Institut recherche jacquaire (IRJ)

Gouvernance des chemins de Compostelle (1), le déni de l'histoire


Rédigé par le 2 Février 2015 modifié le 17 Février 2024
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En 1998, une décision biaisée a permis l'inscription des chemins de Compostelle en France au Patrimoine mondial. Depuis, la gestion de cet ensemble ingérable a été un casse-tête permanent. Faire fi de l'histoire n'est pas la meilleure façon de répondre aux besoins du présent.



Rappels

Cette question de l'inscription des chemins de Compostelle au Patrimoine mondial devient de plus en plus complexe. Les spécialistes s'enferment derrière le rideau de fumée d'un jargon qui les rassure sur la pérennité de leur fonction. En réalité les critères d'inscription des biens ne sont pas définis a priori. Ils sont adaptés en fonction des biens présentés, voire des modalités de présentation.
Ainsi ils sont passés subrepticement de la notion de " biens en série "
exemple les lagons de Nouvelle Calédonie : tous identiques mais dispersés ou les grottes ornées de la vallée de la Vézère
à celle de " bien en série ", que la France s'efforce d'adapter aux chemins de Compostelle, bien non identifiable selon les critères de l'UNESCO. Il est en effet représenté par une collection d'édifices qui n'ont rien en commun en dehors d'avoir été choisis pour justifier l'inscription alors que les Orientations de 2011 de l'UNESCO recommandent :
d'éviter les [...] catalogue de sites, mais soient [...] un ensemble de sites liés en termes culturels, sociaux ou fonctionnels [...] où chaque site contribue de façon significative à la valeur universelle exceptionnelle de l’ensemble du bien.
Ceci dit voici un résumé des conclusions de notre étude :
- L'inscription a eu un " caractère exceptionnel " (lettre de novembre 1996, signée du Directeur du Patrimoine, Maryvonne de Saint-Pulgent)
- Les chemins ne constituant pas un bien identifié présentable, le dossier a eu recours à un artifice : ils ont été représentés par des
" étapes [...] sites comportant des monuments majeurs et parfaitement attestés comme appartenant au pèlerinage jacquaire ".
- Aux 71 étapes choisies ont été ajoutées 7 tronçons du GR 65
- La décision prise à Kyoto a été de considérer cet ensemble comme
" un Bien unique désigné chemins de Compostelle en France ".
Sans contester l'intérêt touristique et économique de cette inscription, nous considérons qu'elle a été obtenue en biaisant un dossier dont l'examen par l'ICOMOS a été particulièrement bienveillant.
Comprendre l'inscription des chemins de Compostelle au Patrimoine mondial
Comprendre l'inscription des chemins de Compostelle au Patrimoine mondial

Un préfet pour coordonner une " usine à gaz "

En 2007, le ministère de la culture a demandé à l’ACIR de former le réseau des propriétaires gestionnaires du bien culturel en série Les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle en France. Cette demande ne semble pas avoir eu de suite.
En 2012, l'ICOMOS a organisé à Poitiers un colloque sur les Biens en série du Patrimoine mondial.
Par arrêté du 30 avril 2013, le préfet de la Région Midi-Pyrénées a été nommé, préfet coordonnateur du bien en série Les Chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle en France. Il a présidé, 22 janvier 2014 à Toulouse, une réunion consacrée aux composantes du bien situées en région Midi-Pyrénées et à leur gouvernance. Une nouvelle réunion a eu lieu le 19 janvier 2015.
A ces réunions sont invités les propriétaires et gestionnaires des biens supports de l'inscription des chemins.  Elles ont pour objectif
de faciliter la création et l'organisation de commissions locales qui participeront à la gouvernance du bien par l'harmonisation des actions de valorisation des composantes du bien.. Ces commissions devront, à terme, contribuer à la mise en œuvre des périmètres de "zones tampons" Unesco ainsi qu'à l'élaboration de plans de gestion locaux.

Une définition évolutive du Bien

Depuis 1998, l'ACIR s'est employée à faire apposer des plaques sur les bâtiments ayant servi de jalons pour définir les chemins inscrits au Patrimoine mondial. Ces plaques indiquent que :
Au titre de la convention internationale pour la protection du patrimoine culturel et naturel, les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle en France ont été inscrits par l’UNESCO sur la liste du Patrimoine mondial
Le site Internet de l'association précise encore :
L'ensemble du réseau constituant les chemins de Saint-Jacques de Compostelle en France est reconnu par le patrimoine mondial
Mais une autre définition plus restrictive est apparue au colloque de Poitiers. Il n'est plus question de chemins en France, sans précision. Selon la vice-présidente de l'ACIR, le Bien inscrit est limité aux Régions possédant au moins un jalon.
L’ensemble du bien est disposé dans 13 régions, 32 départements, 95 communes.
Cette affirmation est en cohérence avec l'arrêté du 30 avril qui limite l'autorité du préfet coordonnateur aux Régions comprenant un des 71 monuments.
Il est précisé en outre que :
la collection [ qui définit le bien ] est considérée par l’UNESCO comme un bien unique. La particularité des biens en série est que leurs composantes sont solidaires les unes des autres.
Que signifie cette solidarité ? Quelle solidarité entre le dolmen de Pech-Laglaire et le Mont-Saint-Michel ? Entre la cathédrale de Bourges et le pont d'Artigues ou celui dit " du Diable " à Aniane ? L'inflation du langage remplace la précision de la pensée ou l'inadéquation du concept.

Ndlr, le 5 mars 2018 :
La peur de la désinscription a sans cesse été agitée pour justifier la pérennité de la structure mise en place. Si menaces il y a eu, la lecture des documents publics de l'Unesco, accessibles sur Internet, ne nous a pas permis d'en trouver trace. Le temps mis par la France pour répondre aux premières demandes de l'Unesco et la qualité des réponses auxquelles nous avons eu accès confirment notre impression que ces menaces n'ont jamais été sérieuses.
Voir le texte de l'arrêté

Trop de dépenses pour une inscription devenue inutile

Il nous apparaît clairement que le dossier présenté en 1998 ne serait pas accepté aujourd'hui. Les experts de l'UNESCO seraient sans doute plus regardants sur l'argumentaire et l'authenticité du Bien proposé. Ils exigeraient en outre que ce Bien soit gérable.Or comme le disait un haut fonctionnaire proche du dossier en 1998
" on ne gère pas un mythe ".
Le ministère de la Culture a lancé une nouvelle tentative pour faire évoluer la définition du Bien en série " chemins de Compostelle " pour l'adapter aux critères de l'UNESCO. Est-ce bien nécessaire ? N'y a-t-il pas plus urgent ?
Le succès du pèlerinage contemporain et le phénomène de société qui lui est lié ont été favorisés par l'inscription de 1998. L'élan est donné et le succès assuré. Il ne nous paraît pas nécessaire de maintenir cette inscription. Elle a été utile mais elle ne reposait pas sur des bases historiques sérieuses. Son maintien n'est pas justifié, quelles que soient les astuces sémantiques inventées.

 

La proposition d'abandonner cette inscription qui n'a pas d'autre fondement que la comparaison avec l'Espagne paraîtra trop brutale.
Dans un second article, nous présentons des suggestions pour la conserver en respectant l'Histoire .
Pour ceux qui veulent approfondir la notion de bien en série et ses déclinaisons, nous demander copie du compte-rendu du colloque de Poitiers.