Institut recherche jacquaire (IRJ)

Soulac entre Histoire et légendes, étape n° 106


Rédigé par Denise Péricard-Méa le 19 Avril 2021 modifié le 19 Novembre 2023
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L’abbé Mezuret, curé de Soulac au moment de la résurrection de l’église ensablée (1864), a tenté d’en écrire l’histoire. Sa méthode a été très critiquée par l’un de ses confrères et ami, l’abbé Deydou, tenant de l’histoire dite « positiviste ». Cet article est un tel délice que je ne manquerai pas de le publier, dans une prochaine lettre.



Soulac vue par l’abbé Mezuret

Sous l’épaisse couche de 300 pages de pieux discours, se cache la mémoire collective qui, faute de documents, a façonné l’histoire de Soulac. L’abbé Mezuret a su la faire parler :

« L’habitant du Médoc interroge les aïeux et les aïeux lui répondent. A l’étranger qui s’enquiert des titres, on peut réciter les légendes du foyer ».
 

Comment dire plus élégamment que, devant le silence des « titres », autrement dit des documents, il faut se contenter des légendes ? Et de citer  :  

Couverture de la première édition du livre de l'abbé Mezuret
Couverture de la première édition du livre de l'abbé Mezuret
 

« ces traits naïfs, cueillis çà et là dans les champs fleuris de nos vieilles légendes ».

« Dame Véronique apportant dans son tablier l’argile et le gazon qui servirent à bâtir sa cabane (ou à freiner l’avancée des sables) ».

« saint Martial qui consacra la chapelle, …  »

« les pèlerins revenant de Jérusalem et de Saint-Jacques … ».
 

Le bon curé s’interroge. Se peut-il que « ces faits si étranges ayant traversé les siècles sur les ailes tremblantes de la légende populaire » ne se retrouvent pas dans des textes écrits ?
Il n’ose pas dire qu’il n’a rien trouvé et pourtant, faute de mieux, il écrit.

Le vœu de Lesparre

C’est à lui que l’on doit l’unique description d’un pèlerinage réel qui lui a été racontée par un ancien dont les souvenirs d’enfant pouvaient remonter à la Révolution. Peu importe l’ancienneté de ce vœu, qu’il soit de la fin du XIIIe siècle ou plus tardif, il décrit ce qui fut une réalité.
La paroisse de Lesparre, affligée d’une épidémie de peste fit vœu d'aller tous les ans en procession à l'église de la Fin-des-Terres, chaque 20 juillet, jour anniversaire du voeu. Un pèlerinage d’environ 30 km, soit au moins six heures de marche.

Sainte Véronique et la Sainte Face
Sainte Véronique et la Sainte Face

« C'était un pèlerinage pittoresque ressemblant beaucoup aux caravanes  du désert. La troupe de pèlerins se divisait en deux compagnies, celle des cavaliers où figuraient le curé, le porte-croix et tous ceux qui possédaient un cheval, marchant en tête, et celle des piétons munis de havresacs, de paniers et portant sur leurs ânes et mulets toutes sortes de provisions.
A chaque village, tous faisaient halte et entraient dans l'église pour chanter l'hymne du patron. Toujours chantant des litanies, quand ils arrivaient à l'endroit le plus haut, entre Saint-Vivien et Talais, sitôt qu'on apercevait le clocher de la vieille église, les cavaliers mettaient pied à terre et tous saluaient la sainte Vierge à genoux.
A l’arrivée dans l’église, parée et illuminée comme une cathédrale, chaque pèlerin offrait son cierge avec le ruban traditionnel des fêtes médocaines. L’église du nouveau Soulac, héritière des nobles débris, possédait encore, il y a plusieurs années, une masse énorme de ces rubans, souvenirs des anciens pèlerinages.
Après la célébration des offices, les pèlerins festoyaient dans un joyeux repas et venaient se promener sur les bords de la mer. Le lendemain la procession se reformait pour retourner à Lesparre ou aux autres localités du bas Médoc ».
 

Mais la mémoire humaine est finalement assez courte. Par exemple, on ne retrouve pas chez l’abbé Mezuret les échos recueillis par Dom Estiennot en 1680 : sainte Véronique était arrivée à Soulac avec le voile qu’elle avait offert à Jésus pour qu’il essuie son visage pendant la montée au Golgotha. Elle l’aurait elle-même « placé dans les fondations de l'église de Soulac » qu’elle avait construite.

Soulac vu de l’extérieur

Finalement, c’est par des sources extérieures que j’ai trouvé des traces du rayonnement de Soulac, un rayonnement d’ailleurs très relatif. Son « temps historique » ne remonte pas au-delà du « beau XIIIe siècle ». Ce siècle, dit aussi « siècle du bon roi Saint Louis » fut un siècle de paix, celui de la croissance rurale et urbaine et de l’essor des activités économiques et commerciales.

Le Turpin saintongeais, au début du XIIIe siècle

Charlemagne quittant Aix-la-Chapelle pour aller délivrer le tombeau de saint Jacques
Charlemagne quittant Aix-la-Chapelle pour aller délivrer le tombeau de saint Jacques

Paradoxalement, je choisis d’entrer dans ce temps historique par un texte légendaire, mais issu d’une chronique dont l’époque n’est pas discutée, le Turpin saintongeais. Rappelons qu’il s’agit d’une version de la Chronique de Turpin augmentée du récit de l’expédition de Charlemagne en Galice pour y reprendre le tombeau de saint Jacques. On y voit Charlemagne en Aquitaine combattant le roi Infidèle Aigolant. Après chaque bataille, il reconstruit églises et abbayes pour y enterrer ses chevaliers morts, comme il le fit à Baignes. Soulac, de l’autre côté de la Gironde, apparaît comme un riche sanctuaire :

« puis il s’en retourna à l’abbaye de Baignes […] Là, il fit ensevelir ses barons et mit dans l’autel autant de reliques qu’il y en avait à Notre-Dame sainte Marie à Soulac. A ceci près qu'en compensation du lait de Notre Dame réservé à Soulac, il donna à Baignes deux lieues de terres tout autour de l'abbaye. ».


Soulac, sanctuaire pénitentiel mineur, 1246

 
Dès le début du XIIIe siècle se sont mis en place des tribunaux ecclésiastiques, l’Inquisition. En France, on connait surtout la répression de l’hérésie cathare, mais il y en eut d’autres en Europe. L’une des manières de punir les hérétiques repentis fut de les envoyer en pèlerinages pénitentiels. Pour éviter une errance incontrôlée, en 1246, le concile de Béziers a établi une liste de ces pèlerinages, répartis en deux groupes, les pèlerinages majeurs les plus lointains : Rome, Compostelle, Cantorbery, Cologne, Constantinople et vingt-deux pèlerinages mineurs, choisis parmi les plus anciens et les plus connus (liste envoyée sur demande). Et Soulac figure parmi eux.
A « Sainte-Marie de Soulac » dès 1241 des dissidents ont été envoyés depuis le Languedoc*. Il faudrait consulter le document, il y figure peut-être davantage de détails. Mais, lorsque j’ai étudié les pèlerins pénitentiels de la région Centre et du Poitou, je n’en ai trouvé aucun envoyé à Soulac.

* - Mentionnés dans les Actes de Guillaume Arnaud (Paris, Bnf, coll. Doat Languedoc 21, fol. 177v°).

Soulac sur une liste de grands sanctuaires, vers 1250

 
Lors de cette recherche, j’ai en revanche trouvé un livre liturgique appartenant à un prêtre du diocèse de Poitiers*. Ce livre contient douze prières en français à utiliser dans les sermons, lors des messes paroissiales. L’une d’elles était dite « pour les pèlerins » ; elle n’est pas une prière de départ, mais une prière pour les absents, partis pour un pèlerinage hors des repères ordinaires.
La voici traduite en français moderne :

« Pour tous ceux et pour toutes celles qui sont en pèlerinage d’Outre-Mer, ou de Rome, ou de Saint-Jacques, ou de Saint-Gilles, ou Notre-Dame de Rocamadour, ou de Soulac, ou de Celle-sur-Belle ou autres pèlerinages qui sont par le monde. Que Jésus-Christ, par sa pitié et par sa miséricorde, les conduise à bien faire et à bien dire ; qu’il leur donne de bien faire ce pèlerinage, ... ».

Elle était suivie d'une prière en latin, traduite par B. Gicquel. (Les textes de ces prières seront envoyés sur demande)
Que Rocamadour, Soulac et Celle-sur-Belle soient cités prouve qu'ils étaient des sanctuaires connus de la masse des fidèles de la région, au même titre que les trois grands et confirme la notoriété régionale de Soulac.    

* - GAUTIER, (L.), « Notice sur un livre liturgique », Bibliothèque de l’Ecole des Chartes, 1877, t. XXXVIII, p. 483-490.

Pèlerins du XVe siècle

Là encore, seules des sources extérieures font connaître les rares pèlerins recensés.
En 1422, un seigneur de la famille Chauvigny, originaire du Poitou et qui fut dans la mouvance d’Alienor d’Aquitaine, Guy II, cite Soulac dans son testament. Son biographe rapporte qu’il a demandé à son fils d’exécuter tous les pèlerinages qu’il n’a pas pu effectuer de son vivant. Une dizaine, dont 7 à la Vierge. Sainte-Marie de Soulac figure en 4e position, derrière Saint-Jacques, le Saint-Suaire de Cadouin et Rocamadour*.
 
* - Jehan de La Gogue, « Histoire des princes de Déols… », éd. Grillon des Chapelles… t.III, p. 382

Durant son règne, le roi Louis XI a effectué une quarantaine de pèlerinages différents, une bonne moitié étant des pèlerinages à la Vierge, qu’il vénérait particulièrement.
Chaque fois qu’il allait dans une région, il se recueillait dans le sanctuaire le plus ancien et le plus couru.
​Soulac a été honorée de trois visites, connues par ses déplacements et les lieux où il signe des actes, le 16 janvier 1463, le 24 avril 1472, le 14 mars 1473.

Soulac trouve sa place

   
Au terme de ces trois lettres, Notre-Dame-de-la-Fin-des-Terres, classée au Patrimoine Mondial au titre du Chemin de Compostelle, bien que n’ayant rien à voir avec Compostelle, apparaît pourtant légitimement à sa place comme l’un de ces pèlerinages locaux qui ont constitué le maillage chrétien de l’Europe médiévale.
Sur terre, Soulac a eu un rayonnement régional ; sur mer, sans doute un rayonnement plus grand car le sanctuaire s’inscrit dans la ligne des sanctuaires littoraux dont les marins avaient besoin.
Sous la dalle de béton qui enserre désormais la vieille église, est enfouie la mémoire des pauvres paysans capables d’avoir survécu à la marche implacable des dunes et aux épidémies de toutes sortes. Nous ne saurons rien de plus. L’abbé Mezuret concluait par ces mots prophétiques :
« que passe, sur ces nobles débris exhumés, un souffle divin de résurrection et de vie ! »
 


Soulac entre Histoire et légendes, étape n° 106

En 1987, le Conseil de l'Europe a fait de Compostelle le modèle des pèlerinages médiévaux européens.

Pèlerins contemporains

Tableau représentant Saint Jacques pèlerin
Tableau représentant Saint Jacques pèlerin




Cette décision donnant une importance particulière à saint Jacques a conduit les pèlerins et les sanctuaires eux-mêmes, à oublier les saints traditionnels.

Saint Jacques seul est honoré par les dons de tableaux et de statues. Soulac en est un exemple.
 

Statue de saint Jacques à l'église de Soulac (années 2000)
Statue de saint Jacques à l'église de Soulac (années 2000)











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