Institut recherche jacquaire (IRJ)

Narbonne confrérie Saint-Jacques, étape n° 103


Rédigé par Denise Péricard-Méa le 5 Avril 2021 modifié le 5 Avril 2021
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Le sceau et le missel présentés à l'étape 102 ont-ils appartenu à la même confrérie ?

La lettre 102 annonçait ma découverte d'un article, publié en 1995 par Dominique Moulis, sur l’histoire d'une l’église Saint-Jacques en cours de démolition. Sans l’avoir cherché, il apportait en filigrane des informations sur une confrérie hospitalière de Narbonne.

ll ne me restait qu’à consulter les textes dont il donnait les références exactes pour répondre à cette question, d’autant plus pertinente que Narbonne, en 1321, possédait deux hôpitaux Saint-Jacques, l’un dans la Cité, l’autre dans le Bourg.



On sait bien peu de choses des hôpitaux de Narbonne

Une seule information : en 1292,  avant la construction (on ne sait duquel), une dénommée Peyronne, « avant de partir pour Saint-Jacques » fit un legs « à l’hôpital Saint-Jacques de Narbonne quand il sera construit ».

De son côté, le missel apporte deux informations, la confrérie est une confrérie hospitalière, et elle tient son siège à Saint-Jacques « del Borc » :

« Aquest libre es dels cofraires de Me Sant Jacme del borc de Narbona, e fonc compratz per en Paul Monbrun, manganier, en P. Ticheire paire, e per B. Garin, regens de la dita cofrairia, en l'an que sa comtava M. CCC LVIII, a III dias del mes de martz. Costec C XX flores »
 

La chance a voulu que ce soit cette église Saint-Jacques du Bourg dont Dominique Moulis déplorait la destruction.

Faute d’archives une seule autre information est disponible pour l’époque médiévale : en 1404  des confrères régissent cet hôpital du Bourg,  le spirituel étant assuré par l’église Saint-Paul.

 
Emplacements des hopitaux à Narbonne (XIIe-XIIIe)
Emplacements des hopitaux à Narbonne (XIIe-XIIIe)

Les confréries hospitalières sont peu connues

Elles ont laissé peu de documents dans les archives hospitalières, hormis quelques statuts. De plus, les études ont trop souvent mélangé les confréries médiévales et les confréries postérieures à la Réforme, prises davantage en main par l’Eglise.

Ce sont des communautés de frères et sœurs dirigées par un maître élu en leur sein ; elles vivent dans l’hôpital selon une règle. Ils sont liés étroitement avec les confréries de la ville vouées au même saint. Les confrères de la ville mandatent et entretiennent les confrères de l’hôpital ; à eux tous, ils font fonctionner au quotidien l'hôpital dont le but est de
« recevoir les pauvres, les malades
et les pèlerins ».

Cet mot " pèlerins " est encore trop souvent interprété comme " pèlerins de Compostelle ". Seule une mention précise dans un registre d'hôpital peut permettre de connaître le but du pèlerinage. Les sanctuaires de la région, Saint-Gilles, Notre-Dame de Vauvert, Toulouse, etc… sont plus probables qu'un sanctuaire lointain.
 
 
 

La confrérie de l’hôpital Saint-Jacques-du-Bourg

Après deux siècles de silence on retrouve les « supposés de l’hospital Dieu Saint-Jacques » en 1607. Ils se reconnaissent dans la juridiction de Saint-Paul.

Déclin de l’hôpital, que devient la confrérie ?


Pierres récupérées de Saint-Jacques du Bourg(cl. D. Moulis)
Pierres récupérées de Saint-Jacques du Bourg(cl. D. Moulis)
En 1639, « l’hospital Saint-Jaume », situé dans le Bourg, près de la porte Connétable, est resté un petit hôpital. Dix ans plus tard, en 1650, il semble même avoir cessé de fonctionner. A quoi servent les revenus ?
Cette question se pose dans tout le royaume pour des maisons de ce type dont des hospitaliers peu scrupuleux confisquent les revenus, chassent systématiquement les arrivants ou les découragent en laissant les locaux dans un état de délabrement total.

Est-ce l’arrivée à Narbonne d’un nouvel archevêque, François de Fouquet, qui fait prendre conscience de cet état de choses ? Il est question de regrouper les petites fondations hospitalières en un hôpital général auquel Saint-Jacques serait uni. Dans ce cas, l’hôpital assumerait l’hospitalité des pèlerins. Il est plausible de penser que les confrères-hospitaliers seraient intégrés dans l’hôpital général. Mais les autres ?


Renaissance de la confrérie sous forme « confrérie de pèlerins »


En 1660, l’archevêque Fouquet aurait établi une « confrérie des pèlerins » comptant 55 membres « qui tous ont fait le pèlerinage de Saint-Jacques en Galice » et qu’on « ne les reçoit qu’à cette condition ».
Le problème est que cette affirmation, qui date du XVIIIe siècle, n’est pas référencée. Je n’ai pas encore réussi à obtenir confirmation, mais tout espoir n’est pas perdu.

L’intitulé a changé, il s’agit dorénavant d’une « confrérie de pèlerins », ou plutôt d’anciens pèlerins, établie sous l’égide de l’Eglise puisque fondée par l’archevêque.


En 1672 Louis XIV confisque les
« biens des hôpitaux où l’hospitalité n’est ou n’a pas été cy-devant gardée suivant les conditions de leur fondation ».
Il les donne aux chevaliers de l’ordre de Saint-Lazare pour qu’ils les redistribuent à des officiers ayant contribué aux victoires du roi.

En 1676, s’en est fait.
La « confrérie fondée sous l'invocation de saint Jacques en la ville de Narbonne » est unie, non pas encore à l’hôpital général, mais à cet ordre. Cette union ne fonctionne pas.

En 1695 l’hôpital Saint-Jacques est uni définitivement à l’hôpital général. Mais l’église reste le siège de la confrérie des pèlerins.


Re-Renaissance de la confrérie au XVIIIe siècle (1719-1775)


Ils ne sont plus que quinze mais anciens pèlerins de Rome ou de Compostelle.
La raison de cette re-fondation est que les statuts anciens sont perdus et qu’il est nécessaire « d’inciter les pèlerins à partir en pèlerinage » en règle avec les autorités et d'en organiser la " publicité "  avec un cérémonial plus strict.

Chaque départ donne lieu  à deux cérémonies.
- Le dimanche avant son départ, le pèlerin revêtu de sa besace et de sa pèlerine (« sans coquille », précisent-ils), reçoit le bourdon et, accompagné de deux confrères, quête dans la ville « pour l’aider à son pèlerinage ».
- Le jour du départ, il est accompagné de plusieurs confrères jusqu’à une croix où une prière est dite avant la séparation. En direction de Compostelle, la croix est dénommée " croix verte ". Elle a disparu, ainsi que son emplacement supposé, dans les travaux d'urbanisme. En direction de Rome, la croix a été réédifiée au XIXe.

Au retour, le pèlerin doit faire avertir les confrères de sa proche arrivée. Les anciens, bannière en tête, partent à sa rencontre à la croix et l’accompagnent jusqu’à l’église pour chanter un Te Deum. Il est alors membre de la confrérie,
« son nom est écrit sur le catalogue de la sacristie ».
 
Avant une fête ou lors de la mort d’un confrère, un confrère « revêtu de sa robe rouge et sonnant d’une cloche » parcourt les rues pour l’annoncer. Les statuts détaillent longuement l’organisation de ces événements. A chaque fois, les tenues de pèlerins sont de rigueur pour tous.

Une mise en garde spécifique pour la Fête-Dieu : ils doivent marcher

« en disant leur chapelet dans les rues ou chantant des pieux cantiques pendant le cours de la procession. Et si quelqu'un manquait de s'y comporter avec la dévotion convenable il sera au retour de la procession mis en pénitence ».
 

Mort et re-Re-renaissance au XIXe siècle


En vertu de la loi du 18 août 1792 la confrérie des pèlerins de Narbonne est dissoute, comme toutes les autres. Obligation est faite de dresser un inventaire des biens en vue de leur confiscation. Cet inventaire est fait en présence du prieur, et deux sacristains. 

Une page du Missel de la confrérie
Une page du Missel de la confrérie


Dans une armoire de la  sacristie on trouve « un vieux messel ».  Est-ce le missel de 1358, celui qui fut marqué MISSALE VETUSTUM ? Dans une autre grande armoire, « plusieurs vieux livres servant aux offices » et « une médaille de cuivre » et « huit bourdons de bois doré ».
Dans l’église, plusieurs tableaux de saint Roch auxquels s’ajoutent, « un tableau sans cadre représentant saint Jacques, saint Roch et la Sainte Vierge » et « un tableau de saint Jacques avec cadre de bois non doré ».


 

La confrérie est dissoute
Mais les confrères ne sont pas morts…


- En 1818, ils apprennent qu’une partie de l’ancienne église de la Major est à vendre.
- Le 18 novembre 1823, quatre d’entre eux deviennent propriétaires de trois travées ouest de cette église. La confrérie a duré suffisamment longtemps pour que l’église soit connue ensuite sous le nom de « église des pèlerins ». 
- En 1892, ils réédifient la croix en direction de Rome, au carrefour des routes de Coursan et de Cuxac ; miraculeusement elle a résisté à l’urbanisation, contrairement à la croix verte, sans doute également refaite, mais disparue.

Sur le socle, ces paroles de courage adressée aux chrétiens :
 Par ce signe tu vaincras.
La croix demeure stable tandis que le monde change ».
 
La croix des pèerins
La croix des pèerins

- Pendant la Grande Guerre, quelques services religieux sont encore assurés par des confrères. Il n'y plus trace d'activités de la confrérie par la suite. Elle s'est éteinte avec le dernier confrère sans avoir été dissoute.
- En 1927 les héritiers des quatre propriétaires font donation de leur chapelle à l'Eglise.
Cette fois, la fin est vraiment définitive. A moins que…
La croix des pèlerins en reste le témoignage visible. Puisse-t-elle être longtemps conservée !

La question posée en début d’article reçoit une réponse. Le missel et la matrice ont appartenu à la même confrérie Saint-Jacques de Narbonne qui s’est transformée au fil des siècles. Ils constituent les bornes de l’histoire de cette confrérie qui, sans disparaître, a perduré du XIVe au XXe siècle. 
Une longévité rarissime dans l’histoire des confréries hospitalières.

La matrice du sceau
La matrice du sceau
Reste une énigme 

L'énigme du sceau de la confrérie

Sceau de la confrérie avec matrice du XIXe
Sceau de la confrérie avec matrice du XIXe
En 1965, l’exposition Pèlerins et chemins de Saint-Jacques en France et en Europe organisée aux Archives Nationales à Paris par René de La Coste-Messelière présentait, sous le numéro 324, le
« Sceau de la confrérie Saint Jacques et Saint Roch. Tirage de la matrice conservée à la cathédrale de Narbonne (archives départementales de l’Aude) »
Mes recherches ne m'ont pas permis d'en retrouver la trace, ni aux Archives ni à la cathédrale. Ce sceau n'apparaît pas dans l'inventaire de 1792. Mais saint Roch est plusieurs fois mentionné dans les biens de la confrérie. Le catalogue de l'exposition laisse penser qu'elle pouvait s'appeler « Confrérie Saint-Jacques et Saint-Roque ».
Mais quel était le nom gravé sur le sceau ?

La matrice de B. Cauquil est datée très précisément des années 1878-1880, car on en connaît l'auteur. Celui-ci se serait-il inspiré d'un sceau antérieur dont il aurait eu un modèle ? L'aurait-il simplifié ? Ce sceau portait-il déjà le nom« Confrérie des pèlerins » ?

Poursuivre les recherches

Si quelque lecteur connaît le lieu de conservation des « Semaine religieuse » du diocèse, entre 1823 et 1927, il pourrait peut-être y trouver des informations sur cette confrérie.

Pour en savoir plus :
- Caille Jacqueline, Hôpitaux et charité publique à Narbonne au Moyen Age, Privat, 1977
- Moulis Dominique, « L’hôpital et l’église Saint-Jacques-du-Bourg de Narbonne », Bulletin de la commission archéologique et littéraire de Narbonne, t.46, 1995, p. 157-193.
- Caille Jacqueline, « Les ordres mendiants à Narbonne des origines à la fin du Moyen Âge »,Le ciel sur cette terre, collectif, Presses Universitaires du Midi, 2008
- Pospisil-Puente V., « La matrice d’imprimerie de la confrérie des pèlerins de Narbonne », Histoire et généalogie du Minervois, 4etr. 2020, n°121, p. 17-20.

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