Institut recherche jacquaire (IRJ)

Comment on écope d’un pèlerinage à Compostelle, étape n°12


Rédigé par Denise Péricard-Méa le 30 Mars 2020 modifié le 1 Avril 2020
Lu 546 fois


Au début du XXe siècle, des historiens belges avaient mis en lumière de longues listes de justiciables des Flandres condamnés au Moyen Age à des pèlerinages lointains. C’est pourquoi on lit encore que les honnêtes pèlerins risquaient de côtoyer de dangereux criminels condamnés à expier leurs crimes en effectuant des pèlerinages lointains. En réalité, ne sont lâchés sur les routes d’Europe que des fautifs ne mettant pas en danger la vie d’autrui. Et dans une proportion inférieure à 1% des sanctions prononcées.



Le portail, vestige de l'abbaye (Wikipedia)
Le portail, vestige de l'abbaye (Wikipedia)





En 1334, l’abbé de Neubourg près d’Hagueneau revendiquait des terres situées sur les villages Uhlwiller et Altorf, contre l’avis des habitants qui avaient porté plainte. Ils proposent au saint homme de prêter serment que ces terres sont vraiment les siennes. S’il y consent, ils retireront leur plainte. L’abbé accepte, arrive en procession à la limite des champs volés. Il pose sa main sur sa tête et jure sur le Créateur qu’il se trouve bien sur les terres de l’abbaye.
S’en est fait, les paysans sont prêts à repartir tête basse quand surgit un valet de l’abbaye. Il se jette sur l’abbé. Il lui arrache son couvre-chef d’où s’échappe une louche puis  le renverse et le déchausse. De ses souliers s’échappe de la terre de son cloître. Le valet hurle :
« voyez comment il était sur sa propre terre ! »
Sacrilège !
L’abbé avait prêté serment sur le créateur (Schöpfer) en mettant sa main sur une louche (Suppenschöpfer), jurant qu’il était sur la terre de l'abbaye dont il avait empli ses souliers !
Les paysans sont pris d’une rage folle et le tuent.
C’est ainsi que l’on raconte l’histoire en Alsace.

Les pauvres ont toujours tort

Aucune source n’atteste le serment demandé mais le meurtre (3 janvier 1334) est un fait historique, il s’agit de Bertolt, abbé depuis le 10 novembre 1331. L’affaire fit grand bruit, d’autant plus qu’il existait à l’époque de nombreux soulèvements paysans. Plainte est portée auprès du tribunal ecclésiastique et de celui de l’Empereur. L’Empereur convoque un bailli et quatre arbitres (deux chevaliers pour l’abbaye, deux citoyens de Haguenau pour les villages). Avec un jury pareil il n’est pas étonnant que l’abbaye ait été déclarée propriétaire. Les paysans furent déboutés. La peine fut lourde et exemplaire :

- Tous les hommes de plus de 20 ans présents le jour du meurtre devront, un dimanche avant le Carnaval, faire un pèlerinage à Strasbourg (à 40 km), tête nue, pieds nus et en chemise de pénitent. De très bonne heure le matin, chacun portant un cierge d’une livre, ils devront faire le tour extérieur de la cathédrale et, à l’intérieur, faire une offrande à Notre-Dame.

- Dans l’année qui suivra, pour le repos de l’âme de l’abbé, les trois auteurs du crime partiront en pèlerinage à Rome et resteront bannis du diocèse jusqu’à autorisation du nouvel abbé.

- Deux complices partiront à Rome puis à Saint-Jacques et resteront bannis un an.

- L’abbé recevra un impôt annuel de 100 quarts d’avoine, appelés « avoine du meurtre ». Plus tard, les deux paroisses ont planté une croix à cet endroit et c’est là que fut perçue la redevance.
Reste à savoir si l’âme de l’abbé a bien trouvé le repos. S’il l’a trouvé, ce n’a pas dû être le fait des prières sincères des condamnés…

Une question aux lecteurs

Comment l'abbaye de Neubourg avait-elle l'heure de Compostelle ?
Un article de la revue SaintJacquesInfo vous orientera :
lire ici et maintenant
 
Pour en savoir plus avec le site du patrimoine :
Robert de Cassel, un pèlerin pénitentiel

***
 Demain, poisson d’avril, les dangers du pèlerinage.