Institut recherche jacquaire (IRJ)

Les dangers oubliés du pèlerinage, étape n°14


Rédigé par Denise Péricard-Méa le 30 Mars 2020 modifié le 1 Avril 2020
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Aujourd’hui, les articles relatifs au pèlerinage rappellent fréquemment aux pèlerins les dangers des pèlerinages d’antan : bandits, loups, criminels, eaux polluées dont parle le Guide du pèlerin. Ces dangers ont disparu mais il en est un, auquel ils sont toujours exposés dont on parle beaucoup moins, caché derrière les " merveilleuses rencontres " du chemin. Il fut pourtant l'objet de nombreux documents médiévaux oubliés.



  « Vous n’avez pas, ce lui dit-elle,
la mine de vous en aller à Saint-Jacques de Compostelle »
La Fontaine, Contes, « Le petit chien qui secoue de l’argent et des pierreries »
La Fontaine, Contes, « Le petit chien qui secoue de l’argent et des pierreries »

Que de sermons !


Dès le temps de Charlemagne, un concile tenu à Chalon en 813 exprimait une opposition farouche aux pèlerinages :pèlerinages que l’on fait à Rome ou à Saint-Martin de Tours… Des laïcs s’autorisent ces pèlerinages pour pécher impunément ». Hommes ou femmes ? On ne sait. Mais dans la suite des temps, à en croire le clergé, toute femme ne part en pèlerinage que pour vivre une vie amoureuse débarrassée des contraintes du quotidien.

Vers 1175, l’évêque de Rennes Etienne de Fougères interdit les veillées de pèlerinage car des femmes mariées en profitent pour y rencontrer leur ami. Comment font-elles ? Il explique : elles se déclarent malades, se font conseiller un pèlerinage par une amie et obtiennent ainsi le consentement des maris.

Au XIIIe siècle saint Boniface, archevêque de Canterbury constatait que
« la plupart des Anglaises, qu’elles aillent à Rome, à Tours ou à Jérusalem, succombent, et que bien peu reviennent avec leur chasteté. Il n’y a guère de ville en Lombardie ou en Gaule où l’on ne trouve quelque Anglaise adultère ou prostituée. C’est une honte et un scandale pour toute l’Eglise ».
Dans ce même siècle, le dominicain Etienne de Bourbon regrette que les veilles et jours de pèlerinages, des pèlerins chantent des luxuriosas cantilenas dans les lieux saints, car ces chants portent à la luxure. Un peu plus tard dans ce même XIIIe siècle, un autre écrit, parlant des femmes pèlerines : « Combien n’ont cure des pardons, mais les fréquentent en obéissant à Vénus ».

Vers 1380, dans « le conte de la femme de Bath » le poète Geoffroy Chaucer ne mâche pas ses mots et affirme que : Celui qui construit sa maison entièrement en brins d'osier / Qui pique son cheval aveugle dans les jachères /  Et qui accepte que sa femme aille en pèlerinage / Il mérite d'être pendu à la potence »

Au XVe siècle le dominicain italien Gabriele de Barletta, prédicateur très couru pour la qualité de ses sermons, à la fois burlesques et sérieux, clame en chaire, un 3e dimanche de Carême :
« Plusieurs vont en pèlerinage bons et en reviennent mauvais, et ainsi de nombreuses jeunes vierges sont allées à Saint-Jacques et en sont revenues prostituées ».
L'image ci-dessous  illustre un conte du XVe siècle, « Les trois cordeliers ». Paru dans Cent nouvelles nouvelles, n°30. Il ne concerne pas des pèlerins de Compostelle mais de Saint-Antoine en Viennois. Trois marchants savoyards pèlerinent pieusement avec leurs épouses en ayant fait voeu d'abstinence. A l'étape, les cordeliers les libèrent de ce voeu. Le texte du conte, trop long pour être reproduit ici, peut être trouvé sur Gallica, édition imprimée XIXe siècle.
Cent nouvelles nouvelles, XVe siècle, nouvelle n°30 : « Les trois cordeliers »
Cent nouvelles nouvelles, XVe siècle, nouvelle n°30 : « Les trois cordeliers »

Quand les sermonneurs
deviennent acteurs

 
 Au cours des siècles, les hommes sont très rarement, montrés coupables. Cependant, le Livre I du Codex Calixtinus  s’emporte déjà dans un sermon contre les prêtres pécheurs :
« Est damné aussi le prêtre débauché qui invite une femme à venir faire pénitence chez lui, pour pécher avec elle après lui avoir fait des propositions galantes ou tenu des propos enjôleurs. Cette femme est semblable à celle qui va chercher de l’eau dans un puits, s’y plonge et y meurt. Elle est semblable à celui qui, cherchant le bon chemin dans le désert, trouva un ours qui le dévora sans que personne ne le vît. Ce prêtre est semblable à celui qui tend pendant la messe un filet pour capturer un oiseau : pendant qu’il chante une mélodie charmeuse, le plus doux oiseau vient se faire prendre dans le filet »
Dans ce filet est mon poisson d’avril : si on ne parle plus de ces calembredaines, elles sont encore très vivantes tout au long de nos chemins européens de Saint-Jacques.
Racontez-nous ! Le secret de l’anonymat est garanti.
 
 

Les dangers du chemin, au XXIe comme au XIIe siècle

Sur ce thème des dangers du pèlerinage Denise Péricard-Méa a répondu en 2009 à une épouse bien éplorée. Cette réponse a été publiée sur le site qui héberge ces messages quotidiens. Vous pouvez le voir Ici et maintenant
 

Demain, paroles du Codex Calixtinus. Je risque gros !