Institut recherche jacquaire (IRJ)

L'UNESCO et les chemins de Compostelle


Rédigé par le 24 Août 2009 modifié le 21 Septembre 2023
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En 1984, dans son rapport au Conseil de l'Europe , la commission de la Culture avait suggéré :
« il serait intéressant que les pays concernés par les routes de pèlerinage engagent une action concertée auprès de l'UNESCO afin que Saint-Jacques et ses routes soient repris dans le répertoire des biens culturels établi par l'UNESCO ».
(article mis à jour en 2020)



Des itinéraires oubliés, le symbolisme effacé

En 1987, le Conseil de l'Europe, fortement influencé par des représentants espagnols soutenus par un important lobbying d'intellectuels hispanisants, en particulier français, faisait des chemins de Compostelle le seul itinéraire de pèlerinage distingué comme Itinéraire Culturel Européen.
L'inscription à l'Unesco soulignait le caractère culturel symbolique des pèlerinages médiévaux. Mais elle suivait la proposition : « le Conseil de l'Europe pourrait attribuer un emblème spécial aux villes et aux institutions se trouvant le long d'une des routes de Saint-Jacques » Cet emblème symbolique fut interprété comme devant être un panneau indicateur.
L'intérêt symbolique de ces itinéraires s'effaçait au profit de leur reconnaissance géographique alors que leur matérialisation est impossible.
Après la décision de 1987, les actions pour " préserver les itinéraires internationaux de pèlerinage " furent lentes à se mettre en place. Plusieurs furent intégrés dans les Itinéraires culturels européens.

Absence de coordination entre pays trop différents pour le faire efficacement.

Mais l'idée avait été lancée d'une inscription au Patrimoine Mondial. L'UNESCO souhaitait la mettre en application. Elle ne réussit malheureusement pas à obtenir une action conjointe. La France et l'Espagne ont agi en ordre dispersé.
En 1993, l'Espagne a obtenu le classement du Camino francès au titre « d’un paysage culturel linéaire continu qui va des cols des Pyrénées à la ville de Saint-Jacques-de-Compostelle » ; outre des villes et bâtiments en nombre considérable et manifestement exagéré (166 villes ou villages et plus de 1800 bâtiments allant du XIIe au XXe siècle),  une bande de trente mètres de part et d’autre du chemin a été classée. 1993 était une année sainte à Compostelle. Elle fut l'année du décollage du pèlerinage contemporain.
La situation française était très différente de celle de l'Espagne :
- absence de Compostelle dans l'histoire de France malgré la légende de Charlemagne
- faible intérêt des Pouvoirs Publics
- absence d'itinéraire identifiable.
Malgré tout, l'insistance de l'UNESCO et la persévérance de trois associations intéressées à des titres divers au développement du pèlerinage, ont conduit à l'inscription en décembre 1998 de 71 monuments et 7 tronçons du chemin tracé dans les années 1970 au départ du Puy.
Cet ensemble disparate a été défini par les experts de l'ICOMOS comme " un Bien unique " dénommé " Chemins de Compostelle en France".
Depuis lors l'UNESCO laisse graver cette  mention dans le marbre des plaques apposées sur les monuments classés "au titre des chemins de Compostelle".
Les monuments distingués sont réduits au rôle de balises des chemins
Les monuments distingués sont réduits au rôle de balises des chemins

Des justifications sans fondement

Si certains des 71 monuments français distingués par l'UNESCO "au titre des chemins de Compostelle" méritaient une inscription à titre individuel, il n'en est pas de même de tous. Certains étaient déjà inscrits pour leur valeur propre. Pourquoi les avoir rajoutés ?
La mention d'autres monuments, comme, par exemple, le dolmen de Gréalou ou des ruines d'un lieu de culte paléo-chrétien ne peut que surprendre. Beaucoup d'édifices retenus n'ont rien à voir avec Compostelle et les justifications produites pour les rattacher à l'un ou l'autre chemin contemporain se réduisent le plus souvent à l'affirmation que " les pèlerins passaient pas là ". Il en est ainsi pour les ponts. Pourquoi avoir « soigneusement sélectionné » sept ponts dont quatre dans le seul département de l’Aveyron ? Certes certains d'entre eux sont connus comme " pont des pèlerins ". Mais rien n'indique qu'ils aient été des pèlerins de Compostelle.
L'ensemble du dossier français repose sur deux postulats des érudits du XIXe siècle qui n'ont jamais été vérifiés parce qu'admis comme des croyances fortes.
- Les routes médiévales étaient parcourues par des foules de pèlerins.
- Tous ces pèlerins allaient à Compostelle. Pas plus que les autres les experts de l'UNESCO, dont certains étaient pourtant étrangers à la culture européenne n'ont remis en question ces affirmations.

" Ypassaientparlà "

Ce mot résume à lui seul l'essentiel des discours tenus par les responsables des sites inscrits au Patrimoine Mondial au titre des chemins de Compostelle. Il est repris par tous ceux qui bénéficient de l'inscription par la généralisation inscrite dans le marbre des plaques. Désormais n'importe quel itinéraire secondaire peut se prévaloir d'être au patrimoine mondial dès lors qu'il est balisé en direction de Compostelle. A défaut de remplir sa mission culturelle, l'UNESCO sert ainsi de nombreux intérêts politiques et économiques particuliers.

Quel bénéfice pour l'humanité ?

L'UNESCO prétend que ces inscriptions sont faites " au bénéfice de l'humanité ". Les retombées économiques du pèlerinage contemporains sont certaines. Les gîtes se multiplient et des commerces se maintiennent ou s'ouvrent dans des zones déshéritées. Les dépenses de gestion de ce vaste programme international ont, elles-aussi, des retombées : les fonctionnaires nationaux et internationaux chargés de ces questions perçoivent des salaires, voyagent et entretiennent une certaine activité économique dans les lieux où ils se réunissent.
Sans méconnaître l'importance d'une action internationale pour la préservation d'éléments majeurs du patrimoine, il est néanmoins permis de s'interroger sur le bénéfice que peut apporter à l'humanité un classement tel que celui des chemins de Compostelle en France.
Il est permis de s'interroger sur l'utilisation de l'argent public engagé dans ces opérations. L'humanité ne trouverait-elle pas un plus grand bénéfice à des actions plus directement orientées vers l'alimentation, l'éducation et la culture ? Les services existent qui continuent imperturbablement à faire inscrire des éléments de moins en moins significatifs alors que des enfants continuent en grand nombre à mourir de faim. Leur consacrer l'argent investi dans des plaques de marbre mensongères ne déshonorerait pas l'humanité.

Comment tirer parti de ce classement ?

Ce qui est fait est fait, même si cela a été mal fait.
L'UNESCO devrait en principe faire une évaluation périodique. Si elle existe elle est restée secrète. Le bénéfice de l'humanité ne va pas jusqu'à l'information sur la situation des biens inscrits.
Des liens, autres que la géographie de chemins hypothétiques, pourraient exister entre les sites classés au titre des chemins de Compostelle. Ils représentent un patrimoine commun aux pays européens qui n'est pas celui décrit dans les dossiers et retenu par les experts de l'ICOMOS. Patrimoine immatériel qui mériterait d'être mieux connu et présenté.
La Fondation David Parou Saint-Jacques est prête à collaborer avec tous ceux que cette évolution intéresserait.