Institut recherche jacquaire (IRJ)

L’abbé Jammet à Compostelle, étape 81


Rédigé par Denise Péricard-Méa le 19 Octobre 2020 modifié le 28 Octobre 2020
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En 1954, l’abbé Henry Jammet (1921-2015) est nommé curé de Saint-Jacques-des-Blats, paroisse du diocèse de Saint-Flour, placée sous le patronage de saint Jacques. Le jeune curé avait lu le Guide du pèlerin traduit sous ce titre par Jeanne Vielliard et Le chemin de Compostelle de Daniel Rops publié en 1952. Pour lui, il ne faisait aucun doute que ce patron ne pouvait être que saint « Jacques-de-Compostelle ».

Les photos illustrant cet article, en dehors des photos des pèlerins, ont été prises par un jeune touriste à la même époque.



Saint-Jacques des Blats
Saint-Jacques des Blats
 
PÈLERINER dé-CONFINÉS   Etape n°81

Sous le signe de saint Jacques

Le village entourant cette chapelle médiévale, devenue paroisse seulement en 1808), est situé dans les volcans d’Auvergne, à plus de 800 m. d’altitude, au pied du Griou et du Plomb du Cantal. Il est traversé par la Cère qui prend sa source au-dessus du village et par de multiples ruisseaux descendant des montagnes. Son nom viendrait de la déesse Cérès, déesse des moissons (les Blats seraient les blés) qui aurait donné son nom à la Cère.
Or, l’Epître de Jacques (qui lui était attribuée au Moyen Age) a fait de saint Jacques le protecteur des « biens de la terre ».  Il protège aussi montagnes, sommets et cols des démons qui les hantent, tout comme ils hantent les rivières et les ponts ou les gués.
Comment s'étonner que la dévotion médiévale l'ait choisi comme patron de ce village bien avant que Compostelle n'y soit connue ?


Les pèlerinages de l’abbé Jammet

Mais cela, l’abbé Jammet ne le savait pas. Il était tout simplement ébloui par Compostelle, dont on avait beaucoup parlé en 1951 lors des fêtes du millénaire du pèlerinage à Compostelle de Godescalc, évêque du Puy. Il est vraisemblable aussi qu’il connaissait l’étymologie de son patronyme Jammet, diminutif de James, une forme de Jacques répandue dans le Sud-Ouest dès le Moyen-Age.
Le jeune abbé rêvait donc d’aller à Compostelle. Une première occasion lui en fut fournie en 1958 de conduire un groupe de sa paroisse, en association des jeunes filles de Vic-sur-Cère.
Les pèlerines à Saint-Jean-Pied-de-Port (cl. abbé Jammet)
Les pèlerines à Saint-Jean-Pied-de-Port (cl. abbé Jammet)

L’année suivante, il organise un second pèlerinage, seul cette fois, selon le même principe, avec d'autres jeunes filles de sa paroisse.

Il est possible qu’elles aient fait partie de la JAC (Jeunesse Agricole Catholique). Vincent Flauraud (aujourd’hui maître de conférences en histoire moderne à l’université de Clermont-Ferrand) qui m’a fait connaître le pèlerinage de 1958 l’avait supposé dans sa thèse de doctorat. L’abbé Jammet que j’ai rencontré en 2004 à propos du pèlerinage de 1959 me l’avait laissé entendre en expliquant que sa date tardive correspondait à la fin des travaux agricoles libérant les jeunes filles.

 

Les informations sur ces pèlerinages sont partielles, elles proviennent d’articles de la Voix du Cantal, journal de la presse catholique diocésaine.


Le pèlerinage de 1958

Halte sur la route (cl. abbé Jammet)
Halte sur la route (cl. abbé Jammet)
L’article paru dans la Voix du Cantal du 13 septembre 1958 ne donne que peu d’informations sur ce pèlerinage en autocar. « Les jeunes filles étaient en autonomie complète, dirigées par « Louis » et conduites par « François ». « Jean-Marie, chef de popote », était assisté de membres du groupe. Ils dorment sous tente.
 
Tout au long du chemin, les jeunes gens ont rêvé de tout ce qu’ils avaient appris sur le pèlerinage médiéval à Compostelle, les « mystères du camino francés » (qu’ils n’ont pas emprunté car ils ont suivi le chemin du nord), les « siècles de grande foi », les pèlerins « venus déposer le fardeau de leurs péchés aux pieds de Jacques le Majeur et ayant baisé dévotement le col de sa statue géante ».

Ils se sont aussi bien amusés, le chef de popote s’étant fait le spécialiste de « virages de tentes ». Et les demoiselles n’ont pas cherché à imiter la vie quotidienne des pèlerins médiévaux tant elles ont apprécié de n’avoir pas à « hanter les auberges espagnoles à relents d’huile d’olive et de poisson frit ».
Pendant les veillées, tous évoquent Vermenouze, l’un de ces cantaliens surnommé « l’Espagnol », le poète qui avait fait partie des cohortes de marchands « aunant du drap, pesant des clous, roulant du cuir » entre Madrid et Tolède. Ils connaissaient bien sûr la « Grande chanson des pèlerins d’Aurillac »
 

Les pèlerins cantaliens ont longuement évoqué leur déception de ne pas retrouver le pèlerinage médiéval à Compostelle :
 
La porte Nord de la cathédrale, place de la Immaculada dans les années 1950
La porte Nord de la cathédrale, place de la Immaculada dans les années 1950

Rua Nova, années 1950
Rua Nova, années 1950
« Santiago de Compostela ! Mais que reste-t-il aujourd’hui de ce fastueux pèlerinage ? L’encensoir géant d’argent massif ne se balance plus le long du transept et ne parfume plus la vaste nef romane : il a disparu lors des guerres napoléoniennes. Hélas ! L’hostellerie des pèlerins pauvres et malades est devenue… un somptueux palace pour clientèle riche. Compostelle est actuellement un centre de tourisme au même titre que Le Puy, Conques et Roc-Amadour, ces étapes célèbres sur la route de Santiago.

Du moins le visiteur a-t-il encore le loisir de rêver dans ces ruelles aux impressionnants dallages et devant cette incomparable cathédrale de style oriental qui semble l’œuvre d’un enchanteur de conte des mille et une nuits et non le fruit de la Foi médiévale ».

 

Les pèlerins portent un regard étonné sur les paradoxes de ce pays
« Pourquoi sur les grandes routes, voit-on de petits ânes côtoyer des automobiles dernier chic, tandis que les cantonniers portent les cailloux des chaussées en réfection dans d’étranges paniers ronds. Pourquoi avons-nous vu, dans le port de La Corogne, à côté des grands transatlantiques, un chantier archaïque de scieurs de long au travail, hommes et femmes ? Pourquoi les tracteurs voisinent-ils avec ces curieux traîneaux attelés de bœufs ou de mulets, battant le blé sur l’aire ? Pourquoi un tel luxe côtoyant une misère si sordide (ces troupes faméliques investissant parfois notre campement) ? »

Vincent Flauraud a noté l’importance accordée à ce voyage puisque, avant de rentrer dans leurs villages, les pèlerins ont éprouvé le besoin d’exécuter un « triomphal tour de Square » à Aurillac.

Le pèlerinage de 1959

Son annonce par la même Voix du Cantal fut sobre mais ambitieuse. Un entrefilet du 27 juin 1958 annonce, du 28 septembre au 10 octobre,

« un vrai pèlerinage, comme autrefois …M. l’abbé Jammet a l’intention de faire revivre les pèlerinages d’autrefois vers Saint-Jacques de Compostelle ».

Au retour le pèlerinage est présenté sur une note plus touristique que dévote. La Voix du Cantal du 31 octobre :

« Ces jeunes filles ont admiré tour à tour de magnifiques cathédrales (celle de Saint-Jacques de Compostelle et de Saint-Isidore-de-Leòn en particulier), des villages et des ports pittoresques » (Malheureux journaliste qui a confondu, à Leòn, la collégiale Saint-Isidore et la cathédrale !).
« L’océan, calme ou en furie, la différence de végétation (oliviers ou vignes à perte de vue). Les mœurs des habitants les ont vivement frappées, notamment la fière allure des femmes déambulant avec grâce et légèreté, un panier sur la tête ».


L’abbé Jammet et l’archevêque de Compostelle

Curieusement, la Voix du Cantal est muette sur le séjour à Compostelle. Et pourtant ce fut un grand moment que celui où l’abbé Jammet fut reçu par monseigneur Quiroga y Palacios, archevêque. Il est probable qu’il a abandonné son groupe pendant cette visite. Il en a gardé un souvenir ému.

Nous verrons dans la prochaine lettre comment il a su faire profiter sa paroisse de sa visite à Monseigneur au cours d’une journée mémorable, le 14 août 1962.


A propos des illustrations

Galiciennes place de l'Obradoiro
Galiciennes place de l'Obradoiro

J’ai eu envie de croiser le regard de ces jeunes sur la ville de Compostelle avec celui d’un autre jeune, André Petit, brillant ingénieur parisien qui a laissé, lui, des photos de sa visite touristique dans cette même ville, exactement à la même époque.

Le regard du touriste est attiré par les mêmes images. Les photos ne disent pas autre chose : les femmes portant leurs fardeaux sur la tête côtoient les luxueuses voitures devant le Parador, les chars à bœufs circulent tranquillement dans les rues

Remerciements à Vincent Flauraud et aussi à l’archiviste du diocèse de Saint-Flour qui m’a communiqué ces deux articles et trois photos des jeunes filles, non datées. Merci aussi à Jacques Petit et Miguel Tain, le premier pour avoir trié et numérisé les photos de son père, le second pour avoir identifié les lieux.


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La Grande chanson des pèlerins d'Aurillac

Pour en savoir plus sur la grande chanson, voir plusieurs articles de la revue électronique SaintJacquesInfo, y compris une présentation détaillée de ses cinq versions dont une seule mentionne Compostelle.