Pas de pèlerinage dans les premières biographies
Parlant des voyages que François entreprit avec ses disciples,Thomas de Celano écrit :
« Frère Bernard et frère Gilles prirent la route de Saint-Jacques ; saint François et son compagnon choisirent une autre orientation ; les quatre autres eurent en partage les deux autres directions ».
Bonaventure rapporte un autre voyage ;
« Il prit donc le chemin de Maroc afin d'annoncer l'Evangile de Jésus-Christ au sultan Miramolin et à sa nation, [...] Mais en Espagne, le ciel, qui le réservait à d'autres choses, lui envoya une grave maladie qui l'empêcha d'aller où il souhaitait. L'homme de Dieu [...] s'en retourna vers les tendres brebis confiées à sa sollicitude... ». Dans son Saint-François d'Assise, Jacques Le Goff date ce voyage de 1214.
Voila la réalité des premiers documents, validés par les franciscains, concernant un voyage de François qui l'aurait conduit en Espagne.
Par la suite apparaissent des légendes.
Première légende, « Les petites fleurs de saint François »
Au principe et fondement de l’Ordre, quand il y avait peu de frères, et n’étaient encore établis les couvents, saint François pour sa dévotion alla à Saint-Jacques en Galice et mena avec soi quelques frères, entre lesquels l’un fut frère Bernard (de Quintavalle) ; et allant ainsi ensemble par le chemin, trouva en une terre un pauvre infirme, duquel ayant compassion dit à frère Bernard : fils je veux que tu reste ici à servir cet infirme ; et frère Bernard s’agenouillant et inclinant le chef, reçut l’obéissance du père saint et resta en ce lieu. Et saint François avec les autres compagnons s’en alla à Saint-Jacques. Etant arrivés là et demeurant la nuit en oraison dans l’église de saint Jacques, fut par Dieu révélé à saint François qu’il devait établir moult couvents par le monde pour autant que son ordre devait multiplier et croître en grande multitude de frères. Et par cette révélation commença d’établir saint François des couvents en ces contrées. Et retournant saint François par le chemin de l’aller, retrouva frère Bernard et l’infirme avec qui il l’avait laissé et qui était parfaitement guéri ; dont saint François concéda l’année suivante à frère Bernard qu’il allât à Saint-Jacques.Un Ange vient visiter le couvent et est jeté dehors par un frère indigne.
En ce même jour, en cette heure que cet Ange se partit, il apparut à frère Bernard, qui retournait de Saint-Jacques, et était sur la rive d’un grand fleuve ; et le salua en son langage, disant : Dieu te donne paix, ô bon frère. Et s’émerveillant fort frère Bernard, et considérant la beauté du jouvenceau et le parler de sa patrie … L’Ange dit à frère Bernard : Pourquoi ne passes-tu delà ? Répondit frère Bernard : parce que je crains le péril pour la profondeur de l’eau que je vois. Dit l’Ange : passons ensemble, n’aie crainte ; et prit sa main et en un clin d’œil le mit de l’autre côté du fleuve. Alors frère Bernard connut qu’il était l’Ange de Dieu… L’Ange disparut et laissa frère Bernard moult consolé, à tant qu’il fit tout ce chemin avec grande allégresse.
C’est pourquoi à Viana sur l’Ebre est une église Saint-François, construite, dit-on, en souvenir de ce miracle. Mais quand ?
1 Edition Paul Sabatier, Paris 1902, p.11.
L’amplification de la légende par les Gascons
Aujourd’hui on ajoute de nombreux lieux, par exemple Estalla ou Pampelune.
Les franciscains de Compostelle gravent les « preuves » dans la pierre

Quand notre Père saint François est venu visiter l’apôtre saint Jacques, il a été l’hôte d’un pauvre charbonnier appelé Cotolay dont la maison se trouvait proche de l’ermitage de saint Payo au pied du mont Pedroso. Le saint passait ses nuits en prière sur cette colline où Dieu lui ordonna de faire bâtir un couvent à l’endroit qu’on appelle Val-de-Dieu et Val-d’Enfer. Sachant que ce lieu appartenait au monastère de Saint-Martin, le saint demanda au Père Abbé de le lui céder en échange, chaque année, un panier de poissons. Le Père accepta et le saint signa un contrat, comme l’attestent les anciens de Saint-Martin qui l’ont vu et qui l’ont lu. Une fois l’endroit acquis, dit le saint à Cotolay : « Dieu veut que tu bâtisses un couvent pour mon Ordre ». Cotolay lui rétorqua que comment un pauvre charbonnier pourrait s’attacher à une telle entreprise. « Va jusqu’à la fontaine, lui répondit le saint, et là-bas Dieu te fournira les moyens ». Cotolay obéit et il trouva sur place un trésor qui lui permit de bâtir le monastère. Dieu bénit la maison de Cotolay qui fit un beau mariage et devint régent de la ville où il fit lever des murailles qui précédemment passaient à travers le quartier de l’Azabacheria et qui maintenant bordent le monastère de San Francisco. Son épouse a été enterrée à la Quintana et Cotolay, fondateur de cette maison, dans une urne qu’il a lui-même choisie. Il est mort dans la paix du Seigneur en 1238
Un tombeau pour valider la légende
A Cotolay fondateur de ce couvent le 6e jour
d’octobre de l’année 1728.
Elle a été habilitée et on a commencé à
utiliser cette porterie le 13e jour
de juin de 1826.
Mémoire des franciscains à l'entrée de l'hôtel
Sur la porte d’entrée en verre sont gravés ces mots :
COUVENT
SAINT-FRANÇOIS
HÔTEL MONUMENT
SAINT-FRANÇOIS ***
Sur le mur à droite de la porte d’entrée :
AU VÉNÉRABLE COLLÈGE DE MISSIONNAIRES FRANCISCAINS. FORGE DE MARTYRS, CÉNACLE D’APÔTRES, UNIVERSITÉ D’HOMMES ILLUSTRES, GARDIEN DU SÉPULCRE DE COTOLAY, LUMIÈRE DU MAROC [?]. LE CONSEIL SUPÉRIEUR DES MISSIONS MDCCCLXII
Comme souvent, l’histoire vraie se bâtit sur la foi d’une légende, car, pendant de longs siècles, le couvent des Frères Mineurs a payé le tribut des poissons : un document d’archives témoigne encore de cette pratique au XVIIIe siècle : un reçu délivré aux Franciscains locaux par l’abbé de Saint-Martin, le 21 Mars 1733, pour la remise « d’une corbeille de poissons (una cestilla de peces) ». Et ce paiement témoigne à n’en pas douter de la cession du terrain appartenant aux moines de Saint-Martin aux nouveaux arrivants, les Franciscains... pas de la venue de saint François ni de la profession de Cotolay.
Note : les traductions des inscriptions sont de Pablo Nogueira
Tromper en transformant une légende en histoire, c'est en oublier l'esprit
Que chacun trouve sa clef pour ouvrir la raison de sa démarche, voilà qui est trop intime pour que l’historien ait le droit de s’y immiscer. Son intervention se limite à distinguer les textes authentiques des autres et à retrouver les traces historiques de la naissance des légendes…
Mais les affaires sont les affaires
Voici le message reçu d'un correspondant italien, après la parution de notre article, Le parti d'en rire, annonçant les festivités de Narbonne mêlant saint François et saint Jacques :
« Eh bien, cette légende de saint François pèlerin à Compostelle est arrivée à Narbonne aussi..... Même les franciscains italiens se sont opposés à cette falsification historique ! Mais la Confraternita de Pérouse, la Galice désespérée de ne pas avoir eu une prolongation de l'année sainte et tous les titrés ou incultes, qui espèrent des fonds européens pour tout et n'importe quoi ont fait en sorte que des célébrations soient programmées en 2013-2014 (deux ans !!!). »