Institut recherche jacquaire (IRJ)

Guillaume X d'Aquitaine dans l’imaginaire espagnol, lettre 130


Rédigé par Elvire Torguet le 5 Mars 2022 modifié le 9 Mars 2022
Lu 248 fois

Alors que les lettres 128 et 129 présentaient le duc Guillaume X d’Aquitaine, Elvire Torguet découvrait Aquitania, un thriller historique de 2020, ayant obtenu le prix Planeta dont Aliénor, fille de Guillaume X est un des personnages principaux. Nous lui avons demandé de présenter ce livre qui donne l’occasion de mesurer les écarts entre réalité et fiction.

Bonne lecture à tous et merci de vos commentaires qui seront les bienvenus.



Eva García Saenz de Urturi
Eva García Saenz de Urturi
 

Aquitania est l’œuvre d’une jeune auteure à succès Eva García Saenz de Urturi, plusieurs fois primée en Espagne. Au delà des ingrédients classiques du thriller médiéval (meurtres, empoisonnements, trahisons et vengeance, …), cette fiction a le mérite de s'intéresser aux relations de deux tout jeunes gens avant qu'ils marquent l'Histoire. La jeune Aliénor, brutalement orpheline et le jeune Louis VII que la mort de son frère aîné a condamné à être roi alors qu'il est hypersensible, vont essayer de s'apprivoiser tant bien que mal et c'est assez crédible. Par ailleurs, elle a choisi de brouiller les pistes historiques (Capétiens ou Carolingiens ?) et d’appuyer sur les épisodes les plus représentatifs de ce noir Moyen Age qui continue de fasciner auteurs et  lecteurs.

Une mort suspecte

1137, le Duc d'Aquitaine - la région la plus convoitée de France - est découvert mort à Compostelle. Le cadavre a une coloration bleue et porte les marques d'une torture normande ancestrale  
" l'aigle de sang ".
Sa fille Aliénor, décide de se venger et pour cela elle épouse le fils de celui qu'elle croit être l'assassin de son père : Louis VI le Gros, roi de France.
Mais le propre roi meurt pendant le mariage de son fils dans des circonstances identiques[...]

Tel est le début de la quatrième de couverture de ce thriller historique haletant qui relate l'obsessionnelle quête de la jeune Aliénor âgée seulement de 13 ans, mais redoutablement décidée à venger la mort de son père. Cette duchesse indomptable va donc se marier pour cela au jeune Louis qui aurait préféré être moine que roi. Ce roman, écrit à la première personne, tantôt Aliénor, tantôt le jeune Louis est aussi le récit de leur apprivoisement mutuel.

Un univers impitoyable

Dans ce contexte de rivalité à mort entre les Capétiens et les Aquitains, le jeune couple se trouve confronté à des personnages peu recommandables :
Louis VI le Gros convoite le duché d'Aquitaine et est prêt à tout pour y parvenir jusqu'à envoyer ses frères enlever la jeune héritière pour pouvoir la contraindre à épouser un Capétien.
Guillaume IX Le Troubadour apparaît comme un despote ne souffrant pas la contradiction, violent et prisonnier de ses péchés, ses pulsions sexuelles en particulier, qui le font répudier sa première épouse, mère de ses enfants et prostituer de jeunes religieuses.
Guillaume X semble vouloir réparer les torts causés par son père, s'oppose même physiquement à lui, mais est prêt à exterminer des innocents pour couvrir les péchés de celui-ci et ceux du Pape Anaclet dont il fut le partisan. Il avoue aller à Compostelle pour se faire pardonner sa cruauté. C'est ce qui causera sa mort

La complainte comme aboutissement d'une quête

C'est la complainte de don Gaiferos de Mormaltán (voir lettre 129) entendue à Compostelle par l'oncle d'Aliénor, Raymond de Poitiers, au moment où il est allé reconnaitre le corps de son frère, qui apparait comme la clé de l’énigme de la mort du Duc d’Aquitaine.
"Je chemine vers Compostelle, 
Et vous même, mon bon soldat?"
" A Compostelle, ma terre,
quittée depuis sept ans déjà ,
 et que  j'ai craint  de ne plus revoir ".
Ce jeune soldat que rencontre Gaiferos sur le chemin de Compostelle et fait route avec lui jusque dans la cathédrale même est, selon la romancière, l'instrument du destin qui se venge de Guillaume X et des turpitudes du Troubadour son père. La fiction constitue le trait d'union entre la complainte et l'histoire

Une fiction ancrée dans l'histoire grâce à des personnages authentiques

Le jeune frère de Guillaume X, Raymond de Poitiers devenu prince d'Antioche, très proche de sa nièce est son confident et son indéfectible allié.



Saint Bernard de Clairvaux est aussi présent, comme un proche des Aquitains,en 1146, au sommet de sa renommée. Son sermon de Vézelay ou plutôt sa harangue qui va décider de la croisade menée par Louis et Aliénor. Le signe miraculeux qui se produit est rapporté en détail par cette dernière.
 

« Et sans nous donner le temps de réagir, il regarda le ciel, avec un geste solennel.
-- Regardez ! Une croix ! Une croix rouge ! Le signe ! Le signe du Christ ! Nous avons tous levé les yeux au ciel. Les experts des miracles atmosphériques avaient déjà fait leur travail et effectivement, un nuage en croisait un autre au dessus de nos têtes en formant quelque chose qui semblait un signe du Christ ». 



Ce bas-relief de la cathédrale de Saragosse (photo ci-contre) n'est pas lié à l'histoire de Guillaume X. Il rappelle le lien étroit de saint Bernard et de la Vierge qui lui aurait inspiré le sermon de Vézelay.

L'abbé Sugger de l'Abbaye de Saint Denis , mentor du jeune Louis, s'avère le fils bâtard de Guillaume IX Le Troubadour et donc l'oncle d'Aliénor.
 
La mort de Louis VI le Gros, juste le jour du mariage de son fils, celle de l'abbesse de Fontevrault , Philippa, grand-mère d'Aliénor,  ainsi que celle de la mère de cette dernière ont été modifiées pour plus de romanesque.

Eva García Saenz de Urturi
Eva García Saenz de Urturi




Malgré les distorsions de l'histoire, les ressorts de l'intrigue sont les éléments même de l'histoire du duc, sa mort à Santiago de Compostelle, en 1137, le vendredi saint, jour de la mort du Christ,  qui plus est, en pèlerinage, le mariage inattendu de sa fille avec le fils du roi de France, la complainte apocryphe  de Gaiferos de Mormaltán.
Ils s'avèrent être les éléments retenus par la mémoire littéraire espagnole sans doute parce qu'ils ont quelque chose de réellement romanesque.