Institut recherche jacquaire (IRJ)

Les erreurs habituelles dans le discours de Nicolas Sarkozy au Puy-en-Velay,

Lettre ouverte au président de la République


Rédigé par Denise Péricard-Méa le 7 Mars 2011 modifié le 8 Mars 2011
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Dans une lettre ouverte au président de la République, Denise Péricard-Méa propose quelques corrections à certains propos de son discours du 3 mars 2011 au Puy-en-Velay dans lequel il a évoqué le pèlerinage à Compostelle.



Monsieur le Président,

Vous vous êtes rendu récemment au Puy-en-Velay pour rendre hommage aux racines chrétiennes de la France et rappeler l’importance du patrimoine hérité des cultes chrétiens.
Dans votre discours vous avez évoqué le pèlerinage de Compostelle.
J’ai soutenu une thèse à la Sorbonne sur ce sujet et je continue à l’étudier au sein d’une association de chercheurs. Je tiens à vous signaler que vos conseillers ont laissé passer plusieurs erreurs dans votre discours.

Le Puy n'est pas un point de départ historique de pèlerins de Compostelle

Vous avez dit :

« Oui c'est ici, au Puy-en-Velay que pour la première fois dans notre Histoire, des femmes et des hommes sont venus de toute l'Europe. Construire l'Europe de demain, c'est au fond continuer à suivre le chemin tracé il y a plus de mille ans par les premiers pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle ».

Non Monsieur le Président les pèlerins ne se sont pas venus au Puy pour partir à Compostelle, pas plus les premiers que leurs successeurs. Ce n’est que depuis une cinquantaine d’années que Le Puy a su s’imposer comme point de départ des pèlerins contemporains.

Les changeurs n'étaient pas au Puy en vue de la route vers Compostelle

« Que dire de cette rue des Tables que nous avons gravie ensemble tout à l'heure et qui porte ce nom car au Moyen-âge c'est là que les changeurs dressaient leurs tables pour convertir les différentes monnaies arrivant de toute l'Europe dans les bourses des pèlerins qui, pour faire route ensemble, devaient changer de monnaie et se mettre d'accord sur une valeur commune ? »

La seule chose à dire des changeurs de la rue des Tables est qu’ils étaient là pour les pèlerins qui venaient vénérer la Vierge Noire dont vous avez à juste titre rappelé l’importance. Cela n’a rien à voir avec Compostelle.

Une raison politique à l'origine de la définition du premier Itinéraire culturel

« Ce n'est pas pour rien que le chemin de Saint-Jacques a été le premier itinéraire culturel classé par l'Europe. Mais au fond l'Europe savait bien ce qu'elle lui devait, à cet itinéraire de Saint-Jacques ».

La décision de 1987 du Conseil de l’Europe a été prise en faveur de l’Espagne. Elle a exagéré le rôle de Compostelle en négligeant la recommandation émise en 1984 par sa Commission de la culture qui faisait de tous les itinéraires de pèlerinage quels qu’en soient les buts le fond culturel européen commun. Mais il fallait en 1987 faire un geste politique vers l’Espagne.

L'hospitalité n'est pas une spécificité chrétienne

« Voyez, la tradition d'accueil et de protection du Velay à l'égard des plus faibles et des plus vulnérables. Cette tradition vient des antiques pèlerinages qui jetaient sur les routes des femmes et des hommes à bout de force démunis souvent, dépouillés de tout ».

L’hospitalité n’est ni une spécificité chrétienne ni une spécificité pèlerine. Abraham, ancêtre des Juifs, des Chrétiens et des Musulmans l’a transmise à tous ses descendants.

L'hôtel-Dieu du Puy n'a pas été créé pour les pèlerins de Compostelle

« Ce [l’hospitalité] fut la raison d'être de l'Hôtel Dieu que j'ai traversé et qui a été fondé dès le Haut Moyen Age pour l'accueil des premiers pèlerins ».

Trop souvent cet Hôtel-Dieu est présenté comme ayant été construit pour les pèlerins de Compostelle.

Les monuments français ne sont pas des balises vers Compostelle

Depuis le milieu du XXe siècle, des chemins de Compostelle ont été tracés en prenant pour étapes les grands sanctuaires français ou ce qui en subsiste. Ceci conduit aujourd’hui la publicité de la Galice à des excès dont voici deux exemples tirés du catalogue de l’exposition présentée en 2010 à la Cité de l’architecture et du patrimoine – musée des monuments français au Palais de Chaillot :

« le pèlerinage jacobéen était la raison d’être des églises de pèlerinage comme Saint-Martial, Conques, Saint-Sernin… » et « d’importants centres de culte français étaient subordonnés à la tombe espagnole de saint Jacques ».

Je ne doute pas que vous soyez surpris et scandalisé par de telles affirmations. Pour ma part je regrette que votre discours ait pu apporter des arguments supplémentaires à ceux qui, en France, donnent la possibilité à la Galice d’écrire de pareilles inepties.
Sarko débute un pèlerinage incertain (dessin publié avec l'aimable autorisation de son auteur)
Sarko débute un pèlerinage incertain (dessin publié avec l'aimable autorisation de son auteur)

Un livre pour en savoir plus

Je forme le vœu que vos prochains voyages au Mont-Saint-Michel et à Vézelay vous permettent de placer dans une meilleure perspective le patrimoine de ces hauts-lieux d’expression de la foi chrétienne dans notre pays. Je me permets dans cette perspective de vous suggérer de faire lire à vos conseillers Chemins de Compostelle et Patrimoine mondial (éd. La Louve, Cahors, 2010), ouvrage qui leur apportera les informations qui leur manquaient pour votre discours du Puy.

Veuillez recevoir, Monsieur le Président, l’assurance de ma très haute considération.