (car au sommet il n'y a rien d'autre) . Il est tenu par de très riches moines, et dans cette hôtellerie je repris mes esprits, mais il n'aurait pas fallu que j'arrive plus tard. Nous restâmes dans cette bonne auberge trois jours jusqu'à ce que cesse le vent, qui a frappé et tué plus d'un voyageur, comme semblent l'indiquer les chapelles des morts ; il en est de même sur le Mont-Cenis en Savoie et sur le Grand Saint-Bemard où les mêmes vents soufflent en hiver.
Quand le vent cessa nous quittâmes cette hôtellerie. Et au galop, nous avions toujours l'impression d'avoir ce vent avec nous et nous avancions en passant de hautes montagnes, toutes couvertes de neige et de glace, car nous étions en plein hiver ... et nous arrivâmes au Puy à quinze lieues d'Aubrac.