Institut recherche jacquaire (IRJ)

Compostelle, l’imbécile et le philosophe


Rédigé par le 12 Avril 2015 modifié le 1 Février 2024
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Zoreilles, le bulletin des pèlerins de Compostelle a introduit une comparaison entre marcheur imbécile et philosophe. Elle nous a conduit à une réflexion sans prétention philosophique.



Un imbécile qui marche va toujours plus loin qu’un philosophe assis

Le numéro 51 du bulletin Zoreilles, publication consacrée au pèlerinage à Compostelle s’ouvrait sur une photographie surchargée de cet aphorisme.
Selon le dictionnaire de l’Académie française (1932-35), l’imbécile serait « peu capable de raisonner, de comprendre et d'agir judicieusement ». Les dictionnaires contemporains le disent « faible d’esprit, dépourvu d’intelligence, incapable ».
La définition du philosophe par sa pratique de la philosophie (étymologiquement l’amour de la sagesse) suffit pour imaginer ce vers quoi il tend.

Vers quoi va l’imbécile qui marche ?

Le contexte du bulletin permet de penser qu’il s’agit de marche vers Compostelle. Mais pourquoi ce bulletin spécialisé a-t-il fait l’hypothèse qu’il y a des imbéciles parmi les pèlerins de Compostelle ? Certes, la proportion d’imbéciles parmi les marcheurs est la même que dans tout autre échantillon d’une population, les coiffeurs, les restaurateurs, les retraités ou les lycéens, les historiens, voire même les philosophes. Cette explication basée sur la statistique pourrait suffire s’il était avéré qu’un imbécile qui marche va plus loin qu’un marcheur sain d’esprit. Sans information sur les capacités respectives des imbéciles et sains d’esprit quant à la marche, faisons l’hypothèse qu’ils marchent en moyenne au même pas. Elle permet de conclure que « tout pèlerin de Compostelle va toujours plus loin qu’un philosophe assis », donnant ainsi une portée plus générale à l’aphorisme. Admettant que le philosophe tend vers la sagesse, nous sommes conduits à une nouvelle question.

Vers quoi tend le pèlerin de Compostelle ?

La réponse devient plus aisée car la documentation permet rarement de distinguer le pèlerin imbécile du pèlerin normal. Le meilleur moyen pour répondre à cette question n’est-il pas en effet de consulter les documents, blogs, sites et récits rendant compte de leur expérience ? Que nous apprennent-ils ?

- La première constatation est que le pèlerin de Compostelle va plus loin dans l’abondance des publications. Impossible de dénombrer les livres, sites ou blogs relatifs à Compostelle. La production des pèlerins de Lourdes est bien moindre que la leur pour un nombre de pèlerins bien supérieur.
- Ces publications font penser à ce que disait Joseph Folliet des récits de prisonniers après la seconde guerre mondiale : « d’autant plus denses que la captivité avait été courte ».
- Le pèlerin de Compostelle va toujours plus loin dans l’exagération dans tous les domaines.
Il n’a pas son égal pour transformer une marche de quelques jours en aventure extraordinaire ni pour en souligner l’importance et les difficultés. Le pèlerin fatigué par l’étape parcourue est dit « exténué » quand il arrive au gîte.
La moindre rencontre est qualifiée de « merveilleuse », et pour beaucoup, les surprises et imprévus du chemin sont appelées miracles.
Untel qui a commencé le chemin en 2010 trouve dès 2014 qu’il a « perdu son âme ».
- Le pèlerin de Compostelle se complaît à « mettre ses pas dans ceux des pèlerins médiévaux ». Il va plus loin dans la croyance et se comporte vis-à-vis du pèlerinage comme l’homme médiéval vis-à-vis des reliques, pour lui « la partie vaut le tout ». N’entend-on pas dire « J’ai fait Compostelle du Puy à Conques » ?
- Il va plus loin aussi dans l’acquisition de connaissances historiques. Aucun pèlerin de Lourdes ne rentre en racontant l’histoire des apparitions, mais rares sont les pèlerins de Compostelle qui n’exposent pas l’histoire de saint Jacques et du pèlerinage à leur retour.

29000 questions/réponses parfois inquiétantes

Mais s’agissant d’imbécillité, ce forum montre un phénomène inquiétant : parler de Compostelle nuit aux facultés mentales. Des personnes apparemment saines d’esprit se manifestent comme « peu capables de raisonner, de comprendre et d'agir judicieusement ». L’un qui marche régulièrement s’interroge sur le choix de chaussures adaptées au chemin de Compostelle. Un autre qui avoue « crouler sous la masse d’informations qu’on trouve sur le net » demande des conseils supplémentaires à des pèlerins avisés. Une future pèlerine écrit « Je pars faire ce pèlerinage durant 10 jours ! J’ai opté pour la via podiensis. Mais de chez moi, le Puy est très très mal desservi et les trajets très chers. Il serait plus facile de partir de Conques. Est-il dommage de prendre le chemin en cours de route ? ». N’est-elle pas victime de tout ce qu’elle a lu sur Compostelle ?

La responsabilité des Médias

Les Marronniers
Les Marronniers
Cette dernière remarque introduit une troisième dimension dans l’étude de l’imbécillité éventuelle des pèlerins de Compostelle. Les éditeurs des publications relatives à Compostelle ne tendent-ils pas eux-aussi à considérer les pèlerins comme des imbéciles ? Ils répètent d’année en année les mêmes informations qu'ils prétendent être historiques, sans tenir compte de l’évolution des connaissances, ils indiquent par le menu le contenu du sac, définissent l’itinéraire dont certains pèlerins ensuite n’oseront plus s’écarter, décrivent des pratiques prétendues traditionnelles qui s’imposeront aux pèlerins, reproduisent sans la moindre critique toutes les publicités galiciennes. Mais il faut constater qu’ils sont encouragés en cela par certaines associations.
Parmi ces publications figurent malheureusement les marronniers des publications chrétiennes qui n’hésitent pas à reproduire des articles d’une année à l’autre sans même consulter leurs auteurs sur d’éventuelles mises à jour.
Un exemple récent de la façon dont sont traités les pèlerins par la Presse est fourni par le magasine La Marche de l’histoire qui a publié un numéro spécial sur les chemins de Compostelle dont les textes sont d’une nullité consternante que la qualité des illustrations ne saurait racheter.

Des décisions politiques génératrices d'imbécillité

En conclusion, la vraie question n’est pas de savoir si le marcheur va plus loin que le philosophe ni de juger des capacités mentales des pèlerins. Elle est de nous interroger sur les raisons qui ont fait des chemins de Compostelle une grande scène de théâtre tragi-comique aux multiples acteurs. Notre conclusion est que la promotion de ces chemins faite d’abord par le Conseil de l’Europe puis par l’UNESCO a dérangé bien des esprits. Non pas des esprits de marcheurs ou de philosophes mais des esprits cherchant à exploiter ces chemins pour des raisons politiques ou économiques, à leur bénéfice ou à celui de leur région. On ne saurait le reprocher à la Galice. Il est regrettable qu’en France existent encore, comme au milieu du siècle dernier, des promoteurs d’une vision de Compostelle qui maintient le public dans l’ignorance ou entretient sa naïveté.
Quant à la politique du ministère de la Culture, dont les fonctionnaires se montrent imperméables à l'histoire, elle contribue sûrement plus au tourisme administratif qu'à l'amélioration des connaissances du public.