Pas facile de faire parler une image
Aussi bizarre que cela puisse paraître, les identifications correctes s’oublient parfois au profit de lectures nouvelles tout aussi fausses que les premières. En voici un exemple étonnant :
Il est intitulé « Verrière de saint Jacques, XIIIe » de la cathédrale de Tours et mentionne qu'elle est « complète mais parties brouillées » et porte une remarque surajoutée « schéma faux ».
De bas en haut, les médaillons sont renseignés comme suit :
Un homme à genoux devant un autre et les mains liées ;
Un ange nimbé tenant les 3 clous et le suaire de la Crucifixion ;
Un ange réveille deux personnages endormis ;
Le saint va être obligé de boire une coupe ;
Brouillé »
Le « pendu-dépendu » de Cour-sur-Loire
Saint Jacques n’est-il pas là pour rappeler qu'il protège les voyageurs autant sur l’eau que sur terre ?
L’un de nos lecteurs, Jean-Claude Fontaine, nous a interrrogés sur la version qu’il a découverte dans un journal ancien :
« … Un article de Jean Chavigny paru dans le n°16 du Flambeau du Centre de janvier-février de 1936 donne une version intitulée ‘La Légende des Trois Pèlerins’. Est-ce une version connue ? Que doit-on en penser ? »
L’auteur donne la source de son information, un livre publié à Paris en 1913 par le curé de la paroisse, l’abbé Garreau (1868-1938) : Cour-sur-Loire, son église, sa chatellenie, son histoire. Curé de Cour entre 1898 et 1910, il faisait partie des curés érudits qui racontaient l’histoire de leurs paroisses, certains étant de véritables chercheurs mais d’autres n’ayant qu’un seul but, raconter un maximum de choses édifiantes propres à augmenter la piété de leurs paroissiens.
La lecture de l’abbé Garreau
« A la fin du siècle dernier, le ministère des Beaux-Arts se chargea de la restauration des vitraux de Cour-sur-Loire. Ce fut Adolphe-Charles-Edouard Steinheil qui restaura le vitrail de la 1e nef ».
1 - En bas à gauche :
« arrivée des pèlerins à l’auberge. L’hôte les reçoit pendant que sa femme prépare le diner ».
« sont couchés, l’hôtelier leur apporte un breuvage empoisonné afin de les dévaliser plus facilement. Mais le poison ne leur causera aucun mal et la renommée de leur sainteté se répandra bien vite dans le pays ».
L’image montre bien trois pèlerins endormis et l’hôtelier penché vers eux.D’où viennent les informations sur le breuvage, le réveil des pèlerins, leur sainteté … ?
3 - L’hôtelier
` « Dénoncé, il passe devant les juges ; les pèlerins sont présents comme témoins, et l’accusé est condamné à être pendu haut et court ».
Que dit l’image ? Au centre, le jeune pèlerin avec son bourdon, entouré de trois hommes. L’un d’eux est-il l’hôtelier? Derrière on voit nettement la mère, suivie du père.4 - L’abbé voit ensuite :
« l’hôtelier pendu à la potence, devant les trois voyageurs ».
Trois voyageurs ? On voit les deux parents et un troisième personnage, pèlerin lui aussi ? Ou saint Jacques ?5 - Et là, coup de théâtre :
« l’un des pèlerins enlève le pendu et le ressuscite, et les magistrats présents en restent ébahis ».
« le ressuscité reconnaissant embrasse son sauveur ».
Que dit l’image ? A gauche, un aparté entre deux hommes ; au centre un gibet au pied duquel attend le bourreau ; à droite une scène d’adieux : les deux parents avec leurs bourdons, bien visibles, embrasseraient l’hôtelier en pleurant ?Mr. l’abbé Garreau avait sans doute entendu parler de la légende du « pendu-dépendu » puisqu’il met en scène trois pèlerins, un hôtelier et un pendu-dépendu. Avait-il lu l’étude du peintre Steinheil ? D’ailleurs, cette étude existait-elle ? Il est possible aussi qu’il ait simplement écouté les récits des paroissiens qui avaient assisté à la restauration et déjà réinterprété la légende.
La vérité établie progressivement
« le vitrail du bas-côté nord n'est autre que l'illustration d'un récit de la Légende dorée, concernant un pèlerin de saint Jacques condamné injustement a être pendu et sauvé par un miracle du saint, qui le soutint lui-même dans ses bras ».
La première mention des coqs n’apparaît, sans doute pas avant 1350, dans les archives de la cathédrale de Santo Domingo de la Calzada, en Espagne où se fixe le lieu du miracle. Une bulle du pape d’Avignon, Clément VI (1342-1352), accorde des indulgences aux fidèles qui :
« témoigneraient des égards au coq et à la poule qui sont dans l’église [… et] tourneraient dévotement autour du sépulcre du saint de santo Domingo en récitant le Pater noster, Ave Maria et Gloria ».
1) Les pèlerins endormis
2) L’arrestation
3) La pendaison
4) Le pendu est vivant !
5) Chez le juge
6) La dépendaison
Malheureusement, il n’existe aucun document datant d’avant la restauration du vitrail, mais la restauration a été réellement abusive. Outre le mauvais remontage des panneaux, les spécialistes ont noté le remaniement de la cheminée, la disparition des coqs qui n’auraient pas manqué d’être figurés, le visage de l’aubergiste, etc.
Le « pendu-dépendu » de la chapelle Saint-Jacques de Vendôme
« [...] il n'y a pas deux femmes dans le lit [...] Il serait plus naturel de voir dans cette scène, un vieillard couché entre sa femme et son fils avec lesquels il va sans doute accomplir un pèlerinage [...] La femme éveillée qui tient la panetière où elle jette de l'argent, est une femme charitable qui a donné l'hospitalité à trois pauvres pèlerins et qui leur fait l'aumône pendant leur sommeil ».
Et il ajoute :« Il faudrait voir si ce vitrail de Vendôme n'a pas été restauré et si le personnage qui touche à l'une des escarcelles n'était pas un homme primitivement. Dans ce cas ce serait l'aumône de saint Nicolas ; dans le cas contraire on doit chercher l'interprétation de cette scène dans quelques légendes de pèlerins… ».
Disparitions successives
Depuis, ce vitrail a disparu. Il provenait de la chapelle de l’hôpital Saint-Jacques. Il semble évident qu’il a été un élément d’un vitrail plus complet représentant plusieurs épisodes de la légende du « pendu-dépendu ». Il a été démonté au moment de la Révolution et a fait partie d’un lot du mobilier acheté par la paroisse de Villiers-sur-Loir, pour meubler sa propre chapelle Saint-Jacques. Il n’a sans doute pas été remonté à Villiers puisqu’il se retrouve ensuite au musée de Vendôme. Quant aux autres éléments, ils étaient certainement en trop mauvais état pour être remontés ailleurs.
En 2010, l’association Résurgences du Vendômois avait reproduit ce vitrail. Cette copie a disparu ,elle aussi, à ce jour.
A Cour-sur-Loire, cherchons l’erreur
Elle offre un nouvel exemple d’une restauration abusive.
Elle est décrite ainsi dans une monographie de 19444.
« Le vitrail du bas-côté représente les 12 apôtres, enfants et nus, groupés autour de Jésus, de ses parents et de ses proches ».
Aucun autre exemple n’existe d’un collège d’apôtres représentés en enfants.
Sur le panneau de gauche :
Marie, Dalpheus et leurs quatre enfants, quatre apôtres, les saints Jacques le mineur, Jude, Philippe et Simon le Zélote.
Sur le panneau de droite :
Marie, Zébédée, saint Jacques porteur du bourdon et saint Jean porteur du calice.
Au centre :
Marie, saint Joseph et Jésus, entourés des apôtres saint Pierre et ses clefs, au centre, André (par déduction car illisible), Barthélémy, Thomas, Mathieu.
Il manque Judas, dit l’Iscariote…
Singulière audace ou ignorance du peintre qui prend une grande liberté avec les évangiles ! Pour lui, tous les apôtres sont autant de frères et cousins de Jésus. A la place de quel dessin a-t-il a intercalé ces cinq personnages supplémentaires ? Car jamais le XVIe siècle n’aurait permis une telle interprétation des textes…
Cette restauration a donné à Cour-sur-Loire une verrière unique en son genre.
1 - « Les vitraux du XVIe siècle consacrés à la légende du « pendu-dépendu » : nouvelles informations iconographiques », Histoire de l'art, 1998, n°40-41, p. 113-125.
2 - Bibl. mun. Vendôme, aquarelle du vitrail, album Launay, V. 206. Dimensions de l’aquarelle 242x149.
3 - XXXIXe session, 1872, Vendôme, 1873, p. 194-195.
4 - Archives départementales de Loir-et-Cher F 1332
Des recherches à poursuivre
Les faire découvrir au public, habitants, touristes et pèlerins, dans leur état actuel et leur histoire, entre dans les objectifs du projet européen Etoiles du Patrimoine Saint-Jacques. Il a également pour ambition de permettre des comparaisons internationales entre des œuvres traitant du même thème.