Institut recherche jacquaire (IRJ)

Compostelle au XVIIe siècle,étape n° 78


Rédigé par Denise Péricard-Méa le 21 Septembre 2020 modifié le 24 Février 2021
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Au XVIIe siècle, la ville de Compostelle a connu d’importantes transformations. Elles sont décrites dans un manuscrit édité en 2019 par Miguel Taín Guzmán, professeur d’histoire de l’art à l’Université de Saint-Jacques-de-Compostelle, directeur de la chaire " Chemin de Saint Jacques et pèlerinages ". Une information personnelle reçue de l’auteur me donne le plaisir de faire découvrir aux abonnés et lecteurs de la Lettre ces aspects anciens de la cité de l’apôtre Jacques.



PÈLERINER dé-CONFINÉS   Etape n°78
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Un ouvrage majeur pour comprendre Compostelle

La cité de Saint-Jacques-de Compostelle  est l'édition précédée d'une étude d'un extrait du manuscrit  Histoire Générale et Description du royaume de Galice décrivant la ville telle qu'elle apparaissait entre 1633 et 1646.  Les  auteurs, les frères Boán appartenaient à la famille  d’un marchand d’Orense enrichi au XVe siècle, ayant peu à peu accédé à la noblesse.  


Présentation résumée

Outre l'étude et la transcription, l'ouvrage comprend de nombreuses illustrations : cartes historiques, documents graphiques anciens et actuels des immeubles analysés, photographies. L’ensemble du livre est une présentation inédite de la ville du XVIIe siècle, en plein essor. Elle est située dans son environnement géographique, économique et historique. Elle est minutieusement décrite, la muraille et ses huit portes, les tours, les rues, les places et les monuments les plus emblématiques parmi lesquels la cathédrale (examinée chapelle par chapelle), les monastères bénédictins San Paio de Antealtares, San Martiño Pinario et d’autres. Les monuments civils ne sont pas oubliés. Une attention particulière est portée au Collège de Fonseca (université), dont il énumère les écoliers.


Au XVIIe siècle, une ville transformée par la noblesse

Miguel Tain souligne l’un des aspects les plus novateurs apportés par le manuscrit
« il est un témoignage unique qui prouve qu'en majeure partie les grandes transformations architecturales entreprises dans la ville en cette première moitié du XVIIe siècle sont dues à la noblesse ».

Le nouveau couvent de Saint-Augustin, la rénovation du chevet de Bonaval, la réforme de la chapelle de Saint-Georges en sont des exemples, parmi des patronages de chapelles, couvents, hôpitaux, monuments funéraires, jusqu’au baldaquin de la cathédrale ou la tour du roi de France et des monuments civils. Le manuscrit fait également découvrir comment s’est développée l’habitude de monumentaliser le patrimoine architectural, par la construction de bâtiments à une plus grande échelle  et avec une prestance et un vocabulaire ornemental inédits jusque-là.  Signés des armes du donateur, ces ouvrages ont engendré une prolifération d’héraldique sculptée dans la pierre compostellane.

Ecus sur la tour du roi de France (cl. auteur)
Ecus sur la tour du roi de France (cl. auteur)

La voie de ces embellissement avait été ouverte par les Rois Catholiques avec la construction de l’Hôpital Royal et de la Place de l’Obradoiro, nouvel espace public intra-muros destiné à la célébration de fêtes chevaleresques, ainsi que par l’archevêque Alonso III de Fonseca avec la fondation du Collège Santiago Alfeo sur le terrain de la maison familiale dans la Rua do Franco.
Oeuvres de deux archevêques, deux réalisations majeures  marquèrent la nouvelle tendance, San Clemente et les aménagements des places autour de la cathédrale.
Le Colegio de San Clemente
Le Colegio de San Clemente

Le Colegio de Sanclemente

Premier grand bâtiment classique de la ville, le Colegio de San Clemente (aujourd’hui Lycée Rosalía de Castro). Sa masse architecturale urbanise préside le plus grand espace public ouvert de la ville, le Campo de Santa Susana (le noyau du grand parc actuel de la Alameda), gigantesque esplanade où avaient lieu les foires les plus importantes de Galice ; les condamnés y étaient exposés sur le pilori ; des courses de chevaux étaient organisées le jour de la fête de l’Apôtre ; la fontaine actuelle date de l'époque de la construction.

Façade de Platerias en 1860, avant l'installation des nouvelles sculptures (fig 92)
Façade de Platerias en 1860, avant l'installation des nouvelles sculptures (fig 92)

Les places entourant la cathédrale

Sur la Place de l’Obradoiro on construit une nouvelle façade au palais archiépiscopal, sur les balcons duquel le prélat, en tant que Seigneur de la ville, devait présider les fêtes et les actes qui s’y déroulaient.
On édifie un nouveau portique pour la cathédrale et les escaliers d’accès actuels, à échelle grandiose et à double volée, dont la fonction était de solenniser l'entrée dans la cathédrale lors des cérémonies en l'honneur  des archevêques le jour de leur entrée en possession de leur siège épiscopal.


La Place de la Quintana est pavée. Ses deux niveaux sont reliés par les actuels gigantesques escaliers qui, à l'époque comportaient des terrasses sur les deux flancs, constituant un espace solennel pour recevoir des pèlerins lors des années saintes.

La porte Azabacherias au XVIIe (reconstitution)
La porte Azabacherias au XVIIe (reconstitution)

La visite de la cathédrale par les pèlerins

La porte Azabacherias aujoud'hui
La porte Azabacherias aujoud'hui

Particulièrement intéressant est l’itinéraire destiné aux pèlerins dans la cathédrale. Ils entraient par la porte de la Azabacheria (reconstruite en cette même époque à la suite d’un incendie). Dans la chapelle des Rois de France, ils entendaient la messe, communiaient et retiraient la compostela. Ils rendaient ensuite hommage à la statue de l’apôtre Jacques sur le maître-autel, objet des très anciens rites de l’accolade et du couronnement

« pour [écrivent les Boán] susciter la dévotion des pèlerins et des gens qui viennent lui rendre visite pour le toucher, l’embrasser et poser ses mains sur lui ».

Enfin, ils se rendaient à la chapelle des Reliques où un interprète polyglotte leur expliquait les « trésors » de la cathédrale comme la " dent du Zébédée "  (offerte par Geoffroy Cocatrix, bourgeois de Paris, au XIVe siècle) et le " crâne de Jacques Alphée ".  

Je ne peux omettre de remarquer que les frères Boàn se croient obligés d’expliquer que

« ni le corps ni même le tombeau ne pouvaient être vus ».

Selon eux, l’archevêque Diego Gelmirez (c.1068-1140) avait muré les portes de la chapelle où reposait saint Jacques « pour que le corps sacré de l'apôtre soit plus en sécurité ». Ils ajoutent cette raison curieuse : « étant moins visité, la dévotion et la vénération des fidèles à son égard grandiraient davantage ». Ils s’inscrivent dans un courant totalement contraire au fait que chaque sanctuaire offrait au contraire à toucher les reliques. On doit remarquer qu’à aucun moment, il n’est question du corps caché en 1576 par peur des Anglais.


L'intérêt de ce document pour le pèlerin d'aujourd'hui

Pèlerins d’aujourd’hui, nous découvrons des lieux qui ne nous sont pas familiers, hormis les places qui entourent la cathédrale. Ce texte est la photographie d’une ville qui, lorsqu’on regarde sa nouvelle organisation, semble plutôt orientée vers les habitants que vers les pèlerins.

Elle est alors aux mains d’une nouvelle noblesse soucieuse d’afficher sa richesse en marchant sur les traces des nobles des siècles précédents qui avaient déjà entamé la modernisation de la ville. On contemple des bâtiments civils monumentaux, des écoles, des remparts, des lieux festifs. Où sont les pèlerins ?


D’où cette question qui se fait insistante : ne sont-ils pas de simples faire-valoir ? Les auteurs ne disent-ils pas que, « en contemplant la grandeur des bâtiments » les pèlerins touchent au divin ? Il s’agit certes des bâtiments religieux, mais aussi de toutes ces riches demeures dûment estampillées des armoiries de chacun.


Durant tout le Moyen Age, la noblesse s’est déchirée autour de la possession de l’archevêché. Au XVIIe siècle, la paix est faite et tous sont unis pour affirmer la grandeur de la ville-sanctuaire dont ils profitent tous. La Galice est un pays pauvre mais elle possède un sanctuaire dont on a fait l’un des plus grands en Europe. Sa gloire rejaillit sur chacun de ses riches bienfaiteurs.


A y regarder de plus près, on s’aperçoit que les pèlerins sont volontairement cantonnés dans un espace extrêmement bien balisé, tellement figé qu’il est resté le même jusqu’à aujourd’hui. Certes ils sont indispensables, ils sont traités avec égards, mais ils ne doivent pas se mélanger au reste de la population. S’ils sont porteurs de profits, ce sont de profits emblématiques bien plus que financiers et ils restent des étrangers porteurs aussi de contagion et de dangers diffus.


L’ascension de la ville s’est poursuivie pendant tout le XVIIIe siècle avant le grand déclin du XIXe. Dans la ville d’aujourd’hui, cette vision d’hier ne peut que nous pousser, nous pèlerins, à nous aventurer hors des balises qui nous sont assignées pour rencontrer ceux qui vivent encore du pèlerinage… et les autres.

Les jardins de la Alameda nous y invitent

Parc de la Alameda
Parc de la Alameda

L'ermitage Sainte-Suzanne
L'ermitage Sainte-Suzanne





Aurez-vous dans ces jardins l'occasion de rêver aux grandes processions qui parcouraient la Herradura ou de contempler les camélias Saint-Jacques ?

Merci à Elvire Torguet pour ses traductions