Coïmbra, juin 1699
« … deux Pères Capucins qui étaient avec nous voulaient aller à Saint-Jacques de Compostelle mais un des deux, se trouvant indisposé, me pria d'accompagner son compagnon, n'y ayant de Coimbra à Compostelle que soixante lieues ou environ […]
J'eus de la peine à y consentir, mais quoique d'un autre côté j’étais bien aise de faire ce voyage, je me laissai facilement gagner, et nous partîmes de Coimbra pour aller à Bussaco ».

Le récit du voyage
Aux yeux des historiens modernes, le récit qu’il a laissé de son voyage2 est médiocre et ne mérite pas qu’on s’intéresse à l’auteur. Bartolomé Bennassar condescend presque à regret à lui consacrer une page dans son anthologie3tout en disant de lui :
« L'auteur est négligé par les biographies de son ordre et nous ignorons le motif de son voyage : il ne s'agissait aucunement d'un voyage officiel ni d'une mission : il ne fait jamais allusion à des lettres de recommandation ou de présentation dont il aurait été porteur à l'intention de couvents de son ordre […] Le récit ne témoigne pas d'une grande culture et le vocabulaire de ce capucin était relativement limité : il emploie les mêmes expressions à de fréquentes reprises. Mais il est d'une fraîcheur, voire d'une naïveté, et d'une liberté de ton très plaisante ».
Contrairement à eux, j’ai cherché… et trouvé, « dans les biographies de son ordre » de quoi répondre en partie aux nombreuses questions que pose son récit pour peu qu’on veuille le lire attentivement.
La première surprise fut que les archives franciscaines ne connaissent pas l’existence de ce texte qui, selon les archives de Rouen, viendrait du couvent des Capucins d’Orléans.
Qui est François de Tours ?
« étant à la surveille de la Fête de Dieu et ayant ouï dire qu'il se trouvait plusieurs bandes de danseurs masqués pour danser devant le Saint Sacrement, j'étais bien aise de voir ces sortes de cérémonies ».
La lecture du voyage à Compostelle livre déjà quelques indices sur la personne : il n’hésite pas longtemps à faire à pied 350 km. supplémentaires et il témoigne d’un grand intérêt pour les cérémonies avec danseurs et masques qui, dit-il « tiennent plutôt du gentil et du paganisme que du chrétien (gentilité et paganisme sont synonymes. Il se demande implicitement pourquoi elles sont acceptées par l’Eglise. Et nous, nous interrogeons sur le pourquoi de cet intérêt passionné.
Une seconde lettre sur le sujet devrait apporter quelques éclaircissements sur la vie assez extraordinaire de ce « pèlerin malgré lui ».
Coïmbra-Compostelle
« Bussaco est un couvent de Carmes déchaussés [… ] On peut dire que ce lieu est un paradis terrestre ; aussi prenions-nous beaucoup de plaisir à y rester et fort volontiers nous y aurions fait notre demeure s'il avait été dans notre pouvoir »
« Je croyais le jour du dimanche du Saint-Sacrement voir de ces danseurs, mais je fus trompé : il ne s'en trouva qu'un, qui précédait le Saint Sacrement. Il avait un masque horrible et dansait devant le Saint Sacrement en jouant de la guitare ».
« … Il y avait plus de cent personnes masquées, car la coutume, tant en Espagne qu'au Portugal, c'est d'avoir dans les processions des personnes masquées. Si une religieuse veut payer sa fête, elle aura une bande de personnes masquées, qui viendront danser dans l'église devant le Saint Sacrement, à moins de cela, la cérémonie de la fête ne serait pas bonne [… ] quatre géants d'une hauteur prodigieuse, qui faisaient des postures à faire crever de rire. Ces géants n'étaient cependant faits que de carte, portés par chacun un homme, mais qu'on ne voyait point [… ]
Ensuite suivaient huit personnes masquées, qui s'arrêtèrent devant le palais. Je fus si aise de cela que je ne me sentais pas, car je n'avais jamais vu de ces sortes de processions où il y eût des personnes masquées qui dansassent. A dire le vrai, c'est un reste de paganisme, et on n'a jamais pu abolir ces manières si peu conformes au Christianisme.
Le Roi et Messeigneurs les Évêques ont même eu bien de la peine d'abolir des danses extrêmement lubriques, que la pudeur ne me permet pas de peindre sur ce papier comme on me les a racontées ».
Compostelle
« Compostelle, c'est la ville capitale de la Galice et l'archevêché, qui a quarante mille écus de revenu. La ville est assez grande, l'église cathédrale où repose le corps du glorieux apôtre saint Jacques le Majeur est fort belle, particulièrement le grand autel, dont le retable est magnifique et fort riche, devant lequel il y a quatorze lampes d'argent parfaitement belles, entre autres une est en façon de coquilles, qui est un présent d'un roi d'Espagne. On ne peut mieux faire l'office qu'on le fait, dans cette église. Il y a sept chanoines qu'on appelle les sept cardinaux, qui officient la mitre en tête, quoi qu'ils ne soient point évêques ».
« Il voulut nous faire rester un mois dans son palais, mais nous n'y restâmes que quatre jours pour y faire nos dévotions et y voir ce qu'il y a de curieux, comme le grand hôpital où logent les pèlerins, qui est parfaitement beau, aussi bien que les couvents qui sont en grand nombre. Le couvent de Saint-Benoît est à voir, particulièrement : la sacristie, qui est un très beau vaisseau, et la boisure du chœur, qui est d'une structure très fine et très délicate ».
« Dans le temps que nous étions à Compostelle, il se fit une procession, du Saint Sacrement où il y avait deux bandes de danseurs, tous masqués. Chaque bande était de vingt. Je n'avais garde de manquer à voir cette cérémonie, j'en avais trop d'envie ; et je ne me contentai pas de les voir seulement danser une fois, mais plusieurs, car après que j'avais vu danser ces deux bandes l'une après l'autre, je fendais la presse, car il y avait beaucoup de monde, et allais dans une autre rue par où ils devoient passer ; il y avait une bande de ces danseurs habillés en pèlerins et pèlerines, et lorsqu'ils dansaient, le Saint Sacrement était arrêté et ne marchait point que lorsque les danseurs avaient dansé. Pendant la procession, on jeta plus de trois cents fusées, d'un autre côté. La procession était parfaitement belle, y ayant beaucoup de prêtres et quantité de personnes qui avaient de gros flambeaux de cire blanche ».
« Après que nous eûmes fait nos dévotions, vu le trésor de la cathédrale, qui est parfaitement beau, et tout ce qu'il y avait à voir dans la ville, nous reprîmes notre chemin de Lisbonne, retournant sur nos pas et repassant par Padron, Pontevedra et Redondela. Mais de Redondela nous allâmes à Vigo ».
Vous recevrez la prochaine lettre le mardi 22 juin
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