Institut recherche jacquaire (IRJ)

Ubérisation des chemins de Compostelle


Rédigé par François Rouzier le 6 Janvier 2017 modifié le 1 Février 2024
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L’auteur, ancien ingénieur IBM parcourt les chemins de Saint-Jacques depuis bientôt 20 ans. Il a été témoin de l’arrivée des nouvelles technologies de l’information dans la planète Jacquaire : Smartphone, tablette, sites internet ont bousculé le quotidien. Sur une inspiration de science-fiction, il imagine un monde où les pèlerins se compteront par millions tous les ans, obligés qu’ils seront d’avoir des activités physiques importantes. C’est alors que les géants du net vont intervenir pour s’occuper de ces nouveaux marchés. Tout va être révolutionné, le balisage, les gites, les hospitaliers et les associations de pèlerins n’y résisteront pas.
Cet article permet de prendre conscience des futurs possibles de nos chemins de Saint Jacques.
Que deviendra le pèlerin dans ces futurs environnements ?



Google et Apple

Ubérisation des chemins de Compostelle
Ces deux firmes proposent déjà l’objet qui demain sera indispensable au pèlerin. Il est dès maintenant la coqueluche des marathoniens qui avec lui, surveillent leurs performances en temps réel et, avec force détails, l’évolution de leur organisme tout au long de leurs 42 kilomètres de course. Je veux parler des montres numériques.
Quels services ces montres vont-ils  proposer aux pèlerins ?
Rappelons-nous : ces appareils sont connectés en permanence à Internet et au GPS ou Galileo. Des capteurs renseignent ces montres sur nos pas, nos pulsations cardiaques. Elles peuvent les envoyer à des sites de surveillance spécialisés qui les conserveront.
Voici de manière non exhaustive plusieurs services qu’elles peuvent nous proposer :
- la montre balise : plus besoin de cartes, c’est elle qui indiquera le chemin à suivre. A la façon des tableaux de bord des voitures, elle nous dira s’il faut tourner à droite ou à gauche, le chemin déjà parcouru et ce qu’il reste à faire ainsi que le temps que l’on mettra.
- la montre guide touristique : connectée à une banque culturelle numérique (comme celle de la fondation David Parou rachetée par Google), elle nous suggère des arrêts culturels et pourra même nous commenter en direct la visite d’une chapelle ou d’une cathédrale.
Cela risque au passage de rendre les balisages inutiles. On peut même imaginer que le balisage soit interdit au nom de la protection visuelle de la nature, les balises que nous connaissons étant déclarées polluantes. La FFRP serait alors interdite de balisage !!!
Il va de soi qu’avant de partir sur les chemins, le futur pèlerin, au lieu de regarder le poids de son sac, étudiera avec une grande attention les comparatifs des différentes montres conseillées en pèlerinage.
- la surveillance médicale : la fonction médicale de ces objets sera utilisée par nos mutuelles qui désireront encourager et contrôler les pratiques sportives supposées vertueuses. Elles iront jusqu’à proposer des rabais commerciaux en fonction du chemin parcouru.
Après les points du permis de conduire, apparaîtront les « points d’activités sportives » (les PAS) exigés pour exercer certains métiers ou par nos mutuelles pour obtenir des tarifs abordables. Cela fera une nouvelle raison pour aller pèleriner, ce qui précipitera des milliers de personnes sur les chemins tous les ans.  On se rappellera alors que c’est en 2015 que les médecins ont prescrit pour la première fois des activités sportives, entraînant les mutuelles et le ministère de la santé à encourager certaines de ces pratiques. De l’encouragement à la prévention puis de la prévention à l’obligation, la marche, largement citée pour ses vertus sportives, précipitera les populations sur les sentiers de randonnée.
Changement de taille annoncé, les pèlerins se compteront alors en millions.

 

Amazon

Ubérisation des chemins de Compostelle
Cette firme pourra nous livrer à n’importe quel comment, à n’importe quel endroit de nos pérégrinations  des petits objets grâce à sa flotte de drones de livraison.

Nous pourrons nous faire livrer un plateau pique-nique  ou mieux encore, une cape hermétique, car nous l’avons oubliée, juste avant l’arrivée de la pluie que notre montre vient d’annoncer.
Il en va de même pour les lunettes de soleil, les crèmes solaires, les pansements, les semelles anti frottement, les bâtons de marche ou les piles de rechange.
Au cours de notre progression, nous verrons en levant la tête tous les petits appareils de la firme au milieu des paysages que nous traversons. Romantique, non ?
En cas d’accidents, Amazon enverra un drone plus puissant capable de nous emporter sur une courte distance ou de nous rapatrier au nez et à la barbe des services de protection civile classiques. Dans cette fiction, on se demandera s’il convient de les conserver. Un détail : nous perdrons nos fameux PAS si nous les utilisons trop fréquemment...
 

FaceBook

Ubérisation des chemins de Compostelle
Nous marchons souvent avec les mêmes personnes : mêmes étapes, mêmes jours et heures de départ, nous nous glissons facilement dans un groupe, ce qui nous rassure un peu et générera par la suite de belles histoires humaines. A plusieurs nous sommes plus forts pour affronter les épreuves (bien que ce soit mieux, à mon avis, de partir seul). Dès les premiers kilomètres effectués sur le chemin, Facebook repèrera notre départ et en déduira notre projet. Le site nous proposera de rejoindre telle ou telle communauté de pèlerins actuellement en route selon notre niveau. Facebook  ayant repéré ce phénomène de communautés éphémères lorsque nous cheminons.
 

Facebook proposera d’amplifier numériquement ce phénomène. Le site nous invitera à nous inscrire dans une communauté de marche et nous présentera chacun de ses membres avant même  que nous les ayons rencontrés. S’il existe plusieurs groupes marchant au même moment, nous pourrons faire notre choix avec plus de précision en consultant discrètement les profils de chacun des membres. Tranquillisant, non ? Pas de surprises, nul besoin de parler, Facebook s’occupe de tout : âge moyen du groupe, comportement sportif, habitude de restauration, orientation spirituelle, tout sera présenté en détail avant notre adhésion. Couplé avec notre montre numérique, nous pourrons savoir où est chaque membre du groupe à tout moment et ainsi décider d’accélérer ou au contraire d’attendre en fonction des rencontres désirées.
A la fin du pèlerinage, Facebook nous proposera de rester dans la nouvelle communauté créée en fonction de notre profil. C’est ce qui fera disparaître les associations de pèlerins qui ont une adresse géographique.
Ces communautés numériques proposeront à leurs membres des marches jacquaires, des soirées de rencontre ou des projets de randonnée ainsi que des formations pour devenir un e-hospitalier dans des sites open source.
Ceux qui refuseront de rejoindre une communauté Facebook verront leur pèlerinage se durcir. Ils ne seront pas prioritaires dans les gites collectifs qui préféreront gérer des groupes de pèlerins. Rien ne leur sera réservé, passant toujours après les autres, ils deviendront naturellement différents aux yeux de la majorité des pèlerins.  Souvent sans montre numérique, ils ne seront pas considérés comme de « vrais pèlerins » mais comme de pauvres malheureux inaptes à vivre dans notre monde. D’autres, pratiquant l’introspection ou ayant une pratique religieuse physique, seront évités par l’assemblée des pèlerins « normaux ».

 

Blablacar

Dès sa décision de partir arrêtée, le futur pèlerin se verra proposer par le site BlaBlaCar plusieurs services. Le site, roi du calcul, tiendra en fonction de nos dates, un calendrier potentiel de nos étapes qui sera rectifié en temps réel au fur et à mesure de notre progression.
On nous proposera d’adhérer à BlaBlaSac pour ne pas avoir à porter notre sac chaque jour. Des particuliers, validés par le site, iront chercher nos sacs et les transporteront à l’arrivée prévue. Cette activité générera des revenus d’activité d’appoint dans des régions peu fournies en emplois.
Le site nous proposera aussi les prestations  classiques de covoiturage pour arriver sur le chemin, pour le quitter, avec des chauffeurs anciens pèlerins. Et si nous décidons de ne pas faire une ou plusieurs étapes, le site nous trouvera une voiture.
BlaBlaCar nous proposera son e-crédential, carnet numérique attestant de notre périple et qui nous permettra d’obtenir à Saint-Jacques notre e-compostella que nous pourrons fièrement afficher sur notre mur Facebook, attestant de notre sérieux et de notre volonté.
Dans ces temps futurs où nous serons évalués en permanence, l’obtention d’une e-compostella sera un must pour les employeurs, les services médicaux ou les sites de rencontre !
 

Tripadvisor

Ce site d’offres de voyage en ligne et de réservation hôtelière proposera des « Packs Pèlerinage » pour les gens désirant s’offrir des voyages low-cost tout en améliorant leur évaluation numérique.
Les offres seront personnalisées par Tripadvisor en fonction de notre parcours, de nos dates et de nos besoins.  Le site nous trouvera pour chacune de nos soirées-étapes un hébergement au meilleur prix, proposant les dortoirs privés offerts par les nouvelles chaines hôtelières, les anciens sites associatifs, les adresses du Michelin pour la France et quelques abbayes pour le fun, si nous cochons la case site « religieux autorisé ».
Ces offres pourront être combinées avec celles de BlaBlaCar et de BlaBlaSac et pour minimiser nos dépenses, le site nous proposera d’associer une mutuelle au financement de notre périple si nous souscrivons à leur offre de contrat.
Bien entendu Tripadvisor qui travaille toutes les clientèles de l’Internet, nous proposera d’autres destinations de pèlerinage comme Rome, Jérusalem, l’Inde, le Japon ou la Mecque.
Tous les voyages effectués en entier seront enregistrés sur notre profil Facebook améliorant ainsi notre évaluation de pèlerin.
 

AirBnB

Ubérisation des chemins de Compostelle
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Bien entendu Tripadvisor qui travaille toutes les clientèles de l’Internet, nous proposera d’autres destinations de pèlerinage comme Rome, Jérusalem, l’Inde, le Japon ou la Mecque.
Tous les voyages effectués en entier seront enregistrés sur notre profil Facebook améliorant ainsi notre évaluation de pèlerin.
 


 

J'arrête

Le monde que je décris ne vous fait pas envie et je partage votre sentiment. Mais les chemins de Saint-Jacques qui sont spontanément protégés de par leur nature éloignée et sacrée, vont être pris dans le déluge des nouvelles technologies et devront s’adapter !
Nous allons devoir nous adapter !
Ce qui était un monde de calme, de sagesse, de piété, de traditions va subir les tsunamis de ces nouvelles pratiques humaines, intrusives, totalitaires, profanes ou la valeur essentielle est l’économie c’est-à-dire l’argent.
Et pourtant dans le monde de demain, toutes ces pratiques seront NORMALES. C’est nous avec notre façon de cheminer qui sommes appelés à disparaître.
Et puis il y a maintenant des écrans dans la cathédrale de Compostelle, et, dans les abbayes, les moines sont connectés ! Ont-ils modifié les règles de Saint Benoit ? Vont-ils le faire ?
Il va de soi que les associations de pèlerins ont leur avenir entre les mains comme tout groupe humain et peuvent réagir. Je pense, pour cela, à deux directions :
- affirmer les valeurs humanistes et spirituelles des chemins de pèlerinage dans un monde qui les perd régulièrement.
- préparer et occuper le terrain : notre place est bien sûr sur les chemins avec plus de gites jacquaires,  plus d’hospitaliers.
Dans de futurs articles, je présenterai les idées et les projets qui doivent nous préparer à bien réagir. Il ne s’agit pas de se battre contre un monde qui change : qui penserait à arrêter un tsunami ?  Mais plutôt de savoir où aller quand les vagues débarqueront. Il nous faut accompagner ce nouveau monde par nos réflexions et nos projets pour éviter que d’autres le fassent à notre place. Quand je dis d’autres, je pense à Google, Amazon et les autres ou futures entreprises du net, qui, obnubilés par leur survie, proposent des technologies aussi constructrices que destructrices.
Utilisons la sagesse accumulée sur les chemins pour préparer nos enfants pèlerins des nouveaux mondes à une humanité où la place de l’homme va de soi, où il sera heureux et où son esprit pourra s’évader sur des voies ancestrales.