Institut recherche jacquaire (IRJ)

Lettre 181, Fiers et solidaires, des résidents d'un Ehpad marchent vers Compostelle

Compostelle, tomber, se relever, marcher 20m sur le Chemin …


Rédigé par le 16 Septembre 2024 modifié le 18 Septembre 2024
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Un coach sportif à l’Ehpad

Jérémie, le coach
Jérémie, le coach
A Troyes, la maison de retraite Saint-Vincent-de-Paul fait appel, depuis une dizaine d’années, à un jeune coach sportif particulièrement dynamique, Jérémie Vandevelde.
A priori les mots « Ehpad » et « Coach sportif » ne semblent pas destinés à s’unir.
Comment ce jeune homme, professeur diplômé d’Activité Physique Adaptée (APA) a-t-il eu l’idée de proposer ses services à cet Ehpad  de sa ville natale où il a créé son entreprise en 2011 ?
Parce que, malgré sa jeunesse, il porte un regard neuf sur le grand âge et la perte d’autonomie. Parce qu’il a refusé de voir ses grand-mères se résigner et obéir à leurs enfants qui, en voulant les surprotéger, ajoutaient des handicaps aux handicaps.
Grâce à lui, l’une a réussi à retrouver sa mobilité après une chute, l’autre a fini sa vie chez elle en montant et descendant ses escaliers…
 

Des défis « irréalisables », des risques maîtrisés

Pour lui, « une personne qui tombe et qui se relève est contente ».
Si on ne l’incite pas à le faire, elle reste paralysée par sa peur, et celle de son entourage.
Il met en pratique ce vieux précepte populaire
« la peur n’empêche pas le danger »,
et il ajoute
« mais elle peut y contribuer ».
Alors, il s’emploie à mobiliser les énergies en proposant de vrais défis, complètement fous aux yeux des résidents : à Troyes, en 2023, il a persuadé six résidentes (volontaires) de s’entraîner pendant plusieurs mois pour leur faire monter les 100 marches du 1er étage de la tour Eiffel. Elles ont toutes atteint ce but, y compris la doyenne, 98 ans. Jérémie a réussi, malgré les avertissements multiples autour du risque. Pour lui, le risque calculé vaut la peine d’être pris, mais il s’emploie à le maîtriser et à minimiser ses conséquences éventuelles en restant au plus près de l'action après en avoir planifié et surveillé la préparation. 
 

Marcher, chacun selon ses moyens mais solidaires

Avant même la réussite de cet exploit parisien, Jérémie avait demandé à ses compagnons de marche de penser au  défi suivant. Quelqu’un a lancé le mot improbable, « Compostelle !». Au bonheur de la marche s’ajoutait un bonheur d’ordre spirituel.
L’idée fut adoptée à l’unanimité.
 
Nous étions en septembre 2023. Jérémie a proposé un entraînement de 6 mois, à raison d’une heure par semaine et des exercices personnels à effectuer tout au long des jours. L’objectif pouvait sembler modeste : il s’agissait de parcourir, en relais, une infime portion du chemin de Compostelle, mais ô combien symbolique, marcher de Vézelay à la Maison-Dieu. Ce n’est que la moitié de la première étape du Chemin, Vézelay-Varzy. Ils ont marché au plus près du chemin balisé, parfois délaissé pour permettre le passage des voitures suiveuses.
 
Comme on peut s’en douter, une organisation rigoureuse a été nécessaire. 
L’accord de la maison de retraite a été immédiat. Une partie du personnel a participé à la marche, secondé par les bénévoles qui visitent souvent la maison. Le budget a été d’environ 3500 €
 
La marche s’est faite sous forme de relais ; lors de la préparation, les distances de chacun avaient été définies et le jour J chacun était libre de faire la distance qu'il souhaitait en fonction de ses sensations. Une voiture balai transportait les marcheurs d'un point à l'autre. Leur âge moyen était de 90 ans, du plus jeune de 64 ans à la doyenne de 99 ans.
 
Nous avons rencontré, Jérémie, les marcheurs et le personnel de l'Ehpad le 21 juin. Ce fut une vraie réunion d’anciens pèlerins, chacun relatant telle ou telle anecdote de la journée. S’y ajoutait le plaisir du voyage, de Troyes à Vézelay, la veille et la visite de la basilique. Nous avons demandé à ceux qui le pouvaient, d'écrire chacun, quelques lignes sur leur marche en partageant leurs impressions et leurs souvenirs. Ils ont accepté immédiatement. Leurs écrits sont présentés dans le paragraphe suivant.
Les lecteurs de notre article précédent sur ce " pèlerinage " exceptionnel ne nous en voudrons pas de reproduire une seconde fois le témoignage d'Anne-Marie.
Avant notre visite, nous avions indiqué notre souhait de recueillir des témoignages des marcheurs. Anne-Marie avait écrit le sien et nous l'a remis le jour même. Morgane, une de leurs accompagnatrices a réunis les autres et nous les a envoyés.
  
Marcheurs et accompagnants ont réussi
Marcheurs et accompagnants ont réussi

Témoignages de participants

Anne-Marie 

Arrivée en septembre après quelques mois difficiles de tous les côtés. J'entends parler de Compostelle où chacun devra participer à un rallye. Jérémie, le coach sportif, me fait vite comprendre que j'en serais. Après tout !
Pendant la période la plus critique, après la chute, j'ai bien fait un bout de chemin dans le désert avec ce bon vieil Abraham. Maintenant, c'est avec nous que vous allez avancer, me dit Jérémie. " Et tout de suite ! Debout et marchez ! "J'ai fait quelques pas. Je n'en fais guère plus aujourd'hui. Les aides-soignantes se veulent rassurantes : « Oh là là, les progrès que vous faites ces temps-ci » !. Est-ce que c'est ça, mentir par omission ? Aux missions.
Le chemin de Compostelle. Au plus près de chez nous, il passe dans l'Yonne. Et les animateurs projettent un point de ralliement à Vézelay. Nous partirons dès le vendredi dans l'après-midi, en deux groupes. Installés à l'hôtel de la place, nous entendons parler à notre arrivée de la descente effectuée par certains aventuriers. Notre arrivée a été justement retardée par les nausées de Maria. Plusieurs haltes lui permettent de soulager son estomac, mais ce n'est pas suffisant. Un arrêt au Leclerc d'Auxerre est apprécié. Achat d'un pull bleu pour remplacer le sien plus très présentable.
Chacun son défi, moi ce sera 350 mètres avec les bâtons. Le challenge a été prévu quelques semaines plus tôt. Je revois Jérémie assis en face de moi, me disant : « debout Maria ». Et il ne rigolait pas. Et ce jour-là, mes 350 mètres sont sans doute mon plus beau palmarès, moi qui, enfant et adolescente, courais à travers la campagne… Les temps changent !
Le matin du départ, certains minibus ont fait quelques détours pour arriver au point de ralliement. Un chemin pierreux qui s'enfonce dans la forêt. De la forêt, il n'y a que ça autour de nous et le vent souffle dans les fûts. Il bouscule aussi les assiettes vides qui volent. Qui volent comme celle des tirs aux pigeons. Traversent la route en un instant.
Là n'est pas le challenge, c'est pour qu'ensemble nous fassions le plus possible de kilomètres. Jean-Louis fera le maxi 21 km je crois. D'autres, plus bucoliques, vont cueillir quelques brins de muguet. Nous avançons face au vent, ça n'arrange pas nos performances, quelles qu'elles soient. Et tout au long du parcours, le minibus récupère les fatigués assoiffés. Enfin, tous ceux qui sont, d'une manière ou d'une autre, les estropiés ou malades. On est déposé à la Maison-Dieu devant l'église, quelques bancs permettent d'attendre gentiment en papotant. Le retour paraîtra long aux plus fatigués. Moi, j'observe à travers la vitre les parcelles colorées. Du brun rouge grenat au marron chocolat, en passant par toutes sortes de verts et jusqu'à une parcelle de jeunes blés bleutés.

Monique

Souvenir de notre voyage à Saint-Jacques-de-Compostelle. Jusqu'à la fin de ma vie, je garderai un très bon souvenir de notre voyage. Nous sommes partis le vendredi à 14h00 ; nous étions 9 dans le petit camion avec Mireille, Geneviève et encore d'autres résidents. Arrivés à deux heures de route à Vézelay, nous avons visité la basilique Sainte-Marie-Madeleine. Très belle architecture impressionnante, un petit peu sur la hauteur. Avec tous mes respects pour les constructeurs de l'époque qui n'avaient pas les moyens de ce que l'on a aujourd'hui. J'ai été frappée par le monde de toutes nationalités qui visite cette basilique. J'ai prié sainte Madeleine qu'elle nous protège pendant ces deux journées bien remplies. Il faisait froid, mais sans pluie. J'ai mis un cierge pour que la prière continue. Je ne dirai jamais assez merci pour toutes ces personnes dévouées pour nous.
J'avais deux aides-soignantes, avec deux bâtons, un dans chaque main. Nous partons à 20 km. pour manger au restaurant où nous étions une vingtaine avec les journalistes ; nous avons apprécié la gentillesse de tous envers nous, personnes âgées de plus de 90 ans. Ensuite, nous partons retrouver l'hôtel pour dormir. Je n'oublierai jamais que tout le monde était aux petits soins pour nous. Deuxième jour, samedi ; après une bonne nuit de repos, le petit déjeuner avec tous les pèlerins habillés chaudement, nous attendons la bénédiction avec notre père, Guy Rutten. Aussitôt après, nous descendons un chemin de 600 m. Deux aides-soignantes étaient à mes côtés. C'était raide. Alors comme cela je n'avais plus peur. Nous partons de la basilique. Arrivés dans le village, nous commençons les chemins. J'admirais les champs en pente, très bien cultivés. Matteo, un jeune journaliste, me suivait et me dit : « Pourquoi vous marchez ? » Je lui dis « je prie pour les gens malades, ma famille, mes amis et pour mériter le paradis ». J'ai fait 2 500 m. en tout. Après, un bon repas dans la forêt où, à la fin, un grand vent a tout envolé, nous repartons enchantés d'avoir fait ce pèlerinage et grâce à tous les organisateurs. Un grand merci à madame, la Directrice, Jérémie, les infirmières, les aides-soignantes, les bénévoles et tout le monde avec nous. Mille mercis.

Maria

Quand on m'a demandé d'aller sur les chemins de Compostelle je ne voulais pas y aller, ayant peur de ne pas réussir cet exploit de marche. Puis ça s'est bien passé. J'ai marché vingt mètres avec deux cannes anglaises. Non ? Jérémy nous a dit qu'on serait des athlètes et non des marcheurs. A midi, nous avons mangé dans la forêt, moment très convivial. J'ai été fière de marcher avec deux bâtons. Quand on m'a demandé d'aller sur les chemins de Compostelle avec des cannes anglaises, je n'y croyais pas. Quelle surprise. J'ai réussi à marcher vingt mètres. Pour moi, c'était une expérience spirituelle. J'ai prié pour ma sœur, pour une amélioration de son audition.

Jeanne

Jeune ayant visité à diverses reprises Vézelay, environ à partir de 1966, grâce à notre « éducatrice », amoureuse de son pays, j’avais gardé le souvenir des pierres blondes et noires alternées des colonnes et des voûtes et étais fort curieuse de les revoir. Usure de bâtiments ? J'ai été surprise par leur manque de contraste qui m'avait pourtant émerveillée. La lumière était très pauvre ce jour-là, mais l’autel illuminé, redonnait toute sa splendeur à l'ensemble. Les environs se révèlent dans une grande combe où dit-on, Bernard de Clairvaux avait prêché la première croisade.

Mireille

Que de bons souvenirs de ce petit séjour à la Basilique de Vézelay ainsi que sur le « chemin » de Compostelle. Tout d'abord cette ambiance qui régnait entre nous tous, toutes professions confondues, tous âges, toutes âmes diverses. Je n'oublierai pas de sitôt les bons moments agréables que nous avons vécus au cours du repas. La météo s’y est prêtée. A bientôt pour recommencer cette belle histoire !

Guy

Vous parler de pèlerinage, c'est parler d'un chemin. De fait tout pèlerinage évoque un chemin. Un déplacement, une marche, des compagnons de marche. Dès notre arrivée à Vézelay, nous sommes entrés dans la basilique de la Madeleine où régnait un grand silence. Chacun se tenait silencieux, émerveillé, contemplant la beauté du lieu. Ainsi, d'emblée, Vézelay commençait à nous dévoiler son mystère, la basilique était habitée ! Nous nous sentions comme aspirés par une présence cachée. Une présence qui s'offrait à nous, au pèlerin que chacun devenait.
Des générations de pèlerins, bien avant nous, attirées par les reliques de sainte Madeleine, se sont rendues sur la colline de Vézelay, nous traçant le chemin pour nous entraîner à leurs suites, dans leur sillage. C'est ainsi que nous avons découvert et reconnu notre place dans les vagues successives de pèlerins qui, au cours des siècles, n'ont pas cessé de se succéder en direction de Vézelay et Compostelle. Répondant ainsi à l'appel intérieur, en quête de sens, en recherche de vérité.
Pèlerins d'un jour, nous avons quitté la lassitude du quotidien pour nous laisser conduire vers un ailleurs, non pour échapper au quotidien parfois pesant, non pour aller plus loin, toujours plus loin, mais pour aller au plus profond, descendre en nous-mêmes, au centre de soi pour retrouver la source secrète de la vie.
Dans notre marche, sans y penser, à notre insu, nous sommes devenus « chemins », chemin les uns pour les autres, chemins intérieurs, chemins de rencontres et d'accueil. Désormais, nous ne sommes plus seuls. Nous nous découvrons compagnons de route. L'amitié nous relie, fait de l'autre un frère, une sœur. 
Guy est prêtre retraité, résident à l'Ehpad 
comme ses compagnes et compagnons de cette marche vers Compostelle

Et maintenant ?

Encouragés par le succès, Jérémie et ses équipes préparent cette année des Olympiades intergénérationnelles qui feront se rencontrer des résidents de six Ehpad  et des élèves de six classes de Cours Moyen. Ils parlent maintenant de surf, de traversées à la nage, de lancer et de tir, de vélo et de danse.

Par ce contact, l'IRJ se trouve loin de la recherche mais proche d'un immense patrimoine immatériel. Celui qui transparaît de tous les témoignages, le partage et l'amitié, celui de l'Esprit du Chemin, celui du sport quand il n'est pas contaminé par une exploitation commerciale ou politique.

Au début de notre relation de cette réalisation de Jérémie, dans l'article " Lève-toi et marche ! Compostelle élixir de jouvence ", nous
avions fait un parallèle avec le projet CAXATO. Ce projet a pris un aspect surtout technique pour apprendre à rendre compte en images de l'expérience du chemin. Les relations humaines, l'esprit et l'histoire du chemin feront peut-être un jour l'objet d'un nouveau projet ?

A ce propos nous avons demandé à Jérémie s'il avait eu des relations avec les pèlerins de Troyes. Il a bâti son projet sans savoir qu'une association de pèlerins existait à Troyes. Pour cette raison nous avons jugé bon de ne pas en rester à un article mais de donner à son initiative, aux pèlerins, au personnel de l'Ehpad  et aux bénévoles l'audience plus importante d'une Lettre. Ainsi cette initiative trouvera-t-elle peut-être un jour un prolongement dans le monde pèlerin. Il a déjà su de multiples façons montrer son ouverture à ce genre d'action.

 


Les aventuriers de l'EHPAD Saint-Vincent-de-Paul de Troyes


Merci, chers lecteurs, de vos avis, commentaires et suggestions à la lecture de cette aventure de résidents de l'Ehpad  de Troyes.
Le pèlerinage contemporain est encore jeune, mais le temps est atteint où les Ehpad  reçoivent des pèlerines et pèlerins, de Compostelle et d'ailleurs.
Denise Péricard-Méa
Présidente scientifique de l'IRJ