Institut recherche jacquaire (IRJ)

Les années saintes du XXe siècle

Un panorama pour mieux comprendre Compostelle


Rédigé par Louis Mollaret le 12 Mai 2010 modifié le 7 Décembre 2011
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Les années saintes à Compostelle au cours du XXe siècle peuvent être réparties en quatre groupes :
- 1909, 1915, 1920, 1926, les années d’avant-guerre. Seuls quelques cercles érudits s’intéressaient à Compostelle en dehors de l’Espagne. La documentation à leur sujet est très réduite
- 1937, 1943, 1948, 1954, les années de guerre, civile et mondiale, et d’immédiat après-guerre.
- 1965, 1971, 1976, années de transition, sans grand relief, sauf 1965.
- 1982, 1993 et 1999, qui ont marqué le démarrage progressif du pèlerinage contemporain.



1926, l’Espagne est en guerre au Maroc

Les années saintes du XXe siècle
Le 25 juillet 1926, c’est l’Infant don Fernand de Bavière et Bourbon qui a prononcé l’invocation à l’apôtre au nom du roi Alphonse XII. Il a en particulier exprimé
«  les sentiments de vive gratitude à la vue de la façon dont Dieu a couronné les efforts de nos troupes au Maroc, leur permettant de réaliser enfin le testament de la plus auguste de nos reines, la grande Isabelle la Catholique ».

Dans sa réponse, l’archevêque de Compostelle a souligné que :
« Les guerres les plus marquantes de l’histoire de l’Espagne sont des guerres de religion. Durant huit siècles, nous avons lutté contre les Maures […] et ensuite, la nation espagnole a été engagée dans une lutte religieuse contre les protestants. Au tournant du siècle nous avons été engagés contre les ennemis séculaires d’Afrique du Nord. La lutte actuelle au Maroc peut être qualifiée de religieuse, car s’il est bien certain que l’Espagne ne cherche pas à imposer sa religion par la force des armes, il n’en est pas moins qu’elle combat en Afrique en faveur d’idéaux élevés et nobles, ceux de libérer des régions qui furent chrétiennes d’une tyrannie fanatique et d’arriver à faire briller de nouveau sur elles la lumière du Christianisme et de la civilisation » .



1937 – 1954, guerre et après-guerre

Les années saintes du XXe siècle
L'année 1937 voit la reprise de l'ancienne coutume de l'offrande à saint Jacques qui avait été supprimée par la République. Durant cette année, des milliers d'officiers et de soldats nationalistes ont franchi la Porte Sainte pour venir demander la victoire à l'apôtre guerrier.
Le 25 juillet 1937, le général Franco, étant retenu par la bataille de Brunette, le chef des Armées du Nord s’adresse en ces termes à saint Jacques :
« Fils du Tonnerre, Seigneur des batailles, Patron des Chevaliers, Semeur de notre Foi, Soutien de notre esprit, reçoit l’hommage d’un peuple qui lutte bravement pour suivre le chemin que tu lui as tracé et qui défend sa personnalité et son rang dans le monde »

La guerre civile ne permettant pas l'organisation de pèlerinages, le Pape Pie XI décide de prolonger l’Année Sainte en 1938. Le 25 juillet 1938, l’invocation à saint Jacques est prononcée par le ministre de l’Intérieur Serrano Surer ; en terminant, il implore saint Jacques de faire
« une Espagne, une, grande et libre, phare du monde et lien entre les nations, généreuse avec les égarés, mais ferme et dure comme Vous devant la trahison et les forces du mal ».

Le 25 juillet 1943, l'ambassadeur de France à Madrid se rendit en pèlerinage à Compostelle avec une petite délégation française pour remettre à la cathédrale un ciboire don du maréchal Pétain, ancien ambassadeur de France en Espagne.

Première année sainte d’après guerre, 1948 a été riche en manifestations. Le 19 juillet, la médaille d’or de la cité de Santiago a été remise au saint patron de l’Espagne par le maire de la ville au nom de son Conseil. L’offrande du 25 juillet a été présentée par le général Franco. Dans une longue allocution, il retraça l’histoire de la christianisation de l’Espagne, ponctuée des manifestations de l’apôtre, jusque dans les derniers combats de Brunette et d’Oviedo, élargissant sa prière finale à toute l’Europe et exprimant le vœu que
« le chemin de Saint-Jacques s’ouvre au-delà du rideau de fer ».

Cette année fut marquée par l'attribution du prix Franco à un ouvrage monumental à la gloire de Compostelle réalisé par trois universitaires espagnols. Un article du Correo Galego indique que plus de 120 pèlerinages sont arrivés à Santiago avec un total de pèlerins excédant 166 000. Et le quotidien estime à un demi-million le nombre de personnes venues recevoir les grâces jubilaires.

L’ouvrage cité en note cite un article du Correo Galego donnant des informations sur les pèlerins reçus à Santiago pendant cette année. Plus de 120 pèlerinages sont arrivés à Santiago avec un total de pèlerins excédant 166 000. Et le quotidien estime à un demi-million le nombre de personnes venues recevoir les grâces jubilaires.

L’année sainte 1954 est marquée par le climat de guerre froide mais, contrairement à celle de 1948, l’affiche est plus paisible. Saint Jacques est invoqué dans la lutte contre le communisme athée. En sa qualité de président de Pax Christi, le cardinal Feltin, archevêque de Paris, accompagné de M. Lafay, président du Conseil municipal de paris, rejoint à Compostelle 200 étudiants français et européens participant à la marche de la paix organisée par ce mouvement, le directeur en fut le RP Bosc (La Croix, 18 et 19 juillet 1954). France Catholique, qui à cette époque paraît encore en grand format, titre un article du 16 juillet 1954 : « Quand ressuscite la grande marche de la chrétienté occidentale ». Pour l’auteur, « l’histoire de cette pérégrination, reste à écrire », car « le Guide du pèlerin paraît avoir trop simplifié les itinéraires ». Plus loin il appelle curieusement « maquisards » les rois de Galice et d’Asturies qui résistèrent aux Sarrasins.


1965 -1976

Des erreurs gravées dans le marbre
Des erreurs gravées dans le marbre
L’année 1965 est marquée en France par d’importantes manifestations à l’initiative de René de La Coste-Messelière, le grand promoteur français de Compostelle. Il organise une grande exposition, une chevauchée sur le chemin de Compostelle et une cérémonie à Paris au cours de laquelle fut inaugurée une plaque de marbre offerte par l’Espagne à la ville de Paris. Scellée sur la tour Saint-Jacques, cette plaque, affirmant l’existence de millions de pèlerins, est, en France, la plus importante publicité mensongère de l’Espagne en faveur des chemins de Compostelle.
En cette année 1965, une association espagnole analogue à la Société des amis de saint Jacques créée à Paris en 1950, fut formée à Estella, marquant le début d'un intérêt nouveau en Espagne, trop tard pour les premiers marcheurs, tels François Préchac qui confie à F.C. du 6 août 1965 ses premières notes de pèlerinage. Il n’y avait, bien sûr, pas de balisage, pas de guides pratiques, aucun refuge en dehors d’une cellule de monastère ou de la grange aimablement offerte. Le pèlerin de 1965 se heurtait à un monde dans lequel la mémoire du pèlerinage avait été très vivante, mais dont les vestiges physiques étaient peu respectés. Le même agriculteur qui lui offrait la nourriture et un abri dans sa grange aurait sans hésitation labouré un chemin où il disait que ses ancêtres avaient vu des pèlerins.

A l’occasion de l’année sainte 1971, le maire de Compostelle vint à Paris en février pour inviter le cardinal Marty et M. Delfour, président du Conseil Municipal de Paris, pour la journée de la France du 18 août (La Croix, 25 février 1971).

En Galice, l’abbé Elias Valiña Sampedro qui avait publié, en 1967, une thèse de doctorat, étude historique et juridique du pèlerinage et du Camino, après avoir restauré l'église et le village de O Cebreiro, porta son attention sur la route de pèlerinage.  Il édita un manuel simple appelé Caminos de Compostelle, assez petit pour tenir dans une poche et ne contenant que les informations utiles à un pèlerinage à pied. Ce fut le précurseur du guide plus approfondi commandité par le ministère espagnol du Tourisme en 1982

1982 - 1999

Jean-Paul II à Compostelle en 1982
Jean-Paul II à Compostelle en 1982
En 1982, deux prêtres entreprirent ce qui était probablement le projet le plus essentiel pour faire revivre le Camino Francés, son balisage. Le chanoine Navarro de Roncevaux balisa la traversée des Pyrénées par Ibañeta et l’abbé Don Elias Valinas, curé du Cebreiro, balisa la traversée de la Galice. Ainsi, ont vu le jour les flèches jaunes omniprésentes, qu’il a peintes sur des arbres, des rochers et des bâtiments en utilisant l'excédent de peinture fourni par l'administration des routes de Galice. Et les pèlerins de cette année-là se souviennent avec émotion des flèches en bois posées à même le sol dans l’attente des flèches peintes.
Le grand événement de cette année 1982 fut le voyage du pape Jean-Paul II en Espagne pour la clôture des cérémonies du quatrième centenaire de la mort de sainte Thérèse d'Avila. A la fin de ce voyage, il consacra une journée à Compostelle, se présentant en pèlerin. De cette ville il lança un appel solennel à l’Europe qui est parfois présenté comme ayant été l’objet du voyage :
« … ô vieille Europe je te lance un cri plein d’amour : retrouve toi toi-même, sois toi-même, découvre tes origines, renouvelle la vigueur de tes racines, revit ces valeurs authentiques qui couvrirent de gloire ton histoire et firent bénéfique ta présence dans les autres continents. »

Léon XIII, confirmant en 1884 la présence du corps du saint à Santiago, ne se doutait pas qu’un siècle plus tard, un pape polonais ébranlerait, depuis ce sanctuaire, le mur dressé par le communisme en Europe. Ainsi, la défense de l’Eglise et la promotion de Compostelle apparaissaient-elles à nouveau liées. Cet appel fut suivi de la tenue à Compostelle des JMJ de 1989. Entraînant derrière lui la jeunesse européenne, le pape invite tous les pèlerins d’aujourd’hui, en évoquant ceux d’hier :
« ... arrivaient ici de France, d’Italie, d’Europe centrale, des pays nordiques et des nations slaves, des chrétiens de toutes conditions sociales, […] l’Europe tout entière s’est trouvée elle-même autour du mémorial de saint Jacques, aux siècles où elle s’édifiait en continent homogène et spirituellement unique ».

Moins affirmatif que Léon XIII sur l'existence des reliques, Jean-Paul II ne parle que du mémorial de l'apôtre. Moins emphatique que ses prédécesseurs, il s'inscrit néanmoins dans la lignée de leurs déclarations reprenant l’image de foules pèlerines se pressant à Compostelle. Il omet de dire que le sermon Veneranda dies du Codex Calixtinus a détourné au profit de Compostelle la vision symbolique des foules d’élus en marche vers la Jérusalem céleste Apocalypse (7, 4 et 9), recopiant, en la complétant, la liste des peuples présents à Jérusalem pour la Pentecôte Actes des apôtres (2, 7-11). Jean-Paul II a ainsi confirmé l'erreur des premiers chercheurs, trop vite suivis par les journalistes, qui avaient transformé cette vision en « millions de pèlerins », mots sans signification pour les époques médiévales auxquelles ils les appliquaient.

Malgré la venue de ce pèlerin célèbre, l'année 1982 n'a pas apporté beaucoup de pèlerins à Compostelle. 182 Compostela (certificats de pèlerinage) seulement y furent délivrées. Le pèlerinage contemporain ne se développa qu’avec l’année sainte 1993.

L’année sainte 1993 est celle du véritable décollage du pèlerinage contemporain. Près de 100 000 pèlerins y furent enregistrés au Bureau des pèlerinages. En 1991 avait été créée la société de gestion du Xacobeo pour la promotion touristique et culturelle des chemins de Saint-Jacques. Elle mit en place des services aux pèlerins, un réseau d’auberges et des actions de valorisation du patrimoine. Près de 100 000 pèlerins furent enregistrés en 1993, manifestant son efficacité. Elle fut confirmée en 1999, dernière année sainte du XXe siècle, et seconde d'une nouvelle vie du sanctuaire galicien. Les années saintes ont alors définitivement changé de visage et une autre histoire a commencé. Des pèlerins du monde entier se joignent aux pèlerins espagnols. Compostelle est devenu un sujet rituel pour les médias, répétant régulièrement les mêmes lieux communs, bien rodés dès 1999 et colportés depuis par les pèlerins. Compostelle n'est plus un sanctuaire espagnol, elle est devenue un symbole européen. Le vœu exprimé par Franco est exaucé. Grâce à Jean-Paul II, les chemins de Compostelle ont passé le rideau de fer.