Institut recherche jacquaire (IRJ)

Reliques de saint Jacques en Italie, lettre 143


Rédigé par Denise Péricard-Méa et Flavio Vandoni le 3 Septembre 2022 modifié le 6 Septembre 2022
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Comme ailleurs en Europe, les diverses reliques de saint Jacques éparses un peu partout prouvent que les fidèles ont besoin du saint apôtre. Peu importe qu’il soit Majeur, Mineur ou auteur de l’Épître, ils le prient dans leur vie quotidienne et à l’heure de leur mort. N’est-ce pas lui qui emmènera leur âme au Paradis, tout au long de la Voie lactée ? N’est-ce pas lui qui protège des démons de la montagne ou des eaux, et qui aide aux bonnes récoltes ou à la bonne santé des animaux, en les protégeant de la foudre et du tonnerre ?

En Italie, les églises et chapelle vouées à saint Jacques sont très nombreuses. Flavio Vandoni, président des amis de saint Jacques en Sardaigne, s’est attaché à y retrouver des reliques et des reliquaires ... de jolies légendes, des histoires d’hommes parfois malhonnêtes, de compromissions, de rancunes, changées en fêtes qui ont étonnamment traversé les siècles.



Reliques de saint Jacques en Italie, lettre 143
La carte ci-dessus dessine deux pôles où les reliques sont présentes, le nord et le sud. Il aurait été tentant d’étudier séparément chacun de ces groupes, mais si les origines du sud sont attribuées  à l’arrivée de Normands revenant de Croisades au XIe siècle, celles du nord sont trop disparates pour tenter de trouver une unité. En revanche, pour chacun des deux groupes, on retrouve des thèmes semblables.
A l’heure actuelle, les reliques sont réparties en treize lieux, ce qui ne signifie pas qu’elles sont réellement treize, car deux au moins ont été volées par deux autres lieux, mais tous continuent néanmoins de s’en prévaloir. Il est bien connu qu’une relique est un bien précieux car elle attire des pèlerins en quête de miracles, lesquels apportent la richesse et la notoriété. Par la suite, elle est l’objet de bien des convoitises

La doyenne des reliques siciliennes

Le médaillon reliquaire
Le médaillon reliquaire
La tradition pense que la dévotion à saint Jacques, à Gratteri, dans la province de Palerme, daterait de l'époque de la domination arabe en Sicile. Comme à Clavijo en Espagne, saint Jacques est visiblement intervenu lors de la bataille du Normand Roger d'Altavilla contre les Sarrasins.

En effet, dans le « Chapelet et louanges en l'honneur de saint Jacques », il est exalté car 

« à la prière du grand Normand Roger, le jour de sa fête, luttant visiblement en sa faveur, il chassa les Sarrasins et libéra ce village affligé par leur joug […] Par miséricorde envers nous / Tu as fait mourir des rois d'horribles ravages / et pour Ta demeure Tu as choisi ces murs et ce temple ».
 

L'histoire conforte la tradition, puisque tous les historiens qui ont traité de Gratteri affirment que saint Jacques en est le patron et que vers 1150, Roger a fait don d’une « partie de l’os de la côte de l’apôtre Jacques » aux seigneurs de Gratteri. Cette relique est toujours conservée dans un écrin d'argent et solennellement vénérée. Le 25 juillet de chaque année, elle est portée en procession avec une statue de saint Jacques en bois recouvert d’or, placée sous un petit dôme soutenu par des colonnes de fer. Le saint est représenté avec un livre sous le bras, (son Epître ou symbole de l'Évangile ?) et avec un bâton de pèlerin dans la main droite, orné d'une étole rouge, symbole de son sacerdoce et de son martyre. Elle est portée

Le dôme de procession
Le dôme de procession

« sur les épaules de seize des hommes les plus puissants du quartier, et accompagné des tambours, sons musicaux, carillons et pétards. De maison en maison, de porte en porte, il est arrêté devant toutes les familles, aucune exclue, attendant l'aumône, qui se compose d'argent, de blé, d'orge, de haricots, d'huile, de vin et d'œufs, selon la faculté du fidèle ... La ville se parcourt pied à pied, même dans les rues les plus escarpées, dans les passages les plus tortueux : on ne craint pas non plus le danger d'aller précipitamment et d'être écrasé sous le fercolo […] ».


La statue, médaillon sur la poitrine
La statue, médaillon sur la poitrine

À la fin de la procession, sur la place devant l’église paroissiale, après un sermon solennel, la bénédiction avec la relique du saint a lieu, tandis que les porteurs s'agenouillent en tenant le lourd hochet sur leurs épaules. Dans le silence le plus absolu, le cri de foi des Gratteresi se fait entendre : 
E Chiamamulu cu vera fidi !.  
(Et appellons-le avec de la vrai foi). 
Et tout le monde répond :
« Vive les grands protecteurs de saint Gniavicu ! ». Après la bénédiction, le saint est ramené à son église et placé sur le maître-autel.

En Sicile, la haine séculaire entre Capizzi et Messine

A Capizzi, la chapelle Saint-Jacques de Bethléem est connue depuis 1224. Avec l’arrivée des Aragonais en 1282, le culte de saint Jacques s’est encore intensifié. En 1427, un chevalier aragonais, Sancho de Heredia fit don à l’église de plusieurs reliques dont la plus importante fut une « articulation d’un doigt de saint Jacques. » D’où la tenait-il ? Mystère ! Les habitants ne se sont même pas posé la question, tellement ils ont été heureux de ce cadeau. Grace à l’afflux des pèlerins la chapelle devient un sanctuaire, vite très connu… mais la chose suscite aussi la jalousie de l’archevêque de Messine qui en appelle, en 1435, au roi d’Aragon Alphonse le Magnanime (1396-1458) pour que Sancho de Heredia vole les reliques et les apporte à la chapelle de la confrérie Saint-Jacques de Camaro, un village aux portes de Messine. Une partie des reliques demeure à Capizzi, mais le sentiment de haine envers Camaro et le chevalier aragonais est encore vif aujourd’hui
 
Les reliques sont transférées de leur « reliquaire en or massif » dans un autre moins précieux, transporté lui aussi sous un baldaquin monumental. A l’occasion des festivités de la Saint-Jacques, le reliquaire est porté en procession du sanctuaire jusqu’au mur de la maison où habitait le chevalier aragonais (un solide mur fictif reconstruit chaque année et qu'il faut abattre). Dans une ambiance folle, une foule de porteurs fonce en courant, le fercolo tangue, la foule s'écarte. En se servant des poteaux porteurs comme de béliers, l'étrange convoi se jette contre le mur pour l’enfoncer, au risque d'écraser les porteurs de l’avant. Vengeance ! Vengeance répétée chaque année ! Saint Jacques n’oubliera jamais ! Ces coups nécessaires pour abattre le mur, dit « miracles de saint Jacques » sont comptés. S’ils sont pairs, l’année sera bonne. S’ils sont impairs, ils annoncent des malheurs pour la ville.
 

Le bras-reliquaire de Camaro
Le bras-reliquaire de Camaro



A Camaro au contraire, le reliquaire et la statue de saint Jacques sont emmenés paisiblement jusqu’à la cathédrale de Messine et le retour se fait en courant par peur que les gens de Capizzi viennent assaillir le cortège, comme ce fut le cas autrefois. Parfois on démembre le fercolo et on le partage entre confrères pour mieux assurer son retour. 

Un bras de saint Jacques entre Pontida et Pavie

En Lombardie, le monastère clunisien de Pontida a été fondé en 1076 par Alberto da Prezzate qui fit don de tous ses biens, parmi lesquels une petite église dédiée à la Vierge et à saint Jacques. Le monastère fut construit à ses côtés, sous le vocable Saint-Jacques. De ce premier monastère ne subsistent que des fragments du tombeau du fondateur, devenu prieur de la maison ; on y remarque l’apôtre Jacques en pèlerin, en compagnie de saint Benoît.

Reliques de saint Jacques en Italie, lettre 143
Parmi les nombreuses reliques de saints vénérés à Pontida, un « bras de saint Jacques » qui provient d’Espagne au XIVe siècle par le biais du Cardinal Guglielmo de Longis de Adraria. En 1373, le duc Barnabo’ Visconti l’a emporté chez lui au château de Pavie comme prise de guerre lors du sac de l’abbaye par ses troupes. La relique, ensuite, a été transférée à la cathédrale en 1499, lors des guerres d’Italie faites par les Français. A cela s'ajouta la vénération que la ville portait à la relique : en 1599, par une souscription publique, les habitants firent don d'un nouveau reliquaire en argent, en forme de bras (il a été remplacé au XIXe siècle par « une urne à cristaux de verre, soutenue par quatre personnages »). 
Dans un louable souci d'apaisement, en 1952 les reliques ont été partagées en deux : le radius est resté à Pavie et le cubitus revint à son lieu d’origine, l’abbaye de Pontida.

Une paisible relique chez les bergers sardes

Le reliquaire de Mandas
Le reliquaire de Mandas
A Mandas, petite ville au centre d’une région agro-pastorale, qui allait devenir la capitale du duché de Mandas, une relique est arrivée au XVIe siècle, apportée peut-être par le duc espagnol qui voulut l’église ducale dédiée à saint Jacques le matamore, comme l’indique le bas-relief de l’autel.
La tradition orale rapporte que les bergers sardes vénèrent saint Jacques et emmènent avec eux des statuettes de l’apôtre.


Lors des transhumances, ils avaient coutume de faire halte à Mandas pour se reposer, mais un jour l'une des statues devint si lourde qu’ils n’ont pas pu la reprendre. Ils l’ont alors confiée aux habitants avec mission de lui bâtir une église. L’histoire dit que l’église fut terminée en 1605. Dans l’église est conservé un modeste reliquaire contenant des restes de saint Jacques et d’autres saints.
Les bergers priaient pour un juste équilibre entre soleils et pluies pour le bien-être de leurs troupeaux.
Cette paisible dévotion ne peut manquer de penser à ces paroles de l’Epître de Jacques.
« Car le soleil s'est levé brûlant, et il a desséché l'herbe, et sa fleur est tombée, et la grâce de son aspect a disparu » (Jac 1,11).

Saint Jacques protège des tremblements de terre

La main dorée du reliquaire
La main dorée du reliquaire
En Sicile, "saint Jacques apôtre" a été proclamé « Protecteur de la ville de Caltagirone » par le comte Roger le Normand en 1090 à la suite de sa victoire contre les Sarrasins le 25 juillet. Il fit construire l’église du saint hors des murailles vers l'ouest.

La dévotion grandit encore lorsqu’en 1457 l'archevêque Burgio de Manfredonia, natif de Caltagirone, apporta un petit fragment d’os de saint Jacques prélevé sur la relique de sa ville (avec la bénédiction du pape Callixte III et en sachant qu’on ignore son origine). Il fut enchâssé dans un bras en platine avec main en or, pour laquelle on fabriqua la Cassa Argentea et le Fercolo, baldaquin en bois doré et argent.

En 1693, un tremblement de terre a presque complètement détruit l'église. On dit que seule la chapelle avec la Cassa Argentea et le Fercolo du saint n'ont pas été touchés. C'est pourquoi la tradition veut que saint Jacques, après avoir sauvé la ville des invasions, la protège des tremblements de terre.
Aujourd'hui dans l’église, le Fercolo de saint Jacques est placé derrière le maître-autel, tandis que la Cassa Argentea se trouve dans la chapelle Saint-Jacques sur le côté gauche.

San Giacomo, un hameau sur la montagne, avec une relique

Chapelle Saint-Jacques alle
Chapelle Saint-Jacques alle
Un peu partout se trouvent des chapelles Saint-Jacques disséminées dans les montagnes ; le saint chasse les démons qui les hantent. Beaucoup plus rares sont celles qui possèdent des reliques. Il en est une près du col de la Futa, au hameau San Giacomo, commune de Castiglion de Pepoli, dans la chapelle Saint-Jacques alle Calvane. Sur l'autel se trouve un très modeste reliquaire-monstrance  (en forme d'ostensoir) contenant une relique de saint Jacques, dont on ignore tout. Un couple de Bologne consacre temps et énergie à la restauration et à l'entretien de ce paisible havre de paix.

San Giacomo, un hameau de Monselice

Reliquaire de Monselice
Reliquaire de Monselice

Dans ce hameau San Giacomo, l'église et le couvent Saint-Jacques représentent l'un des centres religieux les plus anciens et les plus importants de Monselice. La fondation remonte à 1162, lorsque, à l'initiative d'un chanoine de Ferrare, un lieu hospitalier fut établi à l'extérieur des murs de la ville, pour accueillir les nécessiteux et les pèlerins. Il se doubla d’un monastère masculin et féminin devenu bénédictin au XIIIe, puis congrégation de chanoines réguliers de San Giorgio in Alga (Venise) jusqu’à la suppression de l’ordre en 1668. Depuis 1677 ce sont les franciscains qui occupent les lieux.
Dans un reliquaire du XVIIe siècle, une relique de saint Jacques le Majeur, un doigt d’origine inconnue. Daterait-elle de l’arrivée des Franciscains en 1677 ou de leur retour, à la fin du XIXe siècle (ils avaient été chassés par l’armée italienne qui a utilisé les locaux comme caserne) ?

Une autre relique muette

Reliquaire de Bologne. La statuette qui le surmonte laisse penser qu'il s'agit d'une relique de saint Jacques
Reliquaire de Bologne. La statuette qui le surmonte laisse penser qu'il s'agit d'une relique de saint Jacques
Une église et un couvent dédiés à San Giacomo naissent près des murailles de Bologne en 1247. Vingt ans plus tard, ils appartiennent au nouvel Ordre des Ermites de Saint-Augustin et ils s’installent à l’intérieur de la ville. L’église n’est achevée qu’en 1315 et consacrée en 1344.
Au fronton :
« Les Bolognais et le Sénat légitime ont érigé cette église
dédiée aux saints Augustin et Jacques ».
Le reliquaire contenant une relique de saint Jacques, identifiable par la statuette supérieure, est presque certainement une œuvre retravaillée et assez déconcertante. XVIIe ou XIXe siècle ? La statuette est probablement le vestige d'un reliquaire plus ancien. Elle apparaît plutôt dégradée en raison de l'oxydation de la tôle et d'un nettoyage incorrect qui ont favorisé la sédimentation de corps étrangers.
On ne connaît rien de son histoire. 

Compostelle et la dissémination des reliques

La visualisation des films tournés lors des fêtes de saint Jacques, particulièrement, celle de Capizzi, montre un tout autre visage du culte des reliques que celui qu’on observe ailleurs. La relique vivante parmi la foule en liesse rappelle les textes d’un Moyen Age disparu avec les austérités du Concile de Trente. L’Italie a su conserver ces moments de fête débridée capables de souder une communauté d’habitants. C’est un bonheur de voir le curé de Capizzi escalader le fercolo et bénir la foule en brandissant la relique de saint Jacques ! Don Camillo n'était peut-être pas aussi caricatural qu'on peut le penser...
 
L'histoire montre de nombreux exemples de dons de reliques de saint Jacques par Compostelle. Mais cette position était-elle encore tenable après la reconnaissance officielle de la présence du corps de saint Jacques par Léon XIII ? Comment les nombreuses reliques de saint Jacques italiennes ont-elles été vues de Compostelle ?
Ce sera le sujet de la prochaine lettre.

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