Institut recherche jacquaire (IRJ)

D’autres que Flamel sur le Chemin, étape n° 39


Rédigé par Denise Péricard-Méa le 25 Avril 2020 modifié le 26 Avril 2020
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Après l'étape 29 en compagnie de Nicolas Flamel, voici un de ses prédécesseurs,
Raymond Lulle, pèlerin de Compostelle qui, comme lui, fut déclaré alchimiste après sa mort et pour les mêmes raisons.



Raymond Lulle

Raymond Lulle (1232-1316),  fut élevé à la cour de Jaume Ier d’Aragon. Vers l’âge de trente ans, il se convertit, abandonne femme et enfants, pour se faire ermite et parcourir le monde afin de convertir toutes les religions à la sienne. Ce qui lui a valu pas mal d’ennuis.

Il a laissé une œuvre philosophique considérable. En 1311, il a dicté sa vie. Une image résume ses débuts, illustrant au XIVe siècle une anthologie de ses œuvres due à l’un de ses disciples.

Présentation de Raymond Lulle
Présentation de Raymond Lulle

Cette image  se divise en trois parties, conversion, pèlerinage à Rocamadour, pèlerinage à Compostelle, assorties chacune d’un texte sortant de la bouche du bienheureux.

Sa prière à saint Jacques

De son pèlerinage à Compostelle, subsiste une prière intéressante à un double titre : elle ne dit pas un mot d’alchimie et elle est l’unique prière adressée à saint Jacques par un pèlerin, au XIIIe siècle.  

« O saint Jacques et vous tous les saints de Dieu, je viens à vous pour vous prier en tant que votre pèlerin. Portez votre attention sur moi, enseignez-moi, et implorez pour moi auprès de Notre Seigneur Jésus-Christ et sa très sainte mère. Cependant selon leur vouloir, que, en vue de sa gloire et de sa louange, par la grâce de la sagesse infinie de sa générosité, comme par son instrument et lui-même agissant principalement, je puisse faire en tout comme en partie comme lui, d’où provient tout bien. Et que mon désir, s’il est bon, soit accompli, comme il a été dit, et si l’intention en est bonne, qu’elle ne soit pas privée de sa réalisation. Lui qui est la fin, pour qu’il soit aimé de tous les hommes raisonnables dans la vérité de son existence intrinsèque et extrinsèque et de son œuvre et que son mérite soit vénéré, qu’il soit béni, remercié et loué ».


Comme Flamel, alchimiste post mortem

Ce n’est qu’après sa mort qu’ont fleuri les pseudo-Lulle qui ont fait de lui un alchimiste ayant réellement accompli le Grand Œuvre. Ainsi, en 1655, le médecin du roi Pierre Borel, très érudit, auteur d’un Dictionnaire d’ancien français, rapporte en essayant d’y croire qu’il a vécu 140 ans. Il se trompe un peu dans ses calculs, mais prétend qu'il aurait transmis ses secrets à Jacques Cœur, qui y a gagné sa fortune

« Jacques Cœur selon quelques-uns avait vu Lulle. Cela semble impossible, mais selon la longueur de vie que quelques-uns attribuent à Lulle, Jacques Cœur en sa jeunesse le pourrait avoir vu, car Lulle vivait l’an 1337 et vécu 140 ans et Jacques Cœur vivait en 1453 ».

1453-1337=116 ans, ce qui laisse un peu de marge, sauf que Lulle est mort en 1313 et que Jacques Cœur en 1453 avait 58 ans et n’était plus vraiment un jeune homme. N’empêche, Borel rapporte tout ce qu’il a entendu dire :

« Ayant été rencontré par Raimond Lulle, Majorcain qui passa à Montpellier, et ayant fait connaissance et amitié avec lui, Lulle l’ayant jugé digne de son affection lui avait communiqué son secret de faire de l’or, duquel il avait enrichi son père qui en avait levé boutique à Bourges. Et ainsi feignant avoir fort gagné au commerce, avait couvert l’origine de sa richesse ».

La Maison du trésor à Montpellier où Lulle aurait pu rencontrer Jacques Coeur
La Maison du trésor à Montpellier où Lulle aurait pu rencontrer Jacques Coeur

Serait-ce dans cette " Maison du trésor " que Lulle aurait rencontré Jacques Coeur ? Même si on a du mal à croire que Borel n’a jamais su que Jacques Cœur était né à Bourges d’un père aisé, il écoute les racontars 

« J’ai ouï raconter à un vieillard de Montpellier l’histoire de Jacques Coeur d’une autre sorte, à savoir qu’il était natif de Poussan près de Montpellier qu’il avait été fort pauvre et, qu’ayant fait son apprentissage d’orfèvre, il n’avait pas eu de quoi lever boutique ».

Borel, impressionné par les sculptures qu’il lisait sur les murs de la grande Loge des marchands que Jacques Cœur avait fait construire, et sur celles de sa propre maison, est à la recherche de la richesse de Jacques Coeur
Et il les décrit longuement, comme le montre cet extrait :

« Et au troisième portal qui est celui du milieu, y a d’un côté un cerf qui porte une bannière et a un collier fleurdelysé environné d’une branche d’arbre qui représente le mercure ou matière des philosophes ».

Après Borel, ses affirmations sont répétées de proche en proche jusqu’au XXe siècle, jusqu’à une pièce de théâtre (confidentielle) jouée encore en 2016 !


Compostelle et alchimie

Derrière Flamel (étape 29) ou ceux que les siècles postérieurs ont enrôlés sous sa bannière, les alchimistes ou des adeptes de leur vocabulaire sont plus nombreux que jamais sur le chemin de Compostelle.  Ce chemin est pour eux, « une route alchimique ». Cherchant des symboles, des lieux, relisant d'anciens mythes, ils y sont pour comprendre le Grand Œuvre, la réalisation de la pierre philosophale.
Pourquoi sur ce chemin ?
Paru en 1590, le Discours d'autheur incertain sur la Pierre philosophale éclaire cette question par un échange entre deux philosophes, un Anglais et un Espagnol en présence de l'auteur anonyme peu versé en la matière et très sceptique.


L'avis des philosophes

Discours d'un autheur incertain
Discours d'un autheur incertain

Lors d'une rencontre fortuite, l'auteur apprend que pour le philosophe anglais, l'alchimie est

un art sacré de conception hautement spirituelle.
Intrigué, il se lance dans une recherche qu'il vit en rêves, traversant plusieurs étapes. Et, une nuit :
«…je me souvins de lʼEpître de saint Jacques :
- Tout bien nous venir et descendre du Père de Lumière… je dis en la sorte : O Lumière incompréhensible…conduis-moi et me gouverne…
- Et la foi sans les oeuvres est morte… je dis il est temps de travailler… et résolus de mettre la main à ce grand oeuvre… »
Ce faisant, il apprit
« - l’alchimie a un singulier pouvoir de médiation et de synthèse  ;
- elle [rassemble] autour de cet art les ennemis qui s’affrontent ;
- la quête de la pierre philosophale [c’est] alchimiser la Bible »
Et poursuivit sa vie autrement ...  


Ci-dessous un lien vers le texte de cet ouvrage pour ceux qui voudront dépasser ces notes sommaires

Et si vous en voulez une étude approfondie, un article de Didier Kahn est disponible sous ce lien.