Institut recherche jacquaire (IRJ)

A Montesquieu-Volvestre (Haute-Garonne), saint Jacques veillait avec Marie au bout du pont


Rédigé par Denise Péricard-Méa et Office du tourisme de Montesquieu-Vol le 23 Mars 2013 modifié le 31 Janvier 2022
Lu 3097 fois

Dans le cadre de la Commémoration nationale de la découverte du tombeau de saint Jacques à Compostelle, la Fondation David Parou Saint-Jacques propose de faire découvrir les reliquaires et reliques de saint Jacques encore présents en France. Celui de Montesquieu-Volvestre mérite une attention particulière dans son lien avec un culte à une Vierge noire, en un emplacement géographique particulièrement intéressant.
Cette synthèse a été réalisée en liaison étroite avec l'Office de tourisme de Montesquieu (André Berthoumieux et Marie-Claire Gunst).



L'hôpital Saint-Jacques

L'ancien hôpital Saint-Jacques, devenu école (cl. OT Montesquieu)
L'ancien hôpital Saint-Jacques, devenu école (cl. OT Montesquieu)
A l'emplacement de ce bâtiment qui abrite aujourd'hui l'école de Montesquieu-Volvestre (Haute-Garonne, ar. Muret) fut un hôpital. Il était séparé par un simple passage d'une chapelle dédiée à Notre-Dame, construite sur la rive escarpée de l’Arize, affluent de la Garonne. A cet endroit, un pont couvert était coupé par un pont-levis et gardé par une tour. Sous la chapelle, construite en 1293 se réunissent deux rues. Cette disposition représente une architecture typique des chemins, offrant aux voyageurs la possibilité de trouver un abri, soit sous une voûte soit, comme ici, sous l’église.
Trouver une église jouxtant un hôpital était courant mais il y a ici une particularité pour le moment inexpliquée. Alors que l'église est dédiée à la Vierge, sous le joli vocable Notre-Dame du Bout du Pont, l'hôpital est sous le vocable  Saint-Jacques. Rien dans les archives connues ne permet de savoir pourquoi. Comme tout hôpital, celui-ci avait pour fonction d'accueillir les pauvres, les passants et les pèlerins arrivant aux portes de la ville. Il les gardait une nuit, davantage si le temps était trop mauvais ou si la personne était malade. Sa proximité géographique avec la chapelle Notre-Dame le vouait sans doute à l’accueil des pèlerins venus prier la Vierge.
Il semblerait que cet hôpital, tenu par des soeurs, ait perduré jusqu'en 1905 (la loi de Séparation de l'Eglise et de l'Etat), avant de céder la place à l'école

Le culte à la Vierge à la chapelle Notre-Dame du Bout du Pont.

Le pont, l'église et l'hôpital au Moyen Age.
Le pont, l'église et l'hôpital au Moyen Age.
Les premières mentions d’un culte à une Vierge Noire datent de 1293, au moment de la contruction de la chapelle. Si l’on en croit une enquête faite par Mgr. l’évêque de Rieux en 1614, cette Vierge serait arrivée miraculeusement. De nombreux miracles sont constatés (pestiférés, paralytiques, prisonniers) dans cette chapelle qui lui est consacrée et devient un lieu de pèlerinage.
Datées des années 1308,1319 et 1343, des bulles de Clément V et Clément VI, encore conservées dans les archives locales, accordent des indulgences aux pèlerins « de la chapelle du Bout du Pont de Montesquieu, fondée en l’honneur de la benoîte Vierge ».
En 1592, 1597, 1602, des miracles ont lieu et de nombreux ex-votos sont placés dans la chapelle. En 1712, on invoque la Vierge contre une inondation. En 1795, la chapelle est détruite.

Une double dévotion à la Vierge et à saint Jacques

Les racines de cette double dévotion à la Vierge et à saint Jacques peuvent être trouvées dans l’Evangile de Jacques, un texte apocryphe et légendaire mais néanmoins fondamental car il est le seul à raconter l'enfance de Jésus. L’Eglise médiévale y a puisé les principales illustrations soutenant la piété mariale. Il est daté du milieu du IIe siècle, et sa verve imaginative a excité bien des artistes médiévaux et alimenté les prédicateurs en anecdotes édifiantes. 

Produit de l'imagination ou de témoignages fidèlement transmis, cet Evangile de Jacques est aussi à l’origine de plusieurs fêtes liturgiques : célébration des parents de la Vierge Anne et Joachim, Conception et Nativité de Marie, Présentation de la Vierge. Il insiste sur la virginité de Marie, vérifiée dès après la naissance de Jésus par examen de la sage-femme Salomé. Il est signé « Jacques, qui a écrit cette histoire à Jérusalem ».

Quel que soit le Jacques auquel est attribué cet Evangile, le fidèle du Moyen Age, ne distinguant pas entre Majeur et Mineur, voit en lui l’Apôtre, vénéré également comme rédacteur de l'Epître. Il l’unit dans une même vénération à Marie dont il a conté la si belle histoire. C’est ce qui a eu lieu à Montesquieu-Volvestre, en des temps si anciens qu’on a perdu les bâtiments, les archives et jusqu’au souvenir. Ensemble, ils auraient été invoqués pour la protection contre les méfaits des eaux ou pour guérir de maladies contagieuses. On retrouve de tels exemples dans le bassin de la Loire et de l’Isère. Pourquoi pas celui de la Garonne ?

Naissance d'une confrérie puis acquisition d'une relique

Le reliquaire restauré dans son état d’origine
Le reliquaire restauré dans son état d’origine
En 1467, Bernard de La Font, habitant de Montesquieu et confrère de la confrérie Saint-Christophe de Saint-Christaud (distant d’une dizaine de kilomètres), fait copier les statuts par le curé de Montesquieu-Volvestre. Ces statuts dataient de 1370. Cette copie a sans doute servi de règlement à une confrérie de Montesquieu dont on peut penser qu'il s'agissait d'une confrérie Saint-Jacques. Mais ils ne dévoilent rien d’autre qu’une confrérie de secours mutuel, et contiennent de longs développements sur les rituels de la mort. Il n'y est pas question de pèlerinage ni de saint Jacques de Galice. La confrérie a-t-elle eu une fonction hospitalière ? C’est possible étant donné le vocable de l’hôpital où elle a pu avoir son siège.

En 1685 la paroisse de Montesquieu obtient de l’archevêque une partie des reliques d'un chef (crâne) de saint Jacques conservées dans l’église Saint-Jacques incluse dans l’enclos de la cathédrale Saint-Etienne de Toulouse. Ces reliques avaient été retirées du pied d’un pilier, en 1490, à la suite d’une compétition acharnée entre deux archevêques potentiels. Datable de la même époque, le buste reliquaire conservé aujourd’hui a vraisemblablement été commandé à cette occasion.
D'aucuns ont affirmé que, pour entrer dans cette confrérie Saint-Jacques, il était obligatoire d'être allé au moins une fois à Compostelle et d'en avoir rapporté un certificat, une "Compostelle". Aucun document ne justifie pareille affirmation. D'une manière générale on constate qu'àux XVIIe et XVIIIe siècles, particulièrement dans le Sud-Ouest de la France, mais aussi ailleurs, des pèlerins vont à Saint-Jacques et entrent dans une confrérie. Par exemple, il en fut ainsi au  Plan où on compte 44 pèlerins en une trentaine d'années. Après le concile de Trente, l'Eglise s'efforce de valoriser les grands pèlerinages, au grand dam de la Royauté qui constate de graves dérives dans leur utilisation et règlemente les sorties de territoire. Ces pèlerins sont souvent de condition modeste, parfois fuyant la conscription, parfois sans métier ou sans travail. En 1902, le docteur et le curé de Montesquieu rapportaient cette expression locale définissant un vaurien : "Il vaut aussi peu que toute la Compostelle". Comment mieux dire l'estime dans laquelle ils étaient tenus ?

Acte de donation de la relique

La relique du chef de saint Jacques au centre du reliquaire-cathédrale
La relique du chef de saint Jacques au centre du reliquaire-cathédrale
« L’an mil six cent quatre vingt cinq et le vingtième jour du mois de moi, nous, Louis de Comère, prêtre chanoine archidiacre de l'église métropolitaine Saint-Etienne de Toulouse certifions que ce jourd'hui, en présence de Mr Dominique d’Abolin, prêtre, docteur en théologie, curé de la ville de Montesquieu-Volvestre au diocèse de Rieux et de Mr Louis Pailhes licencié en droit, notaire royal de ladite ville, nous avons pris et tiré la relique ci-jointe et incluse des reliques et ossements trouvés dans la « capse »* du buste d'argent de la confrérie Saint-Jacques dudit Saint-Etienne et auxquelles reliques sont attachés avec de la soie rouge, deux billets et cartels de Monseigneur L.S.** archevêque et un verbal écrit sur du parchemin en date du neuvième juin mille six cent quatorze, au sujet de la vérification et remise desdites dans ledit buste, dûment signé le tout marquant et faisant foi que ce sont des reliques des ossements de saint Jacques le majeur, et laquelle relique a été baillée et délivrée audit sieur d'Abolin, curé, pour la porter et mettre dans le buste saint Jacques de l'église paroissiale dudit Montesquieu, pour la plus grande gloire de Dieu et augmentation de la dévotion des fidèles envers cet apôtre. En foi de quoi signatures : de Comere – archidiacre, d’Abolin curé de Montesquieu, Palihes »
* Capse : Capsa (latin) boîte en bois cylindrique
** L.S. : Louis Nozaret de Lavalette : archevêque de Toulouse.
(Transcription du document conservé dans l’église Saint-Victor : André Berthoumieux, président de l'Office du Tourisme de Montesquieu et Gilbert Floutard).
Il est probable que la translation de ces reliques s’est effectuée en grande pompe.

Le devenir de la confrérie

En 1712, lors de la disette et de l’inondation de l’Arize, pas un mot n’est dit sur saint Jacques, pourtant protecteur des eaux. Pas de mention de la confrérie. Seuls sont nommés les prêtres de la Fraternité, les Pénitents Bleus et les Pénitents Blancs. En 1781, peut-être une allusion : la Vierge protège de la « suete milliaire » mais, lors de la journée d’action de grâces, la procession associe les autres saints : « à la tête du clergé en chape était la Croix de la Paroisse après laquelle on portait neuf reliques de saints dans des pavillons richement décorés. Le dernier était l’image vénérable de la Vierge ».
On ne sait rien de ces autres reliques, si ce n’est que cette modeste ville se targuait, au XVIIe siècle, de posséder quatre chefs-reliquaires de saints : saint Jacques, saint Victor, saint Eutrope, saint Exupère. Il est probable que, comme les trois autres reliquaires, le chef de saint Jacques fit partie de la procession, mais aucune indication de place n’est donnée. Pas d’allusion non plus aux confrères de Saint-Jacques qui semblent disparus. Pourtant, au XIXe siècle, subsiste encore une foire le 25 juillet. Cette confrérie était-elle une confrérie de métier ? L’industrie du drap était florissante à Montesquieu et l'on voit saint Jacques patron des drapiers en plusieurs endroits.
Le reliquaire oublié à sa descente du clocher
Le reliquaire oublié à sa descente du clocher

Le devenir du buste-reliquaire

Première restauration en 1991 (cl. CAOA)
Première restauration en 1991 (cl. CAOA)
A une date inconnue, les bustes-reliquaires ont perdu de leur intérêt et un curé a relégué le buste de saint Jacques dans le clocher de l’église. Lorsque ce buste a été retrouvé il était en piteux état. En 1991, le conservateur des Antiquités et Objets d’art du département a été alerté, il l’a inscrit à l’Inventaire en attendant son classement par les Monuments historiques. A cette époque, le buste a subi une première restauration, assez modeste, qui rendait à saint Jacques son épaule droite disparue. En 2007, une seconde restauration, plus poussée, lui a donné une nouvelle jeunesse.
Fait rarissime pour une petite ville, les autres reliquaires ont survécu également, les trois premiers magnifiquement restaurés et exposés dans la salle du Trésor, les deux derniers en attente de restauration :
Saint Victor en soldat (patron de l'église)
Saint Eutrope (patron des tisserands)
Sainte Marguerite (patronne des parturientes )
Saint Exupère ( patron des brassiers)
Saint Blaise  ( patron des marchands drapiers des cardeurs et peigneurs de laine).
La salle du Trésor compte encore de nombreuses reliques échappées à la Révolution. Déjà, par leur nombre et leur ancienneté, elles avaient étonné l'évêque de Rieux au XVIIe siècle.

Au-delà d'une restauration matérielle

A Saragosse, saint Jacques et ses rares disciples sont encouragés par la Vierge qui leur appararaît (vitrail de l’église Saint-Victor offert par Mr. J. Mauran en 1880-1882) (cl. OT Montesquieu)
A Saragosse, saint Jacques et ses rares disciples sont encouragés par la Vierge qui leur appararaît (vitrail de l’église Saint-Victor offert par Mr. J. Mauran en 1880-1882) (cl. OT Montesquieu)
La présence du reliquaire de saint Jacques peut aujourd'hui conduire certains à placer Montesquieu-Volvestre sur un chemin de Compostelle (il en existe tant !). Mais c'est oublier la qualité propre des sanctuaires que la ville a abrités. A-t-elle même vu passer des pèlerins de Compostelle ?
Pourquoi ne pas proposer aux pèlerins d'aujourd'hui et aux touristes l'histoire et la légende de ce sanctuaire et de la relique tels qu'il est actuellement possible de les restituer ? Voilà qui pourrait alimenter leurs rêves au long de la route plus que l'affirmation devenue banale « Ypassaientparlà » transformant ce sanctuaire en balise sur un chemin de Compostelle contemporain.
 

Inviter à parcourir de nouveaux chemins

Pour tous les visiteurs, pèlerins ou non, pourquoi ne pas imaginer des itinéraires locaux reliant les lieux de  dévotions anciennes ? Sur l’Arize, visiter les Bordes-sur-Arize (église paroissiale Saint-Jacques), la Bastide-de-Besplas (lieu-dit Saint-James, sur un mamelon proche de la Bastide), Saint-Christaud avec ses eaux thermales et sa confrérie et, sur la Garonne, Palaminy (confrérie Saint-Jacques). Au Nord, Rabastens, et Gaillac sur le Tarn sont également veillés par saint Jacques.
La Haute-Garonne est le seul département à conserver autant de bustes reliquaires de saint Jacques. Outre Toulouse dont la basilique Saint-Sernin possède un corps et un chef de saint Jacques, le buste de reliquaire de Montesquieu-Volvestre a de nombreux homologues : Aulon, Chein-Dessus,Le Plan, Pointis-de-Rivière, Saint-Béat et enfin Cazères dont le buste fut expressément fabriqué sur le modèle de celui de Toulouse. Autant d'oeuvres d'art qui témoignent d'une dévotion populaire à saint Jacques qui rayonnait depuis Toulouse.
Tout ce patrimoine jacquaire mérite d'être mieux connu et commenté. Ces reliquaires, datant tous des XVII-XIXe siècles, sont des témoins de dévotions populaires à saint Jacques. Ils étaient des buts de petits pèlerinages locaux pour ceux qui ne pouvaient pas aller jusqu'à Toulouse (et encore moins à Compostelle) vénérer le corps de saint Jacques. L’Epître de Jacques, d'où provient l’Extrême-Onction est à l'origine de ces dévotions. Ce texte —bien postérieur aux premiers apôtres— est toujours d’une étonnante actualité sociale.  Grâce à lui, saint Jacques peut redevenir ce qu’il a toujours été, le passeur des morts et le protecteur des vivants. Parcourir ces chemins serait vraiment retrouver la démarche des pèlerins médiévaux qui allaient au plus près de chez eux implorer « leur saint Jacques » en cas de nécessité.

Découvrir le patrimoine de Montesquieu-Volvestre