Institut recherche jacquaire (IRJ)

Chemin de pèlerinage et chemin de la connaissance


le 22 Août 2018 modifié le 3 Février 2024
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Le texte ci-dessous est celui de la préface du livre Les routes de Compostelle de Denise Péricard-Méa, écrite en 2002 par Claude Gauvard, (Professeur d’Histoire du Moyen Age, Paris I Panthéon-Sorbonne, membre de l'Institut universitaire de France).



Apporter des lumières à un public motivé

« Ce livre est le fruit d’une double passion. Une passion pour la vérité, celle de l’historien qui, au risque de l’intransigeance, expose le fruit de ses recherches et bouleverse les idées reçues, une passion de l’enseignement qui, au risque de l’impatience, ne craint pas de malmener ceux qui ne veulent pas apprendre. Un livre pour les curieux qui sont en recherche et ne se contentent pas des vérités admises ni des discours convenus, un livre pour ceux qui sont en éveil et qu’une idée nouvelle met en appétit et en mouvement.
Il est aussi le fruit d’une double expérience, puisque Denise Péricard-Méa est à la fois chercheur en histoire et pèlerin, sans confondre les deux chemins, mais en sachant mettre l’expérience de l’un au service de l’autre, dans une parfaite réciprocité.
Le socle historique sur lequel repose ce livre est incontestable : il a fait l’objet d’une thèse de doctorat d’Histoire soutenue en janvier 1996 à l’Université Paris I, Panthéon-Sorbonne, pour laquelle son auteur a obtenu la mention Très honorable avec les félicitations et qui a été en grande partie publiée dans Compostelle et cultes de saint Jacques au Moyen Age (PUF, 2000). Aux confluents de l’historiographie et de l’histoire religieuse, cette thèse était le résultat d’une recherche savante qui portait autant sur l’histoire du pèlerinage à Saint-Jacques que sur les formes du culte rendu au saint, en particulier par les confréries du royaume de France à la fin du Moyen Age.
Or, s’il avait suscité et continue de susciter beaucoup de fantasmes, le pèlerinage en Galice n’avait pas encore donné lieu à une thèse. Celle-ci est la première, et elle montre, comme le fait souvent la recherche, que ces mythes sont hérités du Moyen Age et surtout du XIXe siècle.
Il importait que ces découvertes soient portées à la connaissance du plus grand nombre et surtout aux pèlerins qui partent pour Compostelle et s’intéressent à l’histoire du pèlerinage qu’ils ont entrepris. C’est l’objet de ce nouveau livre où Denise Péricard-Méa ne craint pas de donner une vulgarisation enlevée à des travaux savants de première main et à des textes médiévaux difficiles d’accès que Bernard Gicquel a contribué à repérer.

L'importance spirituelle du sanctuaire

La thèse de Denise Péricard-Méa proposée à tous
La thèse de Denise Péricard-Méa proposée à tous
Que le premier pèlerin connu soit l’évêque du Puy, Godescalc, ‘parti en toute hâte’ en janvier 951, n’induit pas qu’il a été suivi par une foule de pèlerins comptés en millions. Ces foules des récits sont certainement, comme le suggère Denise Péricard-Méa, l’écho du peuple des élus décrit dans l’Apocalypse. Que le Guide du Pèlerin ait été rédigé au XIIe siècle et décrive quatre chemins pour aller à Compostelle, ne veut pas dire que ce guide ait pris place dans la besace des jacquets et que ces chemins correspondent à un tracé réel. Seuls quelques manuscrits du guide ont subsisté, ce qui marque son maigre succès à l’époque médiévale, et il fallut attendre le XIXe siècle pour que le texte latin soit édité, puis 1938 pour qu’il soit traduit en français par Jeanne Vielliard. Quant au chiffre quatre, comme tous les chiffres médiévaux, il a une signification avant tout symbolique et il renvoie certainement aux quatre fleuves du Paradis. A quoi sert de penser que le contenu de ces textes médiévaux correspond à la réalité, alors que ces textes sont marqués d’une autre vérité, celle de la culture biblique qui imprègne les lettrés au Moyen Age ? Il importe plutôt de faire partager les doutes qui assaillent l’historien pour mieux comprendre la civilisation médiévale. Faire mouvoir des millions de pèlerins, c’est, au Moyen Age, dire qu’ils étaient beaucoup et montrer à quel point le pèlerinage à Compostelle contribue au salut du peuple chrétien. Faire confluer les quatre fleuves vers Saint-Jacques, c’est dire l’importance spirituelle du sanctuaire dans une terre qui, ici-bas, doit reproduire la cité céleste pour mener au salut et à la résurrection.

Le nombre des pèlerins, le tracé des chemins de Saint-Jacques, l’existence même des reliques du saint ont une histoire dont le fil méritait d’être reconstitué. Les résultats auxquels est parvenue Denise Péricard-Méa ne trahissent en rien l’importance qu’a eu le pèlerinage aux yeux des hommes et des femmes du Moyen Age comme à ceux des individus que nous sommes. Ils lui confèrent sa dimension historique dans tous les domaines, religieux, sociaux et politiques, et sur la longue durée. Distinguer entre ce que les hommes croient ou disent et ce qu’ils font, constitue l’une des premières tâches de l’historien. Mais ces deux aspects sont aussi importants l’un que l’autre, car l’histoire des hommes se tisse de rêves comme de sueur ou de souffrances vécues.
Ici, l’enjeu n’est pas mince : il s’agit de l’enracinement du pèlerinage de saint Jacques dans les consciences et dans les cœurs. Au Moyen Age, on ‘dit’ le pèlerinage à Compostelle plus qu’on le ‘fait’. Il ne faut en déduire aucun jugement de valeur : le pèlerinage est, comme tout fait humain, un objet d'histoire : il évolue. Ce ‘dire’ médiéval est le résultat d’un faisceau de courants dont certains émanent des autorités et prend la forme, parfois poétique, d’une propagande que seuls l’Eglise et les princes ont la possibilité de mener. Mais ce ‘dire’ n’est pas seulement un instrument. Il est un puissant moyen d’accéder au salut, ne serait-ce que par la piété à petits pas qui, à partir du XIIe siècle, conduit les chrétiens des paroisses médiévales aux nombreux et modestes sanctuaires locaux construits en l’honneur de saint Jacques.
Depuis une dizaine d’années, le chemin a pris une place croissante dans les argumentaires culturels et touristiques, sans que les organismes concernés aient toujours les références historiques indispensables. Je connais bien la thèse de Denise Péricard-Méa pour l’avoir dirigée, après Bernard Guenée, membre de l’Institut. J’ai lu avec grand plaisir ce nouveau livre, effectivement destiné à apporter des lumières à un public motivé. Il est alerte, encore et inlassablement ouvert sur la recherche. Il me semble important que les pèlerins d’aujourd’hui sachent dans quels pas ils mettent les leurs, pour que le chemin de pèlerinage et celui de la connaissance se confortent l’un l’autre ».