Institut recherche jacquaire (IRJ)

Départ en voyage de Jean de Berry


Rédigé par Janine Michel le 22 Janvier 2011 modifié le 24 Janvier 2024
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Les très nombreuses sculptures, fresques, peintures murales, tableaux qui ornent les édifices religieux ainsi que les illustrations des documents et particulièrement les miniatures des manuscrits constituent un sous-ensemble particulièrement important du patrimoine mobilier. L'article ci-dessous en donne un exemple.



Doctorante suivie par la Fondation, Janine Michel a obtenu récemment un doctorat d’histoire, textes et documents à l’EPHE-Sorbonne. Ses recherches ont porté sur l’iconographie des pèlerins et pèlerinages du XIe au XVIe siècle. Elle a constitué un corpus d’images très documenté qui renouvelle l’information sur ce patrimoine.
Nous lui avons demandé de présenter une image extraite du chapitre de sa thèse consacré aux rois et princes représentés en pèlerins. Cette image remarquable par son esthétique est aussi l’une des plus énigmatiques qu’elle a rencontrées. Elle représente le duc Jean de Berry partant en voyage. Mais de quel voyage s’agit-il ?

 
Les Petites heures de Jean de Berry, folio 288v, (Paris, BnF, ms latin 18014)
Les Petites heures de Jean de Berry, folio 288v, (Paris, BnF, ms latin 18014)

Une prière accompagne cette miniature

Cette miniature a été ajoutée au manuscrit vers 1412 par un des frères de Limbourg. Les frères Paul, Herman et Jean de Limbourg comptent parmi les artistes les plus connus de tous les temps. Après avoir été au service du duc de Bourgogne, Philippe le Hardi, ils passèrent vers 1408 au service du duc Jean de Berry et enluminèrent Les Belles Heures et une grande partie des Très Belles Heures du duc de Berry. Ils sont morts en 1416, peu avant Jean de Berry.

Jean de Berry (1340-1416) était le troisième fils de Jean le Bon, le frère de Charles V. En 1360 il reçut en apanage le Berry et l’Auvergne et prit le titre de duc de Berry. Ayant reçu une instruction remarquable, il aima toujours les lettres et les arts. Il avait une grande passion pour les manuscrits enluminés, il en achetait, s’en faisait offrir et en commandait. Il commanda Les petites heures en 1372, elles furent terminées en 1390. Mais ce n’est qu’en 1412, quatre ans avant sa mort, qu’il fit ajouter une prière à réciter avant de partir en voyage accompagnée de la miniature présentée ci-dessus.

Voici la traduction du texte de cette prière :
« "Office à réciter pour prendre la route avant de quitter sa maison, son domaine, sa ville ou quelque lieu."
"Que Notre Seigneur Jésus Christ dirige nos pas vers la voie de la paix, du salut et de la prospérité et que son bon ange nous soit envoyé pour diriger nos pas vers la voie de paix afin que tant dans l'aller que dans le retour nous soyons dans la joie et le salut. "
"Afin de donner la connaissance du salut à son peuple pour la rémission de mes péchés et par le corps miséricordieux de notre Dieu dans lequel il est descendu du ciel parmi nous, illuminer les jours qui demeurent dans les ténèbres et dans l'ombre de la mort pour diriger nos pieds vers la voie de la paix.
Gloire au Père, au Fils et au Saint Esprit." »

Vers où le duc dirige-t-il ses pas ?

Le duc de Berry s’est fait représenter quittant à pied son château. Il semble partir en pèlerinage : il porte un bourdon et un bourdon est brodé sur son manteau et sur le manteau de deux accompagnateurs. De quel pèlerinage s’agit-il ? La miniature ne peut représenter l’un des pèlerinages que le duc a accompli précédemment car, vu son rang, il y serait parti à cheval.

Dans la lunette un ange, aux couleurs roses, blanches et noires, le protège et lui indique le chemin. Les vêtements de l’huissier qui précède le groupe reprennent les mêmes couleurs, son geste de la main reprend celui de l’ange ; il semble être un envoyé de Dieu, chargé de guider le duc âgé, dont le regard et l’index montrent la soumission.

Le texte de la prière parle de l’aller et du retour du voyageur. Mais la date de réalisation de cette miniature et son ajout aux Petites heures douze ans après leur réalisation suggèrent une autre interprétation. Jean de Berry n’a-t-il pas voulu par là manifester qu’il se préparait au départ pour son dernier voyage, vers la Jérusalem Céleste ?