Institut recherche jacquaire (IRJ)

ARLOLOJAC et le randonneur


Rédigé par le 20 Août 2016 modifié le 1 Février 2024
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La République des Pyrénées a résumé le scénario par un article de la rubrique RELIGION de son édition du 18 août 2016. Il présente une situation relativement classique qui, à Oloron, a eu une conséquence inhabituelle dont la conclusion, encore attendue, pourrait avoir des conséquences sur la pratique de l’accueil. Nous présentons cet article, les positions des acteurs et les questions qu'elles nous inspirent.



Un randonneur n’a pas été accepté au gîte du Bastet sans le passeport du pèlerin

D'après la République des Pyrénées :
" Un randonneur limougeaud se présente fin juin au gîte du Bastet à Oloron. Ce gîte, géré par l’association des Amis de la voie d’Arles, est ouvert depuis un an pour les pèlerins du chemin de Saint-Jacques. Quand on lui demande s’il est pèlerin, il répond honnêtement qu’il ne l’est pas mais randonne sur le GR78. On lui répond que sans le « credencial », le passeport du pèlerin, il ne peut pas être hébergé".
Le blog du randonneur sur Médiapart indique que le refus lui a été fait par téléphone lors de la réservation :
" Fin juin 2016, je souhaitai passer la nuit au gite du BASTET géré par l'association des Amis de la voie d'Arles, Relai du BASTET [adresse]. J’étais bien entendu d’accord pour régler le prix de mon hébergement soit 12.50 €, mais cela n’a pas été possible car à la question ‘êtes-vous pèlerin de Saint Jacques de Compostelle ?’, j’ai honnêtement répondu par la négative lors de ma conversation téléphonique de réservation ".
Il souhaitait simplement un hébergement qu’il se croyait en droit d’attendre dans un gîte « référencé comme gîte d’étape sur les cartes IGN et sur le site officiel geoportail.gouv.fr. Ce refus de l’accueillir lui est apparu discriminatoire car reposant sur « son absence de conviction religieuse », puisqu’il n’était pas pèlerin.
 
Plaçant son article dans la rubrique RELIGION, le quotidien donne également une dimension religieuse à cet incident. Est-il opportun de traiter dans cette rubrique toutes les questions relatives à Compostelle ?
Le journaliste donne lui-même la réponse : « les pèlerins [sont] de plus en plus nombreux, avec chacun ses convictions, religieuses ou pas, laissant entendre que son article aurait aussi bien eu sa place dans la rubrique SOCIETE.
 
Interrogé, le maire d’Oloron a précisé sa position :
" Nous avons loué ce local à l’association pour développer les chemins de Saint-Jacques. Ce n’est plus un lieu communal mais un lieu commercial ".
Et le journaliste souligne avec malice : « Pour autant, la location ne rapporte guère à la commune puisque le gîte est loué à l’euro symbolique ».
Ce gîte ainsi loué par la Municipalité, est géré par une association dont la dénomination est systématiquement erronée. Une convention d'occupation du domaine public de 4 ans a été signée le 13 avril 2016, par la ville et l'association ARLOLOJAC, pour la gestion du gîte de pèlerins le Relais du Bastet, association déclarée au JO en mai 2007 sous la dénomination « AMIS DU CHEMIN DE SAINT-JACQUES-DE-COMPOSTELLE - VOIE D-ARLES OLORON JACA – ARLOLOJAC » (alors qu’elle est nommée Les Amis de la Voie d'Arles-Compostelle). Son activité déclarée est la « valorisation, défense et connaissance des voies transfrontalières ». Son point de vue est exposé ainsi dans l’article :
" Du côté de l’association, on sourit : « On ne demande pas leurs convictions mais on demande le credencial délivré par les associations de Saint-Jacques qui permet d’avoir des facilités pour se faire héberger. En Espagne, il est obligatoire pour se loger tout au long du chemin ".
Ayant signalé cette situation au maire d’Oloron, le randonneur a reçu la réponse suivante :
" La gestion du Gîte d'hébergement des Pélerins du Bastet a été confiée par convention à l'association "Les Amis de la Voie d'Arles-Compostelle" afin de proposer aux pèlerins du Chemin de Saint-Jacques un hébergement sur le territoire communal. A l'origine, en 2004, les subventions octroyées à la commune ont été accordées dans le but de réaliser un hébergement pour pèlerins. En ce sens, la commune respecte les obligations qui sont siennes en la matière. Nous entendons votre questionnement mais ce gîte est réservé prioritairement aux pèlerins. Les autres randonneurs sont accueillis dans le parc d'hébergement privé.
Vous remerciant de votre compréhension.

Finalement, le randonneur a fait appel au Défenseur des droits en ces termes :
" J’estime avoir été discriminé en fonction de l’absence de conviction religieuse me concernant car je suis athée, donc non chrétien et donc forcément non pèlerin de Saint Jacques de Compostelle ".
 

Une situation qui mérite des commentaires

Cette scène pose à nouveau plusieurs questions sur l’image de Compostelle dans la société et sur l’accueil au long des chemins de Compostelle. (Notons au passage que la municipalité d’Oloron a reçu en 2004 des subventions pour ce gîte, il serait intéressant de savoir qui a financé cet important décor du théâtre et pour quel montant).
 
Avant d’examiner ces questions, il convient de rappeler que l’histoire du pèlerinage ne fait mention d’aucune organisation d’accueils spécifiques aux pèlerins de Compostelle ou d’ailleurs. Le devoir d’hospitalité, s’il a été magnifié par l’Evangile n’est pas lié à une religion mais est un devoir d’humanité présent dans toutes les cultures. Quand il a été organisé, il l’a été pour tous ceux qui en avaient besoin et pas uniquement pour les pèlerins et par des structures qui ne dépendaient pas toutes de l’Eglise. (Voir par exemple l’histoire de l’Hôtel-Dieu d’Issoudun de Denise Péricard-Méa).
La nécessité de faire un effort particulier pour l’accueil des pèlerins de Compostelle est apparue en Espagne quand le gouvernement du général Franco a considéré le pèlerinage comme un moyen d’ouvrir le pays sur l’Europe démocratique après les années de guerre civile et la fin de seconde guerre mondiale. Cette politique, appuyée sur l’Eglise espagnole et des initiatives locales a été très développée à partir de l’accession de la Galice à l’autonomie. Elle a progressivement mis en place des structures d’accueil spécifiques pour les pèlerins munis d’un document justificatif.
 
Ce document, carnet ou passeport du pèlerin est appelé credenciale. La question se pose de savoir qui a autorité pour le délivrer. En France, la première organisation à l’avoir fait  est la Société des amis de saint Jacques, créée en 1950, pour faire connaître le pèlerinage. Elle l’a fait en étroite relation avec la cathédrale de Compostelle dont le but initial n’était pas l’accueil des pèlerins au long du chemin, mais la nécessité d’avoir une preuve du chemin parcouru pour délivrer une attestation de pèlerinage. Elle a ensuite été imitée par les autres associations de pèlerins, sans coordination et sans relation avec Compostelle. L’Espagne a connu la même évolution et le Bureau des pèlerinages peine à imposer un modèle de credenciale unique. En imaginant que ce modèle soit un jour accepté par toutes les associations, la question resterait posée de préciser les conditions de sa délivrance, actuellement variables selon les associations. La plupart des associations ne la délivrent qu’à leurs adhérents, ce qui garantit que le porteur est connu. Certains organismes, comme l’ACIR, la vendent sur Internet, les moins scrupuleux allant même jusqu’à demander 10€ ! Compostelle fait vivre …
 
En 1998, l’Eglise de France a décidé de créer son propre passeport du pèlerin, la créanciale. Elle est délivrée gratuitement, mais en mains propres seulement par des représentants de l’Eglise, en particulier au Puy, à Vézelay et Moissac. Elle peut être délivrée, après un entretien, à toute personne qui en fait la demande, même non chrétienne.
 
S’agissant de la scène du théâtre d’Oloron, la question se pose de savoir comment les représentants d’une association ayant pour objet la valorisation, défense et connaissance des voies transfrontalières peuvent s’autoriser à demander à un randonneur la possession d’une crédenciale pour accéder au gîte. Ce local a été confié à l’association pour « développer les chemins de Saint-Jacques ». Sans aller à Compostelle, le randonneur éconduit souhaitait parcourir ce chemin, ce qui semble conforme à l’objet de l’association. Elle se pare du titre « d’AMIS DU CHEMIN DE SAINT-JACQUES-DE-COMPOSTELLE ». Suffit-il d’utiliser le mot Compostelle dans la dénomination pour s’arroger le droit de réclamer une crédenciale ? Ne conviendrait-il pas, au moins, que cette mission qu’elle s’octroie figure explicitement dans son objet mentionné au JO, fut-ce en termes généraux, évoquant le pèlerinage et pas uniquement les voies ?
 
Une autre ambiguïté apparaît. Le chemin n’est pas un objet liturgique mais un produit touristique. Rien n’empêche un randonneur, même se déclarant athée, de se rendre à Compostelle avec des motivations qui ne soient pas religieuses mais scientifiques, culturelles, sportives, voire ethnographiques ou journalistiques s’il souhaite comprendre ce qui est vécu sur ces chemins. Mettre cet article dans la rubrique RELIGION c’est escamoter de nombreuses dimensions des chemins contemporains de Compostelle. Le journaliste est acteur par l’image qu’il donne du spectacle.
 
Dans le point de vue de l’association qu’il rapporte, la mention du « credencial délivré par les associations de Saint-Jacques » induit en erreur. A notre connaissance, il n’y a pas de credencial unique. Même si leur démarche est voisine, la référence à ces associations est trompeuse. Qu’est-ce qu’une « association de Saint-Jacques » ? On dénombre en France une soixantaine d’associations se référant à saint Jacques ou aux chemins de Saint-Jacques, présentant bien des différences. En matière de délivrance et d’utilisation de la crédenciale, elles n'ont encore jamais mis en œuvre une politique commune.
 
En conclusion de sa demande au Défenseur des droits, le randonneur écrit :
Je vous remercie par avance de bien vouloir intervenir afin que ce gite soit ouvert à tous, que l’on soit pèlerin ou non, conformément à notre législation et aux principes dont vous êtes le garant.
Nous ne manquerons pas de commenter la réponse qu’il recevra dès que nous en aurons connaissance. Sans doute dépassera-t-elle le cas d’Oloron, éclairant la pratique des associations, des pèlerins et randonneurs, des gestionnaires et propriétaires de gîtes pour plus de clarté, d’efficacité et de concorde.