Institut recherche jacquaire (IRJ)

Au Paraguay, un Matamore inattendu, lettre 171


Rédigé par Margaret Hebblethwaite le 16 Octobre 2023 modifié le 5 Février 2024
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Il y aura bientôt dix ans, une lectrice anglaise a lu sur notre site Internet une phrase qui l’a poussée à réagir. Retrouvée, elle m'a communiqué des informations qui forment le coeur de cette lettre.



Au départ le commentaire d’un article

 
En parlant de l’image de saint Jacques Matamore, j’avais écrit : 
« L'image traverse l'Atlantique avec les Conquistadors et saint Jacques devient le MataIndios ».
Elle contestait : 
« je ne peux pas faire de commentaires sur d'autres lieux, mais cela ne concerne pas Santiago, au Paraguay* ».

​*

Le Paraguay est situé au centre de l'Amérique du Sud, entouré par l'Argentine au Sud et dans sa moitié Ouest, la Bolivie à l'Ouest et au Nord, le Brésil à l'Est. Il n'a pas d'accès à la mer.
Misiones et Santiago sont situés au Sud-Ouest

Un commentaire heureusement retrouvé

Elle avait mis son commentaire sur Facebook le 7 décembre 2014 et je ne l'ai trouvé que... le 2 janvier 2022 Mais l'historien s'accommode du temps long plus que le journalise et je lui ai écrit..
Miracle (de saint Jacques ?), elle m'a répondu immédiatement.
Elle se présentait sobrement : 
« Je suis anglaise et je vis au Paraguay dans une ancienne « réduction » (mission) jésuite appelée Santiago, l’une des villes du département qui porte le nom de Misiones, l’un des départements qui forment la république du Paraguay. Ce département est très marqué par les anciennes missions jésuites qui ont été centrées dans cette zone entre 1669 et 1768.
La ville de Santiago a été fondée sur le site actuel en 1669 (elle a changé son nom de San Ignacio Caaguzu, lorsqu'elle a été déplacée de son site précédent plus au nord, car il y avait déjà un San Ignacio à proximité). Aujourd'hui, les habitants actuels connaissent très peu les Maures ou les musulmans, bien que l'on puisse trouver quelques musulmans à l'extrême est du pays ».

Une correspondante bien informée

Elle signait Margaret Hebblethwaite.
Google eut tôt fait de donner des précisions. Margaret Isabella Mary Hebblethwaite a étudié la théologie et la philosophie à Oxford et à Rome. En 1974, à Oxford elle a épousé Peter Hebblethwaite qui avait été Jésuite pendant dix ans avant de quitter la Compagnie de Jésus. Ils ont eu trois enfants. Peter est décédé en 1994. Très impliquée dans la vie religieuse, elle a également été journaliste. En 2000, elle est partie comme missionnaire et enseignante indépendante au Paraguay où elle œuvre dans le domaine de l’éducation. Elle a rencontré le pape François à Buenos Aires.
C’est avec un intérêt supplémentaire que j’ai reçu les informations surprenantes qu’elle donnait sur la présence eurnous n’avions pas imaginé en protecteur des Indiensopéenne en Amérique centrale et sur le Matamoros qui n'apparaissait tel que nous l'avions imaginé …
J’avais eu quelques informations sur le fait que le saint avait été plus ou moins transformé en dieu indien en Equateur, mais ici, c’était encore une autre histoire...

Je lui ai ensuite demandé de bien vouloir écrire une lettre « pèleriner informé ». Mais, très occupée comme on peut l’imaginer, elle m’a simplement envoyé cette courte réflexion qui donne envie de se plonger dans l’histoire des Jésuites outre-Atlantique.
Avec François de Tours, nous les avions déjà vus en Asie du Sud-Ouest en lutte avec les Capucins . Celui-ci les trouvait beaucoup trop proches des indigènes. On les voit à l’œuvre ici dans leurs manières « paisibles » d’évangéliser.

Voici les informations données par Margaret.

L'évangélisation à la mode jésuite au Paraguay

La statue ancienne
La statue ancienne
« Ici, à Santiago, nous avons une statue en bois de cèdre sculptée à ces époques. Elle représente Santiago Matamoros avec trois Maures vaincus piétinés par son cheval. Et cette statue est honorée lors de la fête patronale de la ville. Ces dernières années, il a été décidé de ne plus transporter les précieuses statues anciennes lors de la procession, afin de ne pas les endommager. On a donc fabriqué une copie plus légère, en métal, et plus compacte. Elle est conservée dans l'église, sur le côté gauche, près de l'entrée. Comme vous le voyez, elle est bien inférieure à l'original.
 
Ici, personne n’a conscience d’une quelconque offense et les Maures ne sont pas cachés. Pourquoi ? Lorsque les Jésuites ont commencé leur mission dans ce qu'ils appelaient alors la Provincia Paracuaria (qui comprend l'actuel Paraguay) en 1609, ils ne sont pas arrivés en conquérants : ils furent invités par le « cacique » Guarani Arapysan (chef indien). 
Il avait besoin de leur aide pour garder les Guarani à l'abri des attaques des marchands d'esclaves portugais (bandeirantes, venant du Brésil) et aussi, paradoxalement, de colonisateurs espagnols installés à Asuncion et dans les environs. Les Jésuites ont accepté et contrôlé la présence des Européens dans la région. A moins d’être Jésuites, ils ne pouvaient séjourner que pendant un nombre très limité de jours et à des fins commerciales n’ayant rien à voir avec des pillages.

Et Margaret fait comprendre que les Jésuites ont, eux aussi, eu besoin de saint Jacques dans les combats qu’ils menèrent. Les personnages tués par saint Jacques ressemblent à des Maures, et non à des Portugais ou des Espagnols parce qu’ils ont copié les statues espagnoles. Ils ne peuvent certainement pas ressembler à des Indiens. On peut comprendre le parallèle entre ces deux utilisations du Matamore car les attaques des bandeirantes ont été une menace constante jusqu'à leur défaite par les Guaranis lors de la bataille de Mborore en 1641. Mais il est également vrai que les Guarani avaient aussi subi les attaques d'autres tribus indigènes, les Guaycurus et les Mbayas. 
 

L'étude des représentations et des utilisations du Matamore n'a pas dit son dernier mot. A la veille de la seconde rencontre internationale des associations jacquaires, parlant au nom des fondateurs de l'Institut de Recherche Jacquaire-IRJ, je vous assure que nous sommes prêts à animer un travail collectif sur ce thème.

Denise Péricard-Méa
présidente scientifique de l'IRJ