Institut recherche jacquaire (IRJ)

Chemins de Compostelle et Patrimoine mondial

Le subterfuge d'un dossier politique


Rédigé par le 16 Décembre 2012 modifié le 1 Février 2024
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L'inscription des chemins de Compostelle au Patrimoine mondial est bien résumée par cette opinion d'un fonctionnaire proche du dossier "L'Espagne avait triché pourquoi pas nous ?". Pour éviter que l'UNESCO ne se pose la question d'une désinscription, il ne suffit pas d'apposer des plaques ou planter des clous. Il faut une vision et une volonté. La Fondation propose la première, elle ne peut imposer la seconde à des administrations qui ne pensent que gestion et non animation.



Ypassaientparlà

Pour la demande d’inscription, un important dossier a été établi par le ministère de la Culture avec l’appui des DRAC et de rédacteurs anonymes. Son argumentaire est oublié, seules des plaques-souvenir apposées sur les monuments qui jalonnent ces chemins répètent en chaque lieu un contenu identique. Devant ces plaques, les discours des guides sont souvent réduits à leur plus simple expression : Ypassaientparlà, « Y » désignant les cohortes de pèlerins de Compostelle venues du fond de l’Europe se dirigeant vers l’Espagne pour vénérer le tombeau de saint Jacques. Discours stéréotypé, figé, inadapté et trompeur.

Un dossier volumineux et beaucoup de questions

Chemins de Compostelle et Patrimoine mondial
Le processus et les modalités de cette inscription sont méconnus en dehors de quelques spécialistes. Ils intéressent cependant les collectivités publiques responsables de ce patrimoine  et les médiateurs  appelés à l’expliquer aux touristes. Il est important de leur apporter des informations sur cette inscription et d’expliquer la présence de tel ou tel monument autrement que par le passage de pèlerins hypothétiques.
Cette inscription pose en effet plusieurs questions. Qui a défini les chemins et leurs tracés ? Selon quelle cartographie ? Qui a choisi les monuments-balises ? Sur quelles bases ? En quoi ces chemins ont-ils répondu aux critères d’inscription ?  Le livre Chemins de Compostelle et Patrimoine mondial, publié en 2010, explique qu'à défaut de pouvoir faire inscrire ces chemins qui ne correspondaient pas aux critères de l’UNESCO, les promoteurs du projet ont fait preuve d’imagination en présentant 71 monuments et 7 tronçons du chemin du Puy.  Il montre par quel artifice il a été donné suite à l’objectif initial, caricaturalement résumé ainsi par un acteur de la constitution du dossier : « de quoi aurions-nous eu l’air vis à vis de l’Espagne ? »
De fait l’étude des archives laisse voir en filigrane le poids de l’Espagne dans ce dossier car les « innombrables pèlerins » mentionnés dans la décision de l’UNESCO sont en réalité nés de l’armée nationaliste espagnole, celle de Franco.

Aux origines, le poids de l'Espagne de Franco

Avant d’être classés au Patrimoine mondial de l’UNESCO, les chemins de Saint-Jacques ont été déclarés par le Conseil de l’Europe « premier Itinéraire culturel européen » en 1987. Cet acte fut lui-même l’aboutissement d’un long processus qui, pour être compris, demande un retour d’une soixantaine d’années en arrière, au temps où saint Jacques, le doux apôtre, avait repris en main son épée pendant la guerre civile espagnole. De Matamoros, il était devenu Matajoros, le tueur de Rouges qui, du haut de son cheval, piétinait les Républicains. Il a été le soutien des jeunes combattants nationalistes qui se réclamaient de lui, saint « patron invaincu des Espagnes, irrésistible vainqueur de Clavijo » dont les victoires « proclament la supériorité de l’étendard sur les bannières rouges du marxisme ». Ils offraient leurs vies au cri de Dios ayuda, y Santiago ! « Dieu nous aide, et saint Jacques ! », se sentant les « continuateurs de l’histoire de l’Espagne ». La paix revenue, saint Jacques est resté la figure tutélaire du régime de Franco, Galicien de surcroît, placé sous la protection du saint pour qui l’Espagne était avant tout un Etat catholique à l’exclusion de toute autre religion. 

Ouvrir le chemin de Compostelle au-delà du rideau de fer

Passée la seconde Guerre mondiale, l’Espagne sortit progressivement de l’isolement dans lequel l’avait plongée la dictature. Saint Jacques, redevenu pèlerin, devint un auxiliaire précieux au service de l’intégration de l’Espagne dans l’Europe. Attirer des pèlerins à Compostelle devint un enjeu politique. Le 25 juillet 1948, —jour de la fête de saint Jacques— Franco exprimait à Compostelle le vœu que « le chemin de Saint-Jacques s’ouvre au-delà du rideau de fer ». Dans l’été de cette même année, il favorisa un pèlerinage international organisé par les jeunes de l’Action catholique espagnole. La réponse du monde catholique fut enthousiaste, Compostelle brillant plus que jamais dans son imaginaire, après les années sombres. L’année sainte 1954 vit arriver à Compostelle un pèlerinage européen initié par Pax Christi où figuraient, parmi les personnalités, Bernard Lafay, président du Conseil municipal de Paris.
L’Espagne se vit refuser l’entrée au Conseil de l’Europe jusqu’en 1977 et dans la CEE jusqu’en 1985. Pendant toutes ces années, tout fut mis en œuvre pour valoriser le pèlerinage à Compostelle. Les préparatifs de l’Année sainte 1965 ont commencé dès 1962, avec la revalorisation du camino francés, promu au rang de « patrimoine historique national ». Un article du Diaro de Burgos du 24 mai 1965 résume les ambitions espagnoles. Intitulé « Une Europe par saint Jacques » il analyse les ambitions d’une certaines jeunesse européenne qui souhaitait venir à Compostelle en pèlerinage et espère que ce rapprochement aidera à l’intégration de l’Espagne dans l’Europe, cette Espagne, déplore-t-il « condamnée à l’isolement par l’Europe ».
Dès lors on comprend mieux l’activité déployée par les Espagnols dès leur entrée au Conseil de l’Europe. Elle aboutit, en 1987, à la définition du Premier Itinéraire culturel européen, magnifique couronnement de tant d’efforts soutenus en particulier par une association française. Tout le reste en a découlé.

L'Espagne avait triché pourquoi pas nous ?

Suite logique des longues années de politique en faveur de Compostelle, en 1993, année sainte, l'Espagne obtient le classement du Camino francès au titre « d’un paysage culturel linéaire continu qui va des cols des Pyrénées à la ville de Saint-Jacques-de-Compostelle » ; en outre 166 villes ou villages et plus de 1800 bâtiments allant du XIIe au XXe siècle et une bande de trente mètres de part et d’autre du chemin ont été inscrits. Qui peut véritablement croire que tout cela répond vraiment aux critères de l'Unesco ? Le commentaire d'un haut fonctionnaire français qui sert de titre à ce paragraphe illustre bien l'ensemble de cette question.
Mais il fallait davantage à l’Espagne, elle souhaitait étendre ses chemins à toute l’Europe, en commençant par la France, pays de passage obligé.
En France, la situation était très différente. L’Espagne avait su faire admettre l’existence d’un « paysage linéaire continu ». Aucun chemin français ne pouvait être présenté comme tel. De plus, malgré la légende de Charlemagne, Compostelle n’est pas un élément important dans l’histoire de France. Mais, l'insistance de l'UNESCO et la persévérance d’associations intéressées à des titres divers au développement du pèlerinage ont conduit le Ministère de la Culture à prendre des initiatives, d'abord au prétexte que « les pays limitrophes de la France attendent que nous ayons déposé notre proposition pour déposer la leur » puis en évoquant une « proposition commune à certains pays européens de faire inscrire des édifices situés sur les chemins de Saint-Jacques de Compostelle, à l’image de l’Espagne » qui ne se concrétisera jamais ! .
Faute de pouvoir présenter des chemins, il inventa des « monuments-jalons », choisis parmi les Monuments historiques dont la conservation était assurée. Une première liste ne comptait pas moins de 800 monuments et 1500 km. de chemins. Les ambitions furent revues à la baisse en plusieurs temps pour aboutir en 1997 à proposer 71 monuments et 7 tronçons du chemin du Puy.

71 monuments disparates qui laissent perplexe

La liste des monuments retenus se compose de
  • 12 cathédrales ou anciennes cathédrales
  • 11 abbayes ou anciennes abbayes
  • 30 églises, dont une paléo-chrétienne (basiliques, collégiales, priorales, paroissiales)
  • 4 églises Saint-Jacques, mais ce vocable n’est pas évoqué pour Cotdoussan et celle de Paris n’a plus que son clocher
  • 5 hôpitaux dont 3 Saint-Jacques (incluant celui du Puy qui n’eut jamais ce vocable, pas plus hier qu’aujourd’hui)
  • 7 ponts dont 4 dans l’Aveyron
  • 1 porte Saint-Jacques
  • 1 dolmen
Comment a-t-on pu croire et faire croire que des cathédrales, sièges épiscopaux, des abbayes, des églises paroissiales aient pu être « parfaitement attestés comme appartenant au pèlerinage jacquaire » ? Aucun document n’atteste qu’un évêque ait jamais fait construire une cathédrale pour le pèlerinage ! Nombre de services de la DRAC se sont posé des questions ! Mais seul le directeur de la DRAC de Paris a refusé de se prêter au jeu.
La majorité des édifices retenus n'a rien à voir avec Compostelle et les justifications produites pour les rattacher à l'un ou l'autre chemin contemporain se réduisent le plus souvent à l'affirmation que « les pèlerins passaient pas là ». On retrouve là l’origine du discours stéréotypé des guides.
D’où une grande perplexité à la lecture du dossier. Elle conduit à se demander si tout n’était pas joué d’avance et donne une grande force à l'dée qu'il s'est agi d'un dossier politique ayant bénéficié d'un concours de cirsonstances favorable.
Localisation des 71 monuments inscrits au titre des chemins de Compostelle. Les 4 chemins n'apparaissent pas clairement
Localisation des 71 monuments inscrits au titre des chemins de Compostelle. Les 4 chemins n'apparaissent pas clairement

Des expertises rapides

Cette liste a été validée par des experts de l’ICOMOS qui sont passés dans chaque lieu. Pour y constater quoi ? Qu’il s’agissait de monuments historiques en bon état et dont la conservation était assurée ? Sans doute. Pour le reste qu’ont-ils pu percevoir ? Leur emploi du temps était très chargé si l’on en juge par celui-ci qui inspecte en Languedoc-Roussillon le 7 février 1998, en Auvergne le 8, en Midi-Pyrénées les 9-10 février, en Aquitaine le 11, en Poitou-Charente le 12, en Limousin le 13. Dans la seule journée du 12 en Poitou-Charente, il a « souhaité visiter » le passage des pèlerins à Pons à 9h30, l’église Saint-Eutrope de Saintes de 10h30 à 11h, l’ancienne abbaye de Saint-Jean d’Angély à 12h30, l'église Saint-Pierre d’Aulnay à15h, l'église Saint-Hilaire de Melle à 16h et l'église Saint-Hilaire de Poitiers à17h. On comprend dans ces conditions que les rapports d’inspection ne figurent pas dans les dossiers et soient déclarés secrets.

Une base historique inexistante

Du point de vue historique, l'ensemble du dossier français repose sur deux postulats des érudits du XIXe siècle qui n'ont jamais été vérifiés parce qu'admis comme des croyances fortes : les routes médiévales étaient parcourues par des foules de pèlerins et tous ces pèlerins allaient à Compostelle. Pas plus que les autres les experts de l'UNESCO, dont certains étaient pourtant étrangers à la culture européenne n'ont remis en question ces affirmations. Le tout est authentifié par les plaques de marbre apposées sur les monuments classés « au titre des chemins de Compostelle ». Les monuments distingués perdent leur identité propre et sont réduits au rôle de balises des chemins.

Comment utiliser ce classement prestigieux ?

Ce qui est fait est fait, même si cela a été mal fait. L'UNESCO devait en principe faire une évaluation périodique qui n’a jamais fait la une des journaux et dont nous n’avons pas pu avoir communication dans le cadre de notre recherche.
Fort heureusement, il n’est pas possible de faire en France ce qu’a fait l’Espagne de son camino francés, une autoroute à pèlerins. Alors que faire ? Maintenant qu’il est obtenu, ce classement, source de bénéfices plus ou moins importants selon les lieux, doit être utilisé au mieux. Plutôt que poser des plaques qui sont périodiquement volées, ou fabriquer des ronds-points d’un goût douteux et d’un prix astronomique, il serait sans doute plus judicieux d’oeuvrer dans la ligne définie par le critère III de l’UNESCO, qui, curieusement, n’a été pris en considération ni par le dossier français, ni par les experts de l’ICOMOS :

« Apporter un témoignage exceptionnel sur une tradition culturelle »
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Donner un sens à ce critère oublié.

Ce critère semble pourtant le seul pertinent. Son application permettrait de revenir au vœu exprimé dès 1984 par le Conseil de l’Europe : mettre en valeur le patrimoine immatériel lié aux pèlerinages médiévaux dans leur ensemble, considérés dans leur symbolisme et non dans la matérialité de chemins dont l’historicité est indéfinissable. Ces sites représentent un patrimoine commun aux pays européens qui n'est pas celui retenu par les experts de l'ICOMOS. Ils sont les éléments d’un patrimoine immatériel qui mériterait d'être mieux connu et présenté. En partant de là, des liens autres que la géographie de chemins hypothétiques, pourraient exister entre les sites classés au titre des chemins de Compostelle.
 Malheureusement, depuis 1998, rien d’autre n’a été fait que poser des plaques et depuis peu des clous de bronze dans les traversées des villes. Aucun effort pour relier entre eux ces sites autrement qu’en balisant des chemins. Aucun investissement intellectuel pour permettre à leurs responsables de parler intelligemment les uns des autres en sachant se positionner autrement que comme des lieux de passage. Ils s’ignorent mutuellement et refusent tout naturellement des tutelles imposées de l’extérieur. Internet peut offrir aujourd’hui une solution économique : l’ouverture d’un site commun à tous permettrait à chacun de se présenter, de pointer les similitudes et les différences, d’annoncer à tous chaque manifestation dans chaque lieu, d’informer le public de l’existence de cette communauté, etc. Bref, de se connaître, se faire connaître et dialoguer.
Chemin marqué dans les rues de Bordeaux
Chemin marqué dans les rues de Bordeaux

Une proposition de la Fondation

En préalable, il appartiendrait à chacun de se définir. La Fondation David Parou Saint-Jacques propose de travailler autour de six thèmes qui se dégagent de l’examen des caractéristiques de  chacun des sites et monuments choisis :
  • Les lieux ayant un lien avec Compostelle, même ténu ou légendaire
  • Les lieux témoins de dévotions locales à saint Jacques (reliques, œuvres d’art, églises ou quartiers)
  • Les lieux où apparaît saint Jacques passeur des âmes
  • Les sanctuaires locaux ayant mené leur vie propre
  • Les lieux d’hospitalité
  • Les lieux ayant vu passer des pèlerins historiques ou littéraires.
 
Ainsi ce « Bien Unique » défini à Kyoto pourrait-il acquérir progressivement les qualités aujourd’hui reconnues aux « biens en série », ce que les monuments jalonnant les chemins de Compostelle ne sont pas, répétons-le. Les très nombreuses collectivités concernées, qu’elles aient été citées dans l’inscription ou non se les approprieraient et leur donneraient une vie sur un chemin contemporain. Cette inscription serait alors pleinement justifiée et deviendrait inattaquable. Elle comporterait des biens matériels dans les témoignages mobiliers et immobiliers légués par les cultes à saint Jacques. Ces biens représenteraient le bien immatériel qu’est la tradition pèlerine, commune à toutes les religions, dont Compostelle est l’archétype. Chaque collectivité serait responsable de réunir les informations la rattachant à un ou plusieurs des six thèmes ci-dessus. Ces informations seraient mises à disposition de tous sur Internet, chaque lieu enrichissant les autres de son histoire personnelle.
Autour de ces thèmes, d’autres lieux non inscrits, mais tout aussi intéressants, pourraient s’agglomérer, sur les chemins de Compostelle ou en créant —dans l’esprit de Compostelle— des circuits à thèmes dans une Région ou entre Régions. Avec une aide extérieure limitée dont les recherches de la Fondation fournissent les bases, les responsables de chacun des lieux pourraient dépasser leurs frontières et créer une structure nationale autonome, libre de toute sujétion. La « méridienne des reliques de saint Jacques » que propose la Fondation David Parou Saint-Jacques à l’occasion de la commémoration nationale de 2013 (1200e anniversaire de la découverte du tombeau de saint Jacques) pourrait être le premier de ces circuits.
Ceci suppose l’appropriation collective de cette inscription prestigieuse avec la volonté d’en tirer parti. Sinon, le risque est grand de voir les plaques de marbre se couvrir de moisissures et d’oubli. Jusqu’à une désinscription collective par l’UNESCO enfin consciente de l’erreur commise ?


Commentaires articles

1.Posté par Jean-Marc LUCIEN le 17/12/2012 18:33

Tant que la dimension chrétienne du pèlerinage d'aujourd'hui (je dis bien aujourd'hui) n'est pas reconnue comme telle alors qu'elle est l'expression transmise par un nombre de plus en plus important de pèlerins qui s'arrêtent dans nos accueils, comment pouvoir travailler ensemble sur le sujet ?

2.Posté par fondation Ferpel le 18/12/2012 08:45

Franco était un grand chrétien. Nous avons souligné ce que le pèlerinage contemporain lui doit.
L'objet de l'article était de traiter du patrimoine mondial. Et quand nous invitons à reconnaître la valeur immatérielle du Bien nous avons bien en tête à la fois l'importance des pèlerinages chrétiens médiévaux et de la démarche pèlerine, quel que soit le lieu sacré qui en est le but.
S'agissant du pèlerinage contemporain, il est clair que le but est un sanctuaire catholique. Certains pèlerins y vont pour cela explicitement d'autres non. Tous font en chemin une expérience spirituelle. L'Eglise de France y voit un espace d'évangélisation dont nous ne nions pas l'importance. Dieu y reconnaîtra les siens il ne nous appartient pas de juger de la qualité de chrétien de tel ou tel. Jésus lui-même parlait à la Samaritaine.
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