Institut recherche jacquaire (IRJ)

XIXe siècle, Compostelle face aux reliques italiennes, lettre 144


Rédigé par Flavio Vandoni le 15 Septembre 2022 modifié le 19 Septembre 2022
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Un document conservé aux Archives historiques diocésaines de Pavie (IX- Santi Pavesi, cart. 44) relate qu’à la fin du XIXe siècle, l’archidiocèse de Compostelle a lancé une enquête à propos des reliques de saint Jacques éparpillées dans le monde. Il s’agissait, à la suite de la redécouverte du tombeau de saint Jacques, de faire accepter l’authentification officielle faite par le pape Léon XIII.



La relique de Pistoia

Au XIIe siècle, dans le Codex Calixtinus, les chanoines de Compostelle affirment haut et fort que le corps de saint Jacques « est ici tout entier ». Ils l’affirment de même en 1499 :

« En outre on dit que le corps de saint Jacques le Majeur est dans le grand autel…  Moi, j’ai essayé, en faisant des offres importantes, qu’on me montre ce saint corps. On m’a dit que ce n’était pas la coutume de le faire, et que celui qui doute que ce fût son corps, à l’instant devienne fou comme un chien enragé. Cela me suffit ».

XIXe siècle, Compostelle face aux reliques italiennes, lettre 144

Et pourtant, en 1144, l’archevêque n’hésita pas, dit la Bulle du pape Deus omnipotens en 1884,
 

« à séparer une parcelle des saints ossements, qu'il donna, avec des cédules d'authenticité, à saint Authon, évêque de Pistoia. Ce fragment, d'après une expertise récente faite par des spécialistes, appartenait à la tête : c'est ce qu'on appelle l'apophyse mastoïde ; il est encore couvert de sang, car il a dû recevoir un coup d'épée lorsque la tête fut séparée du cou ».


Relique de Pistoia, détail
Relique de Pistoia, détail




A Pistoia, la relique a été accueillie avec enthousiasme et placée dans une chapelle spécialement construite dans la cathédrale, consacrée le 25 juillet 1145. Le reliquaire actuel date de 1407, devant l’autel d’argent du XIIIe siècle.

Les reliques partagées entre Pavie et Pontida reconnues authentiques

A Pavie, l’évêque Mgr. Agostino Riboldi fait part de ses doutes à la suite d’une recherche qu’il avait entreprise en 1877. Il savait que la relique du « bras de saint Jacques » qu’il possède venait du monastère de Pontida (Bergame), apportée en 1373 raflée après le sac du monastère par les Visconti et transférées dans la chapelle de leur château. Prudent, il déclare que ce bras pourrait venir de Compostelle car « Pontida avait certainement des relations avec le sanctuaire », mais il estime qu’il n’est pas possible de reconstituer comment la relique y était arrivée, étant donné la disparition des archives de Pontida. Il explique les bons soins qu’il a prodigués au reliquaire : 

« En 1885, nous avons jugé opportun de changer la forme dudit reliquaire, c'est-à-dire de conserver la base, de changer la partie supérieure, et de remplacer la forme d'un bras par celle d'une urne à cristaux de verre, soutenue par quatre personnages ». 

Surprise ! Après avoir soigneusement étudié la documentation produite par l'évêque de Pavie, dans une lettre datée du 8 octobre 1901, le cardinal-archevêque de Compostelle, Maria Martin Herrera (1835-1922), déclare qu’il :
n'y a pas d'obstacles à la reconnaissance de l'authenticité de la relique. 
D’après les archives existant à Compostelle, il a cru, dit-il, approuver le culte public rendu par le diocèse de Pavie à la relique, certifiant ainsi, bien qu'indirectement, son authenticité. Il s’est basé sur les relations existant depuis le XIe siècle entre Compostelle et l’Italie du Nord, en particulier avec Pontida et les Visconti.
Est-il besoin de commenter ? 
Transportée à la cathédrale en 1499,  cette relique semble avoir été vénérée par toute la ville de Pavie, car, en 1599, par une souscription publique, les habitants donnent un nouveau reliquaire en argent, en forme de bras.
 
En 1952, Pavie restitue une partie du bras qui avait été volé au monastère de Pontida. Celui-ci bénéficie donc dorénavant d’une relique authentifiée avec le bras quand il était à Pavie.

En 1884, Compostelle condamne un tombeau de saint Jacques

Le mont Grigliano (grigiano, par la couleur grise des cendres qui étaient déposées là) est une colline située à une dizaine de kilomètres de Vérone à Vago di Lavagno où était bâtie une église. 
Vers 1395, un contemporain raconte qu’un paysan nommé Philippe, du village de Lavagno, reçut en rêve l’ordre de creuser au sommet de la colline pour mettre au jour les reliques de saint Jacques. Deux siècles plus tard, l’historien Bagatta précise qu’il a trouvé 

« une partie du corps de S. Jacques le Majeur apôtre, dans une arche de marbre fermée par des clés de fer aux quatre angles, dans laquelle des lettres disaient que c’étaient les os de saint Jacques apôtre ». 

Les pèlerins affluent, dans l’espoir d’un miracle qui ne se fait pas attendre et les donations aussi. La fille de Barnabo’ Visconti de Milan avec d’autres nobles demoiselles vient en pèlerinage et en profite pour arracher un doigt à saint Jacques et filer en Germanie.

L'arche de marbre de Grigliano
L'arche de marbre de Grigliano

Puis Philippe, le paysan découvreur, promu gardien, envisage de voler la relique et de partir afin de la vendre ailleurs. Il se confie à un ami, qui le lui déconseille. Il le tue, à l’aide d’un complice.
Au XVIIe siècle, un autre historien donne des détails. Le vol a lieu par une nuit d’orage qui réveille les autres gardiens et prennent les voleurs sur le fait. Ils récupèrent les reliques et laissent partir les voleurs (qui se sont peut-être enfuis).
Le voleur est puni 4 ans plus tard, pendu devant la tombe de sa victime.
 
En 1883, l'évêque de Compostelle posa la question de la véracité des reliques de Vérone


Malgré l’ampleur des miracles, le pape Léon XIII répond l’année suivante par les Acta Apostolice Sedis qui menacent d'excommunication ceux qui ne reconnaissent pas que le corps de saint Jacques n’est qu’à Compostelle en Espagne. Il ne pouvait pas décemment authentifier celui du mont Grigliano, alors qu’il venait de proclamer que
« les véritables restes du saint se trouvaient en Galice ». 

Un siècle plus tard, Compostelle redistribue des reliques

A Milan, l’église Saint-Jacques le Majeur, située dans via Meda, a été construite entre 1999 et 2001 et consacrée par l'archevêque Dionigi Tettamanzi le 28 janvier 2006. Dès avant le début de la construction, en 1998, l’archevêque de Compostelle Julian Barrio Barrio a offert une relique destinée à être enchâssée dans l’autel. Placée dans un reliquaire de granit rouge, la relique reste visible à travers une vitre. 

La relique de Milan
La relique de Milan
Mais cette relique n’est pas un ossement !
Elle consiste en une pièce d'étoffe de soie grenat du XVe siècle qui a touché la statue de Santiago ; un morceau de bois de l'arche provisoire qui contenait les restes de l'apôtre de 1879 à 1891 ; un morceau de chevron d'or de la même arche. 
L’authentique* est datée du 25 juillet 1998. 

« Nous accordons avec plaisir notre autorisation pour le don des brandea mentionnées ci-dessus, que, conformément à la loi, nous déclarons authentiques, avec l'espoir qu'elles seront un gage pour la nouvelle paroisse de la précieuse intercession de notre saint patron, le glorieux apôtre saint Jacques le Majeur, et pour tous les fidèles de cette nouvelle communauté paroissiale qu'ils soient une incitation à la dévotion et participation à son zèle apostolique »

*authentique : texte daté et signé, plus ou moins long, attaché à la relique certifiant son authenticité.

Qu'en est-il ailleurs en Europe ?

L’Institut de Recherche Jacquaire n’a pas d’informations sur l’enquête mentionnée en introduction. 
Des recherches dans les archives de Compostelle, source de l’enquête, compléteraient  pour d’autres pays la recherche faite par Flavio Vandoni pour l’Italie. Pourraient-elles motiver quelques esprits curieux de l’histoire des reliques ?
 
Elles ne trancheraient pas la question qui fâche parfois des pèlerins, de savoir si l’urne de la crypte de la cathédrale contient ou non les restes du corps de saint Jacques. Cette réponse est d’ordre émotionnel et politique.
 
Sur ce sujet, l’IRJ propose de reprendre, en conclusion, ce que disait Marie Mauron (lettre 142). Son langage poétique n’est-il pas en harmonie avec la pensée de l’archevêque de Compostelle, authentifiant (indirectement) le bras conservé à Pavie par la ferveur de ses habitants ?  
Et le tombeau d’argent est vide. Mais justement ce qui l’habite, ce grand vide, c’est l’absolu que ces brasiers de foi et d’amour ont créé, comme Dieu créa de rien, de son amour, le monde. Si les os réels de saint jacques étaient là, leur poussière auguste serait limitée et finie. Dans l’intemporel elle s’agrandit aux dimensions sans limite des cœurs qui, siècle après siècle, l’ont faite présence.