D’une guerre à l’autre
Au début de la guerre civile, les Français en Espagne se voulurent neutres et obéirent aux règles du gouvernement espagnol légitime, bien que leurs opinions politiques personnelles soient parfois divergentes. Ceci n’empêchant pas des contacts officieux du gouvernement français avec les nationalistes espagnols, dès 1937.
La guerre a interrompu les activités du « Comité France-Espagne » de 1934, malgré les efforts de Jean Babelon et Jean Camp de fonder un Centre Cervantes. On leur a bien sûr reproché leur soutien des Républicains.
Le comité de rapprochement franco-espagnol de 1920 renaît en 1938, utilisant, comme celui de 1934, le nom de « Comité France-Espagne » mais toujours avec l’amiral Lacaze comme président. Deux personnes en furent les chevilles ouvrières ; en France, le secrétaire général, Charles Pichon, journaliste spécialiste des questions religieuses, pour qui la « commune catholicité » pourrait être un terrain sur lequel bâtir de nouvelles relations après la fin de la guerre civile ; et, en Espagne, Maurice Legendre, directeur adjoint de la Casa Vélasquez. L'abbé Jobit, professeur à l'Institut catholique, ancien membre de l'Ecole des Hautes Etudes Hispaniques, se joignit à eux.
Ce Comité fut placé sous le haut patronage des cardinaux français et fit des pèlerinages son cheval de bataille pour le rétablissement de relations apaisées entre les intellectuels de tous bords. Dès le mois d’août 1938, Maurice Legendre, pro-caudillo, obtint un sauf-conduit pour un pèlerinage de 190 Français , délégation reçue à la frontière par le général Moscardó, défenseur de l'Alcazar à Tolède en 1936.
Après Legendre, Pichon à Compostelle
Dans ce même été 1938, Charles Pichon, informé par Maurice Legendre, organisa un pèlerinage à Compostelle. 25 ans plus tard, en 1963, il en fit une relation enthousiaste dont sont extraits les passages en italique de la présentation ci-dessous.
« Je fus approché par des Français qui s’intéressaient sur le plan du tourisme à une reprise avec l’Espagne et qui se tenaient déjà d’ailleurs en relations avec la Direction générale du Tourisme du Gouvernement de Burgos »
Voici un bel exemple des relations officieuses entre nos deux pays. Le gouvernement franquiste fut reconnu par la France le 25 février 1939. Le 2 mars, le maréchal Pétain fut nommé ambassadeur de France en Espagne.
Sans donner de détails, Pichon indique que « Débarrassé des soucis financiers, il put s’appliquer à préparer le plan du prochain pèlerinage et à en recruter les pèlerins ».
Le contexte et la suite du récit laissent penser que les relations avec Burgos ont su trouver le financement nécessaire, au moins pour la partie espagnole du voyage. Mais il restait une
Question primordiale : ouvrir la frontière qui se trouvait alors fermée des deux parts. Du côté espagnol, pas de problèmes car Burgos voyait sans aucun déplaisir cette visite imposante de catholiques français. En revanche, du côté français il y avait plus de difficultés étant donné la situation politique du moment. Et je pensais que la meilleure solution devait encore se trouver à l’archevêché de Paris ».
Le cardinal Verdier lui donna une lettre de recommandation qui lui permit d’obtenir les visas nécessaires, « sous la condition expresse que les pèlerins s’abstiennent en Espagne de toute activité politique ». Les pèlerins purent traverser la frontière.
« De l’autre côté nous attendaient sept cars orange récemment acquis par la Direction générale du Tourisme, avec celui qui devait pendant quinze jours nous conduire à travers la Péninsule, le Directeur lui-même. Dès Irun je compris quel accueil nous avait été préparé ».
« Irun était à cette date un pur décor, une ville de façades criblées de balles et dressées devant du vide ; d’ailleurs une partie de la population vivait dans les caves ».
A Irun, les pèlerins sont entrés dans un autre monde, le monde des vainqueurs. La cité porte les traces de la guerre. Avec quelle désinvolture ses façades sont-elles traitées de décor ! Ces drapeaux agités par les enfants sortaient-ils des caves ou leur avaient-ils été distribués ? Dans cette région du Nord particulièrement ravagée, les survivants sont-ils sortis spontanément de leurs caves ? Qui leur a demandé de faire honneur aux futurs touristes qui allaient ramener la richesse en Espagne ? L’ordre ne leur avait-il pas été intimé de recevoir joyeusement les arrivants, sous peine de représailles ? Pichon dit avoir compris cet accueil, comme il a compris la mise à disposition d'autocars depuis lesquels les bons pèlerins ont, innocemment, regardé le spectacle. Impossible de lire ce récit sans un serrement de coeur.
Entre Irun et Santander : Guernica
Comment ne pas penser à cette ville martyre ? Quelles purent être les pensées des pèlerins de 1938 dans les autocars passant non loin d'elle pour les conduire à Salamanque et Santander ?
A Santander, ville dévorée par des incendies, le clergé disait sa messe dans un garage et l’arrivée de nos 24 abbés, posa le problème imprévu des 24 autels à trouver dans l’instant. On les trouva (ou on les fit). Le clergé local y concourut de fort bonne grâce, heureux d’ailleurs de témoigner à des prêtres français une sympathie fraternelle ».
L'accueil fraternel du clergé est compréhensible.
Mais Charles Pichon a-t-il vraiment cru à la spontanéité de l'accueil populaire ?
La semaine prochaine :
Pichon et ses pèlerins à Compostelle.