Institut recherche jacquaire (IRJ)

Sur la route de Compostelle à la Contre-Réforme, étape n°31


Rédigé par Denise Péricard-Méa le 17 Avril 2020 modifié le 18 Avril 2020
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Au musée des Beaux-Arts de Limoges, un gisant du XIIIe siècle de deux personnages inconnus.
En leur donnant des noms et une histoire, en 1650, un pieux abbé a créé une jolie légende dite du Bon mariage. Elle est née au moment de la Contre-Réforme, pour rendre sa gloire à l’Eglise catholique.



Le gisant dit du " Bon mariage ", musée de Limoges
Le gisant dit du " Bon mariage ", musée de Limoges

 Passant, arreste-toi
pour regarder ce lieu 
Ce monument usé est dit : Bon Mariage
Deux corps pleins de vertus,
deux cœurs amis de Dieu
Que la mort a frappés
en faisant son triage
Se reposent ici.
Le Poitou les produict
Galice les appelle et Lymoge y prétend.
Le ciel les met d'accord,
pas un n'est esconduict
La femme meurt icy sans aller plus avant
On lui fait un tombeau
de grandeur coustumiere
Pour y serrer son corps.
Cependant son mary
Tout baigné dans ses pleurs,
ne va point en arrière
Mais accomplit son vœu,
Et retournant guary
de ses douleurs de corps,
Le souvenir poignant de sa perte revient
et lui cause la mort.
Ce fut alors que Dieu
se fit voir tout-puissant.
On ouvre le sépulchre,
et sans aucun effort
L'espouse se retire
assez pour qu'il ait place
Pour apprendre aux conjoints
a s'entr'aimer toujours
Afin qu'ayant vescu
en la divine grâce
Ils puissent voir le ciel
à la fin de leurs jours.


Un abbé soucieux du renom de son abbaye

En 1650, dom Gabriel de Saint-Joseph, 7e abbé du monastère des Feuillants de Saint-Martin-lez-Limoges, est empêtré dans une querelle théologique qui l’oppose à l’évêque et à Rome. Loin de moi l’idée même de résumer ce qui oppose « jansénistes » partisans de la prédestination et « molinistes » partisans du libre-arbitre, mais dom Gabriel est « moliniste ». A ce moment, il est touché par une sévère censure (il avait, semble-t-il, consacré une église en habits épiscopaux) qui l’a poussé sans aucun doute à s’affirmer en reconstruisant son abbaye qui avait été détruite à la fin du XVIe siècle.
En 1650, il terminait la nouvelle chapelle. Mais comment redonner du lustre à son abbaye décriée depuis plusieurs années ?

Pourquoi pas un pèlerinage ?

L’abbaye au XVIIIe siècle
L’abbaye au XVIIIe siècle
Dans l’un de ses prieurés, à Saint-Martin-sous-Loutizie (l’Autise, Vendée) on conservait un tombeau fermé par deux gisants dont on ignorait tout. Fit-il fouiller ce « monument usé » et y découvrit-il deux squelettes ? Sans doute. Il daterait du XIVe siècle. Dom Joseph le fit transporter dans une niche à l’extérieur de la nouvelle chapelle et il fit graver l’épitaphe ci-dessus, sans que l’on sache où elle était située.

D’où lui est venue l’idée du pèlerinage en Galice ?
Pour concurrencer la cathédrale qui conservait un buste reliquaire de saint Jacques ?
Parce que le « molinisme » est né en Espagne des travaux d’un jésuite espagnol Luis de Molina (1535-1600)  dont les idées furent reprises par un  archevêque de Compostelle en 1624 (Augustin Antolinez (1554-1626), de l’Ordre des Ermites de saint Augustin) ?

Le succès fut au rendez-vous

La légende fut encore enjolivée en affirmant que les jeunes gens étaient originaires de Saint-Martin-sous-l’Autize, d’où ils seraient partis. Certes ce prieuré était, à l’époque, en Poitou, mais rien de plus. A partir de ce moment et jusqu'à la Révolution, les héros défunts furent honorés comme des saints. Personne n’a jamais plus pensé que le texte était postérieur de plusieurs siècles aux gisants.

En 1791 les bâtiments furent vendus comme Bien National. Ils abritèrent successivement une imprimerie puis un pensionnat de jeunes filles. Le gisant des jeunes époux fut déménagé une fois de plus, et servit de couvercle au regard d’un aqueduc voisin.
En 1835, les ouvriers ont compris en ouvrant ce regard qu’ils avaient retrouvé « les bons saints » que l’on croyait perdus. La sculpture était tournée vers l’eau et le texte disparu. Heureusement, ce texte avait été recopié en 1770 et conservé dans les archives.
En 1865 la ville de Limoges acheta le bien pour le démolir et construire les bâtiments de la division militaire, actuellement désaffectés et mis en vente.
En 1840, l’abbé Texier avait proposé d’intégrer ce tombeau dans une niche creusée dans un mur du chœur de la cathédrale afin qu’il garde toute son aura sacrée.
Le bâtiment en vente
Le bâtiment en vente

Un projet sans suite

Détails du projet de l'abbé Texier donnés par les annotations du croquis :
« Le soubassement supportant les statues serait divisé en trois compartiments par des arcades ogivales. Celle du milieu encadrerait l'inscription de 1650 Passant, arrête-toi… Sur une autre serait inscrite la date de cette translation. Elle pourrait être ainsi rédigée :
Ce monument,
Autrefois placée dans l’abbaye de Saint-Martin-Lez-Limoges,
a été honorablement transporté dans ce lieu
par l'ordre et les soins de Monseigneur Prosper de Tournefort
Evêque de Limoges,
L'an MDDCCCXL
Le troisième compartiment serait occupé par quelques versets des Saintes écritures, tel que celui-ci :  Heureux ceux qui sont conviés au festin des noces de l'agneau ».  

Le projet de restauration
Le projet de restauration
Vos commentaires seront les bienvenus, bien qu’il soit parfaitement utopique d’imaginer une pareille réalisation !

Demain   :
Cythère et Compostelle

Pour en savoir plus :

 Des informations supplémentaires sur le site Inventaire.
Chercher Limoges dans la recherche rapide, fiche gisant et couple de pèlerins en accès libre.
 

Liens avec le projet « Etoiles du Patrimoine Saint-Jacques »

Projet promu par les Constellations Saint-Jacques présentées sur cette page
Etoiles :
Le couple légendaire, dom Gabriel et l'abbé Texier
Le gisant
Constellation :
Le nombre d'enregistrements de l'Inventaire montre l'importance de la Constellation de Limoges du Patrimoine Saint-Jacques de cette ville.