Une introduction indispensable
Comme tout document historique, ce film doit être analysé dans le contexte de sa production pour en donner les clés de lecture.
La visite d'un monument historique et ce film en est un, gagne à être accompagnée par un guide qui fait découvrir les détails de sa construction et la richesse de ses décorations.
Les commentaires des spectateurs des premières présentations ont convaincu l'IRJ de la nécessité de ne pas projeter ce film sans information préalable.
L'introduction de Denise Péricard-Méa
Denise Péricard-Méa, docteur en histoire,
co-présidente de l’Institut de Recherche Jacquaire,
ayant assisté à la dernière présentation du film
par l’abbé Branthomme, en octobre 1999 présente Chemin de Compostelle
Ce film est un document d’archives d’une valeur exceptionnelle. Tourné en 1951, inspiré par le Codex Calixtinus, il est à la fois témoin de l’état du Camino francés à cette époque et héritier des hypothèses de savants français enthousiastes du début du XXe siècle. Il montre une Espagne d’un autre temps, d’avant les grandes transformations modernes. Il développe, dans un style lyrique, propre à l’époque, une approche à la fois historique, liturgique et esthétique du pèlerinage et du patrimoine. Replacé dans son contexte il s’avère d’une lecture beaucoup plus complexe que celle d’un document sociologique.
En 1999, j’ai assisté à la dernière présentation de ce film, Chemin de Compostelle, faite par son réalisateur, l’abbé Henry Branthomme, alors âgé de 92 ans. Et il l’a commenté tout au long de la projection, puis il a longuement répondu à toutes les questions.
En 2003, il m’a confié une copie de ce film, qu’il me semble indispensable d’accompagner d’une introduction reprenant le plus fidèlement possible les paroles de l’abbé.
En 1999, j’ai assisté à la dernière présentation de ce film, Chemin de Compostelle, faite par son réalisateur, l’abbé Henry Branthomme, alors âgé de 92 ans. Et il l’a commenté tout au long de la projection, puis il a longuement répondu à toutes les questions.
En 2003, il m’a confié une copie de ce film, qu’il me semble indispensable d’accompagner d’une introduction reprenant le plus fidèlement possible les paroles de l’abbé.
La naissance du film
L’abbé Branthomme a découvert Compostelle pendant la seconde guerre mondiale, alors qu’il était prisonnier dans un stalag en Allemagne. Un stalag n’est pas un camp de concentration. Les officiers étaient traités, plus ou moins, selon les lois internationales. Ils avaient par exemple cette possibilité de se réunir pour des raisons culturelles, ce qui les aidait à tromper l’ennui et le spleen.
Un jour ont été présentés les travaux de deux érudits traitant du pèlerinage à Compostelle dans les Chansons de gestes, aucun des deux n’ayant même eu l’idée de se faire pèlerin. Dès ce jour, l’abbé a rêvé d’y aller quand la liberté lui serait rendue et cette idée lui a donné de l’espoir.
Après la Libération, nommé directeur des pèlerinages pour le diocèse du Mans, il a organisé un premier pèlerinage en 1949, au cours duquel est née l’idée du film. Son ami le cinéaste Robert Chateau a adhéré tout de suite à ce projet de tournage d’un pèlerinage qui devait se terminer à Compostelle le 25 juillet.
Les relations France-Espagne n’étaient pas au beau fixe, même si les frontières, fermées en 1946, étaient réouvertes depuis 1948. Même si Franco, le 25 juillet 1948, avait déclaré à Compostelle son désir de
Après la Libération, nommé directeur des pèlerinages pour le diocèse du Mans, il a organisé un premier pèlerinage en 1949, au cours duquel est née l’idée du film. Son ami le cinéaste Robert Chateau a adhéré tout de suite à ce projet de tournage d’un pèlerinage qui devait se terminer à Compostelle le 25 juillet.
Les relations France-Espagne n’étaient pas au beau fixe, même si les frontières, fermées en 1946, étaient réouvertes depuis 1948. Même si Franco, le 25 juillet 1948, avait déclaré à Compostelle son désir de
« voir les chemins de Saint-Jacques s’ouvrir jusqu’au-delà du Rideau de fer ».C’est seulement en 1950 qu’un ambassadeur français a été envoyé à Madrid.
Pour entrer en Espagne, l’abbé Branthomme a ainsi dû effectuer de nombreuses démarches pour obtenir les autorisations nécessaires.
L’équipe de tournage est donc partie plus tard que prévu, à la mi-juillet 1951. Dès le passage de la frontière, ils ont été très surveillés par la Guardia civil qui les suspectait d’espionnage.
A cause de ce retard, le tournage a commencé à Compostelle par ce qui devait être la fin.
L’équipe de tournage est donc partie plus tard que prévu, à la mi-juillet 1951. Dès le passage de la frontière, ils ont été très surveillés par la Guardia civil qui les suspectait d’espionnage.
Le tournage
Le matin du 25 juillet, l’équipe s’est installée dans la cathédrale au moment des préparatifs de la messe solennelle. L’abbé a brossé un tableau pittoresque des fils électriques qui serpentaient partout dans la nef et du mécontentement des chanoines devant ces intrus occupant la place dont ils avaient
besoin. Puis tout le chemin a été tourné à l’envers, sur le chemin du retour… L’équipe voyageait dans un petit autocar que l’on voit quelques fois dans le film.
Ils ont parfois été accompagnés de René de La Coste-Messelière, alors à la Casa Velasquez à Madrid, qui s’était joint à eux comme conseiller technique. Ses rapports avec le groupe n’ont pas toujours été au beau fixe ! C’est lui le « pèlerin » qui marche et que l’on voit de dos, mains dans les poches ou portant un sac à dos.
Pas de scénario, pas d’acteurs, pas de dialogue, un reportage, Robert Chateau a filmé, pendant deux jours, le Botafumeiro bien sûr, et les fameux géants de Compostelle sortant de la cathédrale, ayant participé à la messe solennelle, etc… Puis le cinéaste a filmé tout au long de la route les monuments les plus connus et aussi des scènes de la vie en Espagne. Il choisissait évidemment tout ce qui lui semblait le plus dépaysant par rapport à la France, scènes de la vie courante et scènes de jours de fête, prises sur le vif. On y voit les familles de paysans affairées dans les champs au moment des moissons, hommes et femmes partageant le travail. Et les routes poussiéreuses, les rares voitures et les chars galiciens…
A Foncebadon, ils ont rencontré le médecin du village qui leur a raconté la fonction de la croix qu’il venait de relever, bien différente de celle qui a cours aujourd'hui !
A Foncebadon, ils ont rencontré le médecin du village qui leur a raconté la fonction de la croix qu’il venait de relever, bien différente de celle qui a cours aujourd'hui !
Toutes ces images constituent un témoignage réellement historique, mais qui n’est pas l’essentiel du propos, le but de l’abbé Branthomme n’étant pas de réaliser un reportage sur l’Espagne d’après-guerre. Pour lui, le Camino était bien plus qu’un moyen de communication pour se rendre à Compostelle. Les images n’étaient là que pour servir de support à son rêve caressé pendant ses années de captivité. Rêve de ressusciter les pèlerinages médiévaux. Rêve d’une paix durable entre tous les pays d’Europe. Enfin, il voulait rendre grâce à Dieu pour sa liberté retrouvée.
Le montage
Au retour a commencé le montage, en faisant référence au Codex Calixtinus sur lequel il s’ouvre. Et c’est déjà un grand moment car ce sont les seules images conservées du Codex avant sa restauration de 1965. Le film montre en particulier l’image du « Songe de Charlemagne » à moitié déchirée mais dont il subsiste un très précieux morceau de sa couronne. Les images ont été montées, bien sûr, dans le sens où marchent les pèlerins.
Pour leur donner une âme, l’abbé Branthomme a fait appel à son ami Denys de La Patellière, alors jeune assistant-réalisateur des grands cinéastes du moment. Mais il ne connaissait rien de Compostelle ! De longues conversations se sont engagées entre les deux hommes.
Pour leur donner une âme, l’abbé Branthomme a fait appel à son ami Denys de La Patellière, alors jeune assistant-réalisateur des grands cinéastes du moment. Mais il ne connaissait rien de Compostelle ! De longues conversations se sont engagées entre les deux hommes.
Sur le Camino francés déjà grignoté par des constructions modernes, vide de pèlerins, ils ont mis un rappel de l’histoire telle qu’on la supposait à l’époque. Au fil des étapes, ils font revivre un peuple d’ombres venu de loin, les troupes de pèlerins réunies à Puente la Reina et les « Saint-Jacquaires » construisant ponts et hôpitaux pour leurs successeurs.
En fait d’éléments historiques, ils donnent l’avis du Guide du pèlerin sur le rio Salado et sur les Navarrais, racontent le Pendu-dépendu du Livre des miracles. Ils citent abondamment la Chronique du Pseudo-Turpin (Charlemagne, Roland, Roncevaux, la bataille des lances fleuries, etc). Et aussi l’Historia compostelana à propos de la tête de saint Jacques à Carrion de los Condes.
Le résultat
Le résultat est le film d’un pèlerinage religieux, celui dont l’abbé Branthomme a rêvé derrière les barbelés. C’est dit dès le début « ce chemin mène à Dieu » et les références aux Ecritures sont nombreuses, bien qu’elles ne soient jamais nommées. Les pèlerins prient la Vierge, récitent le Salve Regina, détaillent les images de la mort de la Vierge sur les tympans, etc.
René de La Coste-Messelière a décrit parfaitement le dessein de l’abbé dévoilé au fur et à mesure du déroulement du tournage : « Ce n’est pas un hasard si le film Chemin de Compostelle […] se déroule comme une messe à l’ancienne : Montée à l’autel devant le Christ allemand du XVe siècle de l’hôpital roman de Puente la Reina. Evangile de pierre de la cathédrale de Burgos. Offertoire de la trilla (criblage de la moisson) entre León et Astorga, Elévation au Cebreiro, avant l’allégresse de la Communion finale de Compostelle ».
La voix off et la musique du film se chargent de confirmer ce dessein. Elle est celle du comédien Michel André, ancien combattant comme l’abbé Branthomme et comme Denys de La Patellière. Sa voix est celle des commentateurs des actualités de l’époque (cinéma ou radio) mais aussi, si l’on y prête attention celle, plus emphatique, des grands prédicateurs, quand il cite des passages de l’Apocalypse, de l’Evangile de saint Luc, d’Ezéchiel…
Enfin, la musique d’orgue, très solennelle, accentue le caractère liturgique de l’œuvre. Elle accompagne les temps de méditation qui suivent les citations, en même temps qu’elle souligne la longueur de la route. Elle a été composée, elle aussi, au fil de la projection des images, par Pierre Cochereau, organiste de la cathédrale du Mans et ami de l’abbé Branthomme. (Plus tard, son talent lui valut de devenir organiste de Notre-Dame à Paris).
Ce film est un témoignage unique et sincère, une belle pierre brute qui chante le bonheur de l’après-guerre et qui en remercie le Ciel. Il est aussi une invitation à partir.
Et, peu à peu, les pèlerins français sont repartis. Il est piquant de constater qu’en ce même 25 juillet 1951 se déroulaient les fêtes du millénaire du pèlerinage de Godescalc… Aucun des deux groupes ne parle de l’autre…
Qu’importe ! La France s’était remise en marche, l’Europe a suivi. Même si la qualité des images a souffert du temps, de la copie en VHS puis en CD, ce film reste une balise importante dans cette reprise.
Denise Péricard-Méa
Co-présidente Institut de Recherche Jacquaire
Juillet 2023
Co-présidente Institut de Recherche Jacquaire
Juillet 2023
Ce film, propriété des Archives de l'Eglise de France, n'est pas disponible pour des présentations commerciales.
L'IRJ étudie avec les responsables de la conservation du film les moyens d'en assurer des présentations dans le cadre de ses activités, en relation avec les associations jacquaires en particulier.