Institut recherche jacquaire (IRJ)

Europe I, l'Histoire et le Pèlerin


Rédigé par le 17 Décembre 2014 modifié le 30 Mars 2015
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Après avoir décrit le chemin du Puy, en utilisant la plupart des poncifs de l'histoire du pèlerinage auxquels il ajoute quelques erreurs, Franck Ferrand interroge Jean-Christophe Rufin sur ses motivations et son expérience de pèlerin. Peu d'histoire dans tout cela. A croire que le "coeur de l'histoire" est vide.



L'histoire couvre la publicité

Couverture de l'édition folio
Couverture de l'édition folio
Cette émission du 10/12/2014, animée par Franck Ferrand  et présentée dans la série AU COEUR DE L'HISTOIRE était consacrée au pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle, en Espagne. Il recevait Jean-Christophe Rufin, auteur d’Immortelle randonnée, dont l'ouvrage vient d’être réédité en folio chez Gallimard*.

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" Enfants du Bon Dieu ou canards sauvages ? "

Le pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle, en Espagne est effectivement un sujet qui méritait d’être traité dans cette série Au cœur de l’histoire. Le faire guider par Jean-Christophe Rufin pour « pérégriner de concert avec lui » allait de soi puisqu'il s'agissait de promouvoir le récit de son pèlerinage. Ce récit est celui d’un homme libre qui a marché sans a priori, avec un esprit éveillé et critique. Il porte un regard amusé et décalé sur les pratiques pèlerines. Le dicton rappelé au début : « il ne faut pas prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages » (p.19) pouvait laisser espérer que l'auteur exercerait son esprit critique sur les idées convenues relatives à l’histoire du pèlerinage à Compostelle. Certes, il avait avoué qu'il "ne savait rien de Compostelle à son départ" (p. 9). Mais il a omis de se documenter au retour et de s'informer sur les connaissances actuelles relatives à l'histoire du pèlerinage.
 

Le chemin du Puy date des années 1970

Couverture de la première édition ronéotée de ce qui deviendra le topo-guide du GR65
Couverture de la première édition ronéotée de ce qui deviendra le topo-guide du GR65
L’animateur a commencé par affirmer qu’en France il y avait 4 points de départ historiques, comme si cela allait de soi. Donc 4 chemins auquel il a ajouté un « chemin primitif », dont la seconde partie de l’émission a montré qu’il s’agissait du Camino primitivo, entre Oviedo et Santiago.
Il a choisi de faire parcourir le chemin du Puy, le plus connu et le plus fréquenté mais sur lequel le Pèlerin-académicien n’avait rien à dire, ne l’ayant pas parcouru. Mais qu’importe, Ferrand n’attendait pas de lui des informations sur l’histoire mais sur les motivations des pèlerins contemporains. Le titre de l’émission annonçait bien que le but du pèlerinage était en Espagne mais " l’incroyable distance de l’étape à franchir " fut réduite à 750 km ce qui permet d’atteindre Roncevaux mais pas Compostelle.
L’affirmation " tout - tout quoi ? - commence avec Godescalc ", fut faite sans référence au seul document témoin de son voyage, donnant sa date et la mention d’une suite nombreuse. L’imagination de l’animateur suppléa l'absence de documents et apporta de nombreux détails sur la composition de cette suite.
Faire partir les pèlerins " au soleil couchant ", même avec une description très poétique, ne se réfère ni à un document historique ni à la pratique pèlerine.

L’apogée du pèlerinage au XIIe siècle et le dernier Livre du Codex calixtinus, " un petit peu considéré comme l’ancêtre des guides de voyage " font partie des poncifs qui n’ont pas été oubliés.
Arrivant à Saugues, Ferrand s'étonne d'y trouver, " comme par hasard " un hôpital Saint-Jacques. Il ne sait pas que le chemin qu’il parcourt a été tracé dans les années 1970 en reliant entre eux des souvenirs de cultes à saint Jacques (églises, chapelles, hôpitaux) qui n’ont de liens historiques qu’avec des dévotions locales à saint Jacques, indépendantes de Compostelle.

Vient à ce moment une réflexion sur les motivations du départ, justifiée par la présence de l’auteur du livre à promouvoir, mais sans plus de rapport avec l'histoire que l’extrait de musique du film The Way .
Après Saugues, il arrive à la dômerie d’Aubrac dont il confond l’histoire avec la légende. Parlant de l’époque de la construction du bâtiment, il décrit un paysage " désolé et désertique " alors qu’il était couvert de forêts. Bel anachronisme !

Les " foules de populations brassées par le chemin " traversent évidemment les paysages décrits. Sur ce point d'histoire l'avis du Pèlerin-académicien aurait pu être sollicité.  Son livre évoque les " millions [de pèlerins] qui ont emprunté le même parcours pendant des siècles " tout en soulignant que le pèlerin " éprouve une jouissance sans pareille à laisser son imagination le tromper " (p.111). Plus loin, il laisse planer le doute (p.164), puis affirme, sans l'ombre d'une preuve, que «"Jacques Cœur a passé son enfance à voir passer des Jacquets " ! (p. 257). On l’imagine donc prompt à cautionner, sans y avoir vraiment réfléchi, ces foules déferlant sur la voie du Puy.

Bien que censée être " au coeur de l’histoire ", cette émission s'est contentée de l'énumération des étapes (dites parfois escales !) jusqu’à Roncevaux. Elle a listé des monuments avec quelques dates de construction rappelant l’histoire, le présentateur s’excusant " de ne pas pouvoir décrire toute la route ", et oubliant de présenter l'un ou l'autre des individus qui auraient parcouru ces chemins, seul ou  au sein des foules imaginaires.

Quid des hommes sur les chemins ?

L’auditeur s'est trouvé ensuite brutalement transporté à Compostelle, rapidement décrite en faisant appel à un pèlerin du XVIe siècle. Enfin, six siècles après Godescalc, un pèlerin en chair et en os, avant de citer longuement et passer la parole au Pèlerin du XXIe siècle en l’interrogeant sur ses motivations. Ce qui, redisons-le, éloigne de l’histoire. Auparavant l’émission est restée un moment encore dans le folklore en évoquant la coutume de brûler les vêtements. On montre, sur les toits de la cathédrale, l’emplacement présumé de ce brûlage. Il est si étroit qu’il est difficile d’y imaginer les vêtements de nombreux pèlerins. Cette pratique a été ressuscitée par les pèlerins contemporains sur les bords de l’Océan.

Dépouiller le vieil homme

Sur les toits de la cathédrale, la croix des " Farapos " (fripes) marque le lieu où étaient brûlés les vieux vêtements"
Sur les toits de la cathédrale, la croix des " Farapos " (fripes) marque le lieu où étaient brûlés les vieux vêtements"
La dernière partie de l'émission permet enfin au Pèlerin-académicien racontant son chemin d'Oviedo à Compostelle d'aborder sommairement quelques véritables questions historiques : le lien  entre la marche d'Alphonse II vers le lieu de la découverte d'un tombeau attribué au patron de l'Espagne et la Reconquista, la figure du Matamore et les liens créés par le maréchal Pétain avec Compostelle quand il  était ambassadeur à Madrid. Il manifeste ainsi que la marche vers Compostelle peut susciter l'intérêt pour des questions historiques, sans pour autant faire du pèlerin un historien.
Le temps a manqué pour traiter, enfin, ces points d'histoire majeurs pour la compréhension du pèlerinage contemporain.  Mais là n'était pas l'objectif de l'animateur qui a, en outre, cru bon de faire écouter une vieille interview d'Alix de Saint-André, répétant ce que venait de dire son invité sans rien apporter de nouveau.

Faire connaître l'histoire contemporaine

Une part notable de l’émission a été consacrée aux motivations et aux réflexions du Pèlerin-académicien qui ne relèvent que de son histoire personnelle et de ses talents littéraires mais pas de l’histoire du pèlerinage. Elles sont par contre intéressantes pour comprendre le pèlerinage contemporain mais ce n’était pas le sujet de l’émission. Il y a un mythe, une magie de Compostelle que Jean-Christophe Rufin a bien sentis. Montrer comment ils se sont construits au XIXe et au XXe siècle, ferait un bon sujet d’histoire contemporaine.

Nos publications sur les sujets abordés

Europe I, l'Histoire et le Pèlerin
La documentation sur laquelle reposait cette émission a omis le livre Les routes de Compostelle, paru aux éditions Gisserot en 2000, réédité en 2006. Sa consultation aurait permis de donner des informations à jour sur
- l'inexistence de chemins et de points de départ historiques,
- l'origine du mythe des foules pèlerines,
- la place de Godescalc dans l'histoire du chemin du Puy
- l'histoire du tracé de ce chemin au début des années 1970.
D'autres articles des sites de la Fondation ont traité les sujets effleurés dans l'émission :
Dans la revue SaintJacquesInfo :
le ciboire du Maréchal qui, sans traiter directement du rôle de Pétain montre l'existence de liens étroits avec Compostelle,
et sur le Matamore, saint Jacques, de l'apôtre au Matamore.